Luxair

Guerre des chefs

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2003

Mais qu’est-ce qui avait piqué Henri Grethen ? Rarement a-t-on vu un ministre s’en prendre avec une telle brutalité à un dirigeant du secteur privé, a fortiori ayant des liens étroits avec l’État. Mais que peut-il bien y avoir dans cet audit qu’Alain Georges, le président du conseil d’administration de Luxair, aurait refusé de transmettre au ministre des Transports ? De quoi le ministre a-t-il tellement peur ? Il ne s’agit en tous les cas pas de l’accident du 6 novembre 2002. Des différentes déclarations à la presse des acteurs, on sait que la pomme de discorde, en l’occurrence un audit interne de Luxair, concerne une autre affaire : le limogeage avorté de plusieurs responsables de la compagnie aérienne. Aux mois de mai et juillet de cette année, trois cadres de Luxair se trouvaient sur la sellette : le directeur des opérations (pilote en chef), le directeur de l’assurance qualité et le flight safety officer. Le comité de direction avait en fait décidé le licenciement des deux premiers, officiellement pour avoir fondé une société susceptible de faire concurrence à Luxair. Or, deux semaines plus tard, l’équipe autour de Christian Heinzmann se rebiffe : ils sont certes démis de leurs fonctions mais restent pilotes à la compagnie. Pour le troisième concerné, la solution est la même - un résultat qui dans ce cas ferait suite à l’intervention des syndicats. Cet épisode s’est déjà révélé très embarrassant pour le ministre des Transports. Il a dû admettre avoir « adressé des recommandations » à Luxair à ce sujet. Le porte parole de la compagnie avait parlé d’« interventions de toutes parts ». Des reproches graves, vues les fonctions clés qu’occupaient les personnes visées en ce qui concerne l’accident du Fokker, ce qui explique sans doute leur disgrâce auprès de la direction. Sur le refus de remettre l’audit, Alain Georges a parlé d’un possible « malentendu » de la part du ministre. D’abord, parce que le document ne concerne pas l’accident, ensuite parce qu’il n’aurait même pas encore été présenté au conseil d’administration de Luxair. Or, Henri Grethen connaît parfaitement le contenu de cet audit. Son principal collaborateur au ministère des Transports, Paul Schmit, siège après tout avec Alain Georges et Marc Hoffmann (Dexia-Bil) au comité d’audit responsable du document. Quel était donc le véritable message de Henri Grethen ? Vues les circonstances de la rédaction de l’audit, il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’un dossier à charge contre les anciens responsables de la sécurité chez Luxair. Dossier qui, rendu public, pourrait ébranler la compagnie. Ça ne peut être l’intention du ministre. Peut-être le message était plutôt un autre : « Chiche que t’es pas cap’ ! » Comme les documents doivent encore passer devant les administrateurs, leur contenu n’est pas définitif. Les manières de pitbull de Henri Grethen pourraient donc avoir comme origine des passages sur les « interventions » et « recommandations » dans cette affaire – qui pourraient mettre en difficulté le ministre. Hier, jeudi, après mise sous presse de ce journal, le conseil d’administration de Luxair s’est réuni. Malgré les reproches du ministre, Alain Georges « n’a pas l’impression d’être menacé ». Il joue cependant aussi sur un autre terrain. En avril prochain, le mandat à la tête du conseil de Cargolux de l’éternel Roger Sietzen vient à terme. Il faudra sans doute changer les serrures pour que Sietzen ne demande plus de prolongation. Pourtant, Alain Georges doit se sentir prédestiné à reprendre ce poste. Il préside deux importants actionnaires : Luxair (34,9 pour cent de Cargolux) et BGL Investment Partners (11,5 p.c.). Pour décrocher le poste, il faudra cependant auparavant retrouver la grâce de Henri Grethen. Christian Heinzmann semble suivre cette guerre des chefs sans grande joie. Il a jusqu’à présent refusé avec les plus grandes précautions possibles de prendre position. Il semble surtout se dire que, si deux se disputent, la tête d’un troisième risque de tomber.

Jean-Lou Siweck
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