Impact de l'industrie financière sur l'économie

L’effet Swiss Re

d'Lëtzebuerger Land du 18.03.2010

C’est l’un des derniers actes posés par le défunt Comité pour le développement de la Place financière (Codeplafi), remplacé désormais par le Haut comité pour la place financière, qui a démarré ses travaux le mois dernier. L’Étude d’impact de l’industrie financière sur l’économie luxembourgeoise1, rendue publique mercredi par la Commission de surveillance du secteur financier – le gendarme de la place, pour ne pas se mélanger les crayons, joue désormais un rôle marginal dans le HCPP, alors qu’il était le maître d’œuvre dans le Codeplafi – servira de fil conducteur aux animateurs de la nouvelle équipe pilotée par le ministre CSV des Finances Luc Frieden et censée recadrer et régénérer l’énergie des banquiers, professionnels du secteur financier et assureurs opérant à partir du grand-duché.

La crise financière de 2008 a fait des dégâts sur son passage. Mieux sans doute que les rapports annuels de la CSSF, de la Banque centrale du Luxembourg ou de la Bourse, qui sont d’ailleurs quelques-unes des sources utilisées, l’étude du Codeplafi en a quantifié les effets sur l’économie, les recettes de l’État et l’emploi (ses effets étaient encore très marginaux en 2008). La vache à lait de l’économie a connu des pannes de productivité. Ses défaillances ont néanmoins été partiellement compensées par l’hyperactivité du réassureur Swiss Re, arrivé au Luxembourg avec son hub européen en 2007, mais qui a montré toute sa puissance de feu seulement un an plus tard, en permettant de rehausser très sensiblement la contribution du secteur financier au PIB, à la valeur ajoutée, à l’emploi et aux finances publiques et de doubler les primes acquises dans la branche non-vie et en réassurance. Du coup, l’assurance, secteur resté relativement marginal dans la création de richesse, par rapport à l’activité bancaire ou la gestion collective, est montée en grade, représentant onze p.c. des revenus (douze pour les banques) pour un montant de 11,4 milliards d’euros. Le phénomène Swiss Re, auquel il faut ajouter la mise en place des normes comptables IFRS, rend difficile la comparaison avec 2007. 2008 restera donc une année « atypique ». Les vrais dégâts de la crise, qui a essentiellement frappé au dernier trimestre, se mesureront sans doute mieux dans l’étude 2009. Il faut attendre pour cela les résultats définitifs des opérateurs du secteur financier.

Passage en revue des différentes branches du secteur financier, de la banque privée (qui a peu souffert en 2008) à la gestion collective (très touchée par la crise), les assurances en passant par les sociétés de gestion. « Dans un contexte de crise financière sans précédent, le poids du secteur financier dans l’économie luxembourgeoise a globalement diminué, sans pour autant remettre en question l’importance de l’industrie pour le Luxembourg », souligne l’étude. La place financière pèse, de manière directe et indirecte près de 36 milliards d’euros, soit 35 p.c. de la production nationale (27 p.c. en 2007 ou 28,2 milliards d’euros), l’industrie financière a dégagé 11,5 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 32 p.c. du PIB, en baisse de 26 p.c. par rapport à l’exercice précédent. L’emploi n’a pas été affecté par la crise avec des effectifs de 77 439 personnes, soit 22 pour cent de l’emploi total. Rognées par l’évolution des bénéfices (en baisse) et des provisions (en hausse), les contributions au recettes fiscales, 3,145 milliards d’euros (dont 1,14 milliard alimenté par les banques de manière directe), représentaient 31 p.c. des rentrées d’impôts (33 p.c. un an plus tôt).

La crise financière internationale s’est traduite par une baisse de cinq pour cent des revenus générés pour les banques (10,4 milliards d’euros), résultat de l’effet combiné des dépréciations d’actifs et du ralentissement des activités qui font empocher des commissions. En termes de valeur ajoutée, les banques, qui ont montré des résultats nets en chute libre de 88 pour cent, ont permis de dégager 3,8 milliards (baisse de 52 p.c.), sur un total de neuf milliards d’euros.

Dopés par la présence de Swiss Re (faisant passer le poids de l’assurance dans l’économie nationale de trois à onze pour cent), les revenus des compagnies d’assurance et de réassurance ont progressé de 232 pour cent en 2008 (un « bond technique », indique l’étude) pour s’afficher à 10,920 milliards dont 9,114 provenant de la seule branche de la réassurance (+580 p.c.). Les performances du poids lourd suisse masquent toutefois des revenus en baisse pour les assureurs vie (moins sept pour cent à 830 millions d’euros) et les assureurs non vie qui affichent des contre-performances identiques. La valeur ajoutée des assurances a connu une croissance de 51 pour cent à 1,412 milliards.

La croissance des professionnels du secteur financier, détrônés par les assureurs, a été divisée de moitié. Avec un montant de 5,14 milliards, cette catégorie représente cinq pour cent de la production nationale (quatre en 2007), générant une valeur ajoutée de 1,86 milliards (hausse de 16 pour cent).

Les sociétés de gestion, représentant des revenus de 4,42 milliards, en baisse de neuf pour cent, pesaient quatre pour cent de la production nationale (cinq un an plus tôt) En termes de valeur ajoutée, elles ont dégagé une richesse de 1,93 milliard d’euros, en baisse de 35 pour cent.

L’emploi direct dans le secteur financier a progressé de huit pour cent entre 2007 et 2008 avec des effectifs de 47 714 personnes (quatorze pour cent de l’emploi intérieur, treize en 2007) dont 27 524 dans les banques et 13 507 chez les PSF.

La place financière est aussi une formidable machine à générer de la consommation chez les particuliers (20 pour cent de la consommation), en plus des dépenses réalisées par les opérateurs eux-mêmes (investissements et frais généraux, soit 80 pour cent des dépenses): l’étude du Codeplafi a évalué les revenus indirects à 4,9 milliards d’euros (en progression de dix pour cent par rapport à 2007), leur valeur ajoutée à 2,5 milliards (soit sept pour cent du PIB, contre six un an plus tôt), le nombre d’emplois induits à près de 30 000 et les revenus indirects pour les caisses de l’État à 540 millions d’euros.

Très dépendant de l’évolution des actifs, le secteur des organismes de placement collectif a été particulièrement touché par la crise dans toutes ses composantes : les revenus directs et indirects ont baissé de huit pour cent à 4,676 milliards d’euros, la valeur ajoutée a flanché de six pour cent (3,4 milliards), l’emploi de quatre pour cent (18 241 personnes contre 18 909 en 2007) et sa contribution aux recettes fiscales de sept pour cent (1,073 milliard contre 1,160 un an plus tôt). Ceci dit, l’industrie des OPC représente toujours dix pour cent des rentrées de l’État et neuf pour cent du PIB. Ses opérateurs méritent donc un traitement de faveur de la part du gouvernement, qui réfléchit à la manière d’aider au développement des affaires, sans donner l’impression d’en faire trop. Les mesures proposées sont d’ailleurs tellement techniques que leurs effets directs sur les finances publiques sont trop difficiles à mesurer en termes de malus.

C’est la nouvelle encourageante de l’étude du Codeplafi, assurant que « le private banking a globalement bien résisté à la crise financière, grâce à la très forte croissance de la marge d’intérêt qui est encore supérieure à celle du secteur bancaire, en général ». On gagne donc encore de l’argent avec (ou sans) le secret bancaire. De manière globale, les revenus se sont affichés à 3,44 milliards d’euros (2,925 milliards de manière directe), soit trois pour cent de la production nationale, la valeur ajoutée a pointé à 2,43 milliards (sept pour cent du PIB), l’emploi montrait des effectifs de 10 369 personnes (trois pour cent de l’emploi national). La gestion de fortune a généré pour l’État des recettes de 423 millions d’euros, en hausse de onze pour cent par rapport à 2007.

Si on devait retrancher le « facteur exogène » Swiss Re, le secteur financier aurait perdu presque toute sa graisse, ne pesant plus que 23 p.c. du PIB contre 25. L’emploi aussi aurait été affecté, passant de quatorze à treize pour cent de l’emploi intérieur. Les recettes fiscales directes auraient fondu de onze pour cent, alors que leur baisse a été limitée à deux pour cent en 2008. Merci la Suisse.

1 Cette étude a été réalisée avec le concours du cabinet Deloitte. Elle est à télécharger sur le site de la CSSF (www.cssf.lu)

Véronique Poujol
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