Braco Dimitrijevic au MNHA

Artista Post Historicus

d'Lëtzebuerger Land du 17.03.2011

En 1976, voici donc 35 ans déjà, Braco Dimitrijevic, né à Sarajevo en 1948, publie son Tractatus Post Historicus. Rien à faire avec une fin hégélienne de l’histoire, moins encore avec l’idée d’un Fukuyama. Et la date ne doit pas non plus, impulsion donnée par l’architecture, nous faire faire quelque lien avec une postmodernité essaimant de toutes parts. Car à cette dernière il manque justement ce qui fait l’essentiel du concept de Braco Dimitrijevic, une conscience historique. Elle est pour ainsi dire le continuo de son travail, de son art, et là-dessus viennent se greffer l’esprit critique le plus aigu, un sens poétique indéniable.

Le Tractatus, s’il met en évidence le temps venu d’une coexistence, partant d’une vision multiple, s’il joue sur un espace sans vérité finale, a sa coloration poppérienne : confrontant l’homme avec sa propre responsabilité, et considérant l’artiste déjà comme une métaphore d’un être humain responsable. The Century Behind Me, une vidéo dans l’exposition au Musée national d’histoire et d’art, met le visiteur sur la bonne voie : un défilé d’images d’hommes politiques, dignes d’estime ou sujets d’opprobre, à nous de faire le tri ; cela sur fond de musique des Vivaldi, avec un chef d’orchestre de taille réduite en bas à droite. L’histoire en mal de direction ? Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit faite seulement de fracas et de furie, à nous de lui donner du sens.

Dans l’exposition, images d’autres personnages (de culture cette fois-ci) et de personnes ordinaires illustrent l’autre idée que le passé est plus complexe que l’histoire, que celle-ci n’en est qu’une version réduite. Ainsi le portrait gigantesque d’un « casual passer-by », accroché à la façade d’un bâtiment de poids, en est immédiatement chargé lui-même ; joli pied-de-nez à la pratique des régimes personnels, mise en question de notre jugement. Le passé toujours, de quoi est-il fait encore : que de destins brisés, de promesses non tenues, regardez les portraits des Tatline, Gontcharova, Maïakovski, les verres cassés, et par-dessus les barres qui enferment, qui raturent.

L’exposition se situe dans le cadre du Mois européen de la photographie, se réduit par conséquent à ce moyen d’expression. Un film documentaire élargit la connaissance du visiteur, notamment à telles installations, triptyques réunissant œuvres d’art, objets, animaux. C’est que Braco Dimitrijevic, si sa pratique l’a poussé très vite dans l’espace public, a également ouvert les portes des institutions. Conformément à sa déclaration que le Louvre est son atelier, et la rue son musée.

Un mur, comme la portée d’un partition musicale, où se fixent d’ailleurs des violoncelles, où des portraits, de guingois, égrènent une partie de notre passé intellectuel : Freud, Modigliani, Kafka, Testa (physicien d’origine serbe, avec un nom passé dans la langue commune, pour l’unité dérivée d’induction magnétique), Malevitch. Cela s’appelle Against Historic Sense of Gravity. L’art de Braco Dimitrijevic, lui, ne manque certainement pas de gravité, il en joue avec légèreté et élégance.

Braco Dimitrijevic, exposition au Musée national d’histoire et d’art, ouverte jusqu’au 28 août, du mardi au dimanche de 10 à 18 heures, le jeudi, nocturne de 17 à 20 heures (entrée gratuite) ; www.mnha.public.lu.
Lucien Kayser
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