Redevances aéroportuaires

Trop grand pour toi

d'Lëtzebuerger Land du 18.06.2009

Pourquoi le Luxembourg se bat-il avec tant d’énergie et de détermination contre la directive sur les redevances aéroportuaires, définitivement adoptée par le Conseil des ministres de l’UE en février dernier ? Un récent comité des représentants permanents (Coreper) à Bruxelles a donné une nouvelle fois l’occasion à la délégation luxembourgeoise de rappeler sa farouche opposition à un texte qui risque de mettre en péril la compétitivité de l’aéroport de Luxembourg par rapport à ses concurrents régionaux directs que sont Liège, Nancy-Metz, Hahn et Sarrebruck. La classification de Luxembourg en « plus grand aéroport » sur le plan national va en effet lui imposer des obligations que ses compétiteurs de la Grande région n’auront pas. Les implications financières pourraient être dommageables au Findel, mais, sur ce point les indications précises sur l’impact du texte font défaut. 

Les redevances aéroportuaires, presque inchangées depuis cinq ans, malgré la mise en service du nouveau terminal, ne devraient pas subir de hausse intempestive, suite à cette directive qui devrait entrer en vigueur en 2011. À moins que la Cour de Justice n’en décide autrement et annule le texte comme le Luxembourg le réclame, en raison de son caractère discriminatoire et surtout disproportionné. Il y au­rait aussi eu, en arrière fond de cette directive, des intentions peu bienveil­lantes des grands voisins du grand-duché pour que le Findel soit soumis au même régime que des grands terminaux comme Francfort, Londres ou Paris. 

Le seuil d’application de la directive en cause (cinq millions de passagers et le plus grand aéroport de chaque État membre, argumente en substance le grand-duché dans sa requête notifiée à la Cour de justice européenne le 25 mai dernier a été modifié à une étape relativement tardive dans le processus législatif dans le but explicite d’y inclure des petits aéroports tels celui du Luxembourg. « La mise en place d’un mécanisme formel de consultation des compagnies aériennes usagères d’aéroports, lit-on dans une note d’information transmise au Conseil de l’UE, serait génératrice de coûts financiers et administratifs disproportionnés, (le Luxembourg) étant d’avis que l’intervention du législateur n’était pas justifiée au niveau communautaire ». Il y a comme un arrière-goût de grand ressentiment dans la formulation. Comme si, sous des dehors de meilleure régulation, un soucis de transparence et d’efficacité des investissements publics dans les infrastructures aéroportuaires et de bonne gouvernance pour les gestionnaires d’aéroports, les enjeux économiques primaient sur les besoins d’harmonisation. 

L’opposition du Luxembourg serait d’abord une question de principe, avant d’être une affaire purement économique. Les deux considérations se rejoignent d’ailleurs. « Le Luxem­bourg, résume Frank Reimen premier conseiller de gouvernement au ministère des Transports et président du conseil d’administration de Lux­airport, ne conteste pas cette directive à cause de la redevance en tant que telle, car le texte ne règle pas en détail ses modalités ».

La directive de Bruxelles pose uniquement comme principe le fait que la redevance doit être non-discriminatoire. L’article 3 de la directive dispose ainsi que les États membres veillent à ce que les redevances aéroportuaires « n’entraînent pas de discrimination entre les usagers des aéroports, conformément au droit communautaire ». Ce qui n’empêche pas d’ailleurs la modulation des redevances pour des raisons d’intérêt public et d’intérêt général, comme par exemple l’environnement. Ce que le Luxembourg et d’autres États membres font déjà en modulant la redevance en fonction du tonnage des avions. 

Les réserves luxembourgeoises portent sur l’obligation, imposée par la directive, de créer une nouvelle entité administrative pour les usagers de l’aéroport, dont la mission serait d’arbitrer les questions liées à la redevance (détermination, assiette, non-discrimination, etc). « Au Luxembourg, nous disposons déjà d’une entité qui joue ce rôle et qui s’appelle le comité des usagers de l’aéroport », souligne Frank Reimen. On y « discute » des modalités et de l’assiette des redevances, inchangées depuis cinq ans, en dépit des améliorations substantielles qui ont été apportées aux infrastructures aéroportuaires au Luxembourg, puisqu’on est passé, avec l’ouverture du nouveau terminal, et pour paraphraser un ex-directeur de Luxair, d’un « aéroport africain » à une plate-forme dernier cri.

Reste à savoir si le comité, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, pourra, sans réforme structurelle, pleinement jouer le rôle que la Commission européenne lui a dévolu et si son indépendance de fait est assurée. Actu­ellement présidé par un cadre dirigeant de Cargolux, le comité des usagers est surtout une instance de faire-valoir des deux poids lourds de l’aéroport de Luxembourg, Cargolux pour le fret et Luxair pour le trafic des passagers. « Toutes les compagnies aériennes y sont présentes », rassure Frank Reimen. Ses autres membres, qui représentent les autres usagers, à l’importance plus marginale, y font toutefois davantage de la figuration que de la vraie représentation. « Un peu comme les comités de co-locataires dans un syndic de propriétaires », plaisante un proche de ce comité, qui ne se fait pas d’illusions sur ses pouvoirs à influencer la détermination des redevances.

Du point de vue luxembourgeois, les exigences formulées par Bruxelles en matière de transports publics commencent à dépasser les capacités d’acceptation d’un pays de la taille du Luxembourg. En matière de transport aérien, rappelle Frank Reimen, furent créées en moins de dix ans, l’Administration de la navigation aérienne (ex-administration de l’Aéroport), qui gère la piste et la météo, et Luxairport, l’entité exploitant l’aéroport. D’où le raz-le-bol qui s’est traduit par la saisine de la Cour de justice. « La Commission, s’agace Frank Reimen, impose de mettre en place, pour tous les modes de transport, des entités séparées que le Luxembourg n’est plus à même de digérer ». C’est donc contre cette boulimie de réglementations que les autorités se cabrent.

En portant l’affaire devant la juridiction européenne, les autorités grand-ducales devront forcément se soumettre à un déshabillage en règle de­vant les juges. D’autant que le Luxem­bourg pourrait se retrouver seul contre tous, comme il le fut déjà lors de la procédure législative qui a débouché le 19 février dernier sur l’adoption définitive de la directive. 

Le champ d’application de la directive a été son point le plus controversé. Dans un premier temps, Bruxelles avait inclus tous les aéroports dont le trafic annuel dépassait le million de passagers, ce qui aurait inclus de facto l’aéroport low-cost de Hahn, un des principaux concurrents de la plate-forme luxembourgeoise. Après son passage devant les ministres des Trans­ports, le seuil a été relevé à cinq millions de passagers et la liste s’est résumée à 67 aéroports, au lieu des 150 initialement concernés. Outre le nombre de passagers annuels, un second critère, à l’origine du différend entre Luxembourg et ses partenaires, s’est greffé dans le champ d’application de la directive : le « plus grand aéroport de chaque État membre ». Ce qui a provoqué une réaction épidermique du ministre des transports de l’époque, Lucien Lux (LSAP). Il votera contre l’orientation générale du conseil des ministres. Les dirigeants émettent une réserve formelle, mais ils manqueront de soutien pour s’imposer devant leurs homologues des États membres, poids lourd du conseil de l’UE.

Lucien Lux n’a pas toujours été isolé dans son combat : les Bulgares, les pays baltes et les Slovaques, partageant les mêmes craintes et réclamant que les effets de la directive ne s’appliquent qu’aux aéroports dépassant les cinq millions de passagers par an, seront dans un premier temps à ses côtés. 

Ils se sont notamment battus pour retrancher du texte initial de la directive une référence liant le niveau des redevances aux coûts réels de la fourniture de services aéroportuaires. Une transparence que tout le monde n’applaudit pas, parce qu’elle devrait mettre un terme à des systèmes qui cherchent à masquer les aides que les États peuvent consentir pour soutenir certains aéroports.

« Il est vital, pour les usagers des aéroports, d’obtenir de l’entité gestionnaire de l’aéroport des informations régulières sur les modalités et l’assiette des redevances aéroportuaires. Cette transparence permettra aux transporteurs aériens de s’informer sur les frais supportés par l’aéroport et la productivité des investissements », vantait la Commission européenne au cours de la procédure.Le texte va donc obliger Luxairport (qui n’a pas encore publié son rapport annuel 2008) à fournir aux usagers des informations précises qui entrent dans le calcul de la redevance. Tous les usagers auront la possibilité de contester la détermination de la redevance. Les recettes des différentes redevances feront également l’objet de publication ainsi que le coût total des services couverts par ces prélèvements. Il faudra également rendre des comptes sur l’utilisation réelle de l’infrastructure et de l’équipement aéroportuaires au cours d’une période donnée. Obligations de transparence auxquelles ne seront pas soumis des aéroports comme Hahn, soupçonnés d’utiliser les redevances restituées par les compagnies aériennes qui l’utilisent, à des fins de marketing.

Le comité des usagers devrait donc, si la directive n’est pas annulée, se transformer en une autorité de contrôle indépendante, organisme chargé d’arbitrer entre les compagnies aériennes et les gestionnaires de l’aéroport, sans relations incestueuses entre elles. D’où la règle imposée par Bruxelles d’en faire une entité juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante de toutes les entités gestionnaires d’aéroports et de tous les transporteurs aériens. « Cette autorité, avertit Frank Reimen, il faudra la financer ». Ni Hahn, ni Nancy-Metz n’auront ce souci.

Redevances mode d’emploi 

En 2008, les redevances aéroportuaires se sont élevées à 4,908 millions d’euros, selon des chiffres fournis au Land par le ministère des Transports.

On identifie deux types de redevances au grand-duché. Il s’agit d’abord de la redevance pour les services de passagers (3,50 euros par passager au départ) qui a rapporté 2,796 millions d’euros l’année dernière, dont 68,4 pour cent ont été assurés par Luxair. La redevance d’atterrissage a rapporté 13,512 millions d’euros dont une grande partie (54 pour cent) a été payée par Cargolux, la part de Luxair se limitant à 12,9 p.c. Les redevances de vols de nuit a représenté un montant de 1,396 million d’euros (77,7 pour cent assurés par Cargolux et 4,7 par Luxair).

Le régime actuel des redevances aéroportuaires a été mis en place le 1er juin 2008. Précédemment, la redevance avait un autre nom : la taxe d’atterrissage qui avait rapporté en 2007 quelque 19 millions d’euros aux caisses de l’État. La réforme d’un régime qui remontait à 1994 fut assez soft, n’apportant pas de grands chamboulements au système en place, si ce n’est une augmentation des redevances des vols de nuit. Ainsi les mouvements dans le ciel entre 23 et 24 heures sont-ils soumis à une redevance au double de son montant normal. Et au triple pour les mouvements qui interviennent entre minuit et 6 heures du matin. La redevance est modulée en fonction du tonnage des aéronefs (moins de deux tonnes, moins de 60 tonnes et plus de 60 tonnes).Les taxes d’aéroport ne se retrouvent donc plus dans le budget de l’État. La réforme avait débouché sur la création de l’Administration de la navigation aérienne (ANA) sur les cendres de l’Administration de l’aéroport et la transformation des taxes d’atterrissage en redevances. L’ANA est un service de l’État à gestion séparée, c’est-à-dire qu’elle gère son propre budget de fonctionnement et ses propres recettes. Celles-ci viennent de la redevance d’atterrissage. S’y ajoute une dotation de la part de l’État. La taxe sur les passagers, elle, est prélevée au profit de Luxairport, l’entité gestionnaire du Findel. 

La tarification des infrastructures aéroportuaires est actuellement réglementée à l’échelon national par des systèmes qui laissent parfois de côté les compagnies aériennes. La Com­mission européenne considère que les redevances aéroportuaires constituent « un maillon important » de la chaîne de fournitures des services aériens. Et comme Bruxelles veut mettre plus de compétitivité dans le secteur, elle a cru bon d’intervenir. Les redevances, selon les données fournies par l’Association des compagnies européennes de navigation aérienne représentent entre quatre et huit pour cent des frais d’exploitation des principaux transporteurs aériens de l’UE. 

Véronique Poujol
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