Droit d’établissement des avocats

Mir verstinn eis

d'Lëtzebuerger Land vom 15.02.2007

On aime le latin dans les prétoires. Surtout quelques vieux routiers du Barreau truffent leurs plaidoiries de petites citations pour impressionner le public et pour flatter les juges dont ils présument qu’ils auront compris. D’autres par contre se torturent à formuler une phrase en français correct et plus d’un justiciable ne comprend pas pourquoi les plaidoiries sont toujours menées dans cette langue, alors que les personnes impliquées parlent parfois chacune couramment le luxembourgeois.

La langue de procédure est le français. Mais à la barre, les avocats ont à jongler avec les trois langues : les procès-verbaux de la police sont majoritairement rédigés en allemand et certaines dépositions et témoignages devant le juge se font en luxembourgeois. Ce qui rend la chose compliquée. En 2002, le législateur luxembourgeois avait affirmé vouloir en tenir compte pour justifier l’obligation de la maîtrise des trois langues courantes pour les avocats européens qui voulaient s’établir au Grand-Duché et s’inscrire à un Barreau grand-ducal. La Chambre des députés avait fait fi des oppositionsformelles du Conseil d’État, qui avait prévenu que les juridictions européennes n’allaient pas avaler le morceau.

Sitôt dit, sitôt fait. En septembre dernier, le couperet est tombé avec l’arrêt Wilson, un barrister anglais qui avait refusé de se présenteraux tests linguistiques du Conseil de l’ordre des avocats pour pouvoir être inscrit sur le tableau. La Cour européenne avait estimé que le Luxembourg avait violé la directive sur la liberté d’établissement des avocats dans l’Union européenne. Que de toute manière, il était interdit à l’avocat européen de traiter des dossiers nécessitant la connaissance d’une langue qu’il ne maîtrise pas. La directive prévoit aussi que l’avocat qui s’établit dans un autre pays de l’Union européenne – sous son titre professionnel d’origine – doit faire preuve de la pratique régulière en matière de droit du pays d’accueil de trois ans.

La condition restrictive des langues était donc davantage perçue comme une mesure protectionniste, surtout que la majorité des avocats étrangers se concentrent sur le droit des affaires qui présupposent surtout des connaissances parfaites en françaiset en anglais.

Le ministre de la Justice, Luc Frieden (CSV), vient de déposer un projet de loi qui devra rectifier le tir. Les entretiens oraux préliminaires à l’inscription des avocats seront en principe supprimés pour les avocats de la liste IV (les avocats européens) qui souhaitentpasser dans la liste I (les avocats à la Cour) des Barreaux nationaux.En principe, car le Conseil de l’ordre des avocats semble avoir trouvé la faille qui permettra de maintenir les tests. Le projet de loi délivre l’avocat de l’entretien oral pour son inscription sur la liste IV : « La condition d’inscription prévue (…) ne s’appliquepas aux inscriptions à la liste IV précitée. » Or, le texte ne mentionne pas l’inscription à la liste I. Le bâtonnier Guy Arendt en conclut que le test permettant au Conseil de l’ordre de vérifier la maîtrise des langues pour le passage de la liste IV à la liste I peut être maintenu.

Le député CSV Patrick Santer, le président de la commission juridique, est lui d’avis qu’il faut maintenir l’obligation de maîtrise des langues pour la liste II, les avocats stagiaires, qui ne sont pas touchés par la directive. Or, là aussi, il peut y avoir une discrimination indirecte par rapport aux avocats stagiaires étrangers parce que les Luxembourgeois sont favorisés. « Les stagiaires sont obligés de traiter un nombre de dossiers qui leur sont imposéspar le carnet de stage – pénaux, administratifs, divorces etc. – qui nécessitent un passage au tribunal, et l’assistance à des audiences de témoins qui s’expriment en luxembourgeois, explique Patrick Santer. Ce n’est pas forcément le cas d’un avocat européen qui traite uniquement des affaires financières. »

Le bâtonnier Guy Arendt et le député et avocat Patrick Santer s’accordent à dire qu’il y va de la protection du justiciable. Comment peut-il compter sur une défense crédible s’il s’avère que son avocat n’est pas capable de suivre le débat à la barre ? D’autres diront que le client, majeur et vacciné, est capable de faire lui-même la part des choses. La question qui se pose est de savoir s’il a toujours les moyens d’évaluer les capacités d’un avocat, commis d’officepar exemple.

L’argumentaire en faveur du maintien du test linguistique oral n’a pas tenu le cap une première fois. Il est fort à parier que le Conseil d’État renverra encore la copie au deuxième essai. La domiciliation des sociétés sera désormais ouverte aux avocats étrangers. 

La loi de 2002 avait limité cette activité à la liste I, ce qui a valu aux autorités grand-ducales le reproche de protectionnisme. Une critique que Patrick Santer – rapporteur du projet de loi à l’époque – n’accepte pas, car de nombreuses autres professions comme les fiduciaires, assurances, réviseurs d’entreprise etc. sont autorisées à domicilier des entreprises. « Il fallait montrer que le Luxembourg comptait régler cette activité avec le soin nécessaire pour éviter des reproches de blanchiment par des sociétés boîte aux lettres, ajoute-t-il, c’est la raison pour laquelle nous voulions limiter les autorisations aux avocats luxembourgeois expérimentés. » Guy Arendt est lui d’avis qu’il y a des brebis galeuses aussi bien dans le camp des avocats nationaux qu’étrangers et que rien ne s’oppose à cette ouverture : « Il faut rester vigilant, mais c’est surtout le Parquet qui est sollicité dans cette matière. »

Une nouveauté du projet de loi concerne le droit d’association entreles avocats. Ceux-ci peuvent former des sociétés selon le modèle soit français, soit belge. En France, les cabinets forment des sociétés commerciales à caractère civil où une entité regroupe toutes les activités et une seule clientèle. En Belgique par contre, les avocats peuvent former des sociétés à finalité simplement patrimoniale.Le Grand-Duché permettra donc un système mixte avec la possibilité de partager les bénéfices aussi bien que les responsabilités. Une association pour le meilleur et pour le pire. « Ce principe de solidarité de l’avocat avec la société n’est pas du tout ce que nous voulions, commente le bâtonnier, le texte du projet de loi est un pas en arrière que nous ne pouvons tolérer. » Cette position sera présentée au ministre dans un avis que le Conseil de l’ordre est en train de préparer. Patrick Santer est d’accord pour régler le chaos ambiant : « Actuellement, le Luxembourg regroupe des études en tout genre et le système proposé a le mérite de clarifier les structures. Mais je ne suis pas sûr qu’il faille le rendre obligatoire. Certaines études fonctionnent bien et ce n’est dans l’intérêt de personnede changer leur façon de fonctionner. »

Enfin, le projet de loi permet aussi aux études et aux avocats de s’établir dans d’autres régions que le chef-lieu des tribunaux, du moment qu’il reste dans l’arrondissement judiciaire dans lequel il est inscrit. Car jusqu’ici, la majorité des 1 200 avocats inscrits ici se trouvent à Luxembourg-ville et ne sont pas autorisés à s’installerdans d’autres agglomérations comme Dudelange, Differdange,Pétange, Bertrange, Wiltz, Remich ou Grevenmacher. Une situation anachronique comme il en existe d’autres dans le système judiciaire luxembourgeois. 

 

anne heniqui
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