Fiscalité

Mise en garde contre la tentation Rubik

d'Lëtzebuerger Land du 09.03.2012

La Commission européenne a très officiellement − et sérieusement – mis en garde le 5 mars les 27 contre la tentation de conclure des accords fiscaux bilatéraux trop ambitieux avec la Suisse, comme l’ont fait, selon elle, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Dans une lettre adressée à la ministre danoise des Finances, Margrethe Vestager, dont le pays occupe actuellement la présidence tournante de l’UE, le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, souligne que les 27 « devraient s’abstenir de négocier, de parapher, de signer ou de ratifier avec la Suisse des accords » fiscaux si certaines de leurs dispositions interfèrent avec la législation communautaire.

C’est le cas des accords « Rubik » que la Grande-Bretagne et le Royaume-Uni ont conclu cet été avec la Confédération. Ils prévoient en effet l’instauration en Suisse d’un impôt libératoire à la source sur une multitude de revenus, dont ceux, perçus sous forme d’inté-rêts, qui entrent dans le champ d’application de la réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne et de l’accord que l’UE a conclu avec la Suisse dans ce domaine, en 2004. Algirdas Semeta souligne que la Commission a eu des « discussions très constructives » avec Berlin et Londres afin qu’ils « modifient » le contenu de leurs accords, de telle sorte qu’ils deviennent eurocompatibles. « Je suis confiant qu’une solution satisfaisante sera trouvée », écrit le commissaire, dont l’objectif est de prévenir d’éventuels dérapages d’autres pays, tels que la Grèce, qui s’exposeraient à des procédures d’infraction s’ils ne font pas preuve de « prudence ». Certes, reconnaît-il, les États de l’UE sont libres de conclure des accords bilatéraux avec la Suisse, mais à condition qu’ils ne franchissent pas certaines « limites légales » qu’il détaille.

Ainsi, « en ce qui concerne les impôts directs et l’avenir », tous les secteurs et produits qui sont déjà couverts par la législation européenne sur la fiscalité de l’épargne, ainsi que ceux (contrats d’assurance-vie, fonds d’investissement, etc.) qui sont inclus dans les propositions de modification de la réglementation, dont l’UE débat depuis plus de deux ans, doivent être exclus du champ d’application de Rubik.

Concernant le passé, la régularisation des avoirs dissimulés au fisc « ne peut pas couvrir la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) », poursuit la missive, qui s’intéresse également à certaines concessions que l’Allemagne et le Royaume-Uni ont faites à la Suisse – ils se sont notamment engagés à « faciliter » l’accès des opérateurs helvétiques à leur marché national des services financiers.

Pas question pour les 27 de lâcher du lest dans des domaines qui sont déjà régis ou pourraient l’être à l’avenir par « l’harmonisation communautaire », souligne la lettre : « Le principe de la compétence exclusive de l’UE vis-à-vis de l’extérieur doit être respecté (…). Cela peut aussi concerner les services bancaires et d’investissement ». Selon nos informations, cela demeure toutefois un point de friction entre Bruxelles d’un côté, Londres et Berlin de l’autre.

En attendant, pour la Commission, c’est l’évidence même : seule l’union fera la force face à Berne, passé maître dans l’art de diviser pour régner. Dans ce contexte, Algirdas Semeta estime qu’il est « plus que jamais nécessaire de donner une haute priorité au Conseil » des ministres des Finances de l’Union à l’octroi à la Commission du mandat de renégocier avec la Suisse l’accord sur la fiscalité de l’épargne qui la lie à l’UE. Le dossier est bloqué depuis trois ans par le Luxembourg et l’Autriche et ne sera sans doute pas examiné comme prévu le 13 mars par les grands argentiers communautaires.

Le commissaire a reçu le 5 mars le plein soutien de la présidente de l’influente commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, la libérale britannique Sharon Bowles.Invitée à prendre la parole au Forum fiscal de Bruxelles, elle a déclaré que la majorité des eurodéputés voient « d’un mauvais œil » les accords Rubik, qui, pour peu qu’ils entrent en vigueur, offriront à Londres et Berlin l’avantage de regarnir leurs caisses, mais mettent à mal la sacro-sainte « méthode communautaire » que Strasbourg a toujours défendue.

Tanguy Verhoosel
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