La Villa Vauban rouvrira début mai

Revalorisation d’une collection et d’un site

d'Lëtzebuerger Land vom 25.03.2010

Lorsque le 1er mai prochain, l’ancienne villa Mayer rouvrira officiellement ses portes, le titre « Musée Jean-Pierre Pescatore » aura disparu. Les quelque 300 visiteurs que l’architecture d’exposition pourra accueillir découvriront un lieu qui aura évolué d’une « galerie municipale de peinture » vers un « Musée d’art de la Ville de Luxembourg ». Un musée qui existe pour la simple raison que la Ville de Luxembourg a bénéficié en 1853 d’un legs d’une collection de beaux-arts d’une valeur estimable qu’il fallait abriter. Ce legs est celui d’un bourgeois et homme d’affaires dont le nom est toujours lié au quotidien des citadins luxembourgeois.

La collection Jean-Pierre Pescatore est un témoignage d’époque, presque intégrale dans sa composition d’origine. Elle reflète aussi bien des goûts personnels que des modes du XIXe siècle. Elle se compose aussi bien de tableaux anciens que de travaux de commande. Et c’est cet aspect, au premier abord très hétéroclite, qui fait son intérêt particulier.

Au début, rien ne prédestinait Jean-Pierre Pescatore à devenir le collectionneur qui allait donner son nom au premier musée des beaux-arts à Luxembourg en 1871. Il est un des rares Luxembourgeois à s’enrôler volontairement dans les armées napoléoniennes, alors que le Luxembourg est occupé sous le nom de « Département des forêts », et il s’y engage deux années après le décès de sa mère. À seize ans, le jeune Pescatore se retrouve en pleine campagne d’Espagne lorsqu’il apprend le suicide de son père, Dominique-Marie qui se noie dans la rivière Alzette. En 1814, orphelin, ayant passé cinq années dans les armées de l’ogre, sans éducation scolaire, le Chef Maréchal-des-Logis Jean-Pierre Pescatore est identifié comme déserteur d’une armée dont le chef militaire a capitulé deux mois plus tôt. Comme citoyen luxembourgeois, il revient dans sa ville natale pour s’y associer avec son frère Antoine, qui y fera plus tard une carrière politique pour devenir bourgmestre.

Mais en attendant, les frères Pescatore reprennent la manufacture de tabacs de leur grand-père. Cette manufacture, mais surtout le négoce du tabac seront la première source de richesse pour la famille Pescatore au Luxembourg. En 1822, ils se lancent dans les affaires bancaires et fondent une société qui unit leurs activités en une « Bank und Tabakmanufaktur » qui existera jusqu’en 1841. Entre-temps, Jean-Pierre Pescatore est en train de devenir un des représentants très influents de la première bourgeoisie de la ville. Membre de la loge, co-fondateur de la « société littéraire », il fait preuve d’un talent particulier à monter l’échelon social. Lorsqu’en 1833, il choisira le camp orangiste afin d’éviter un démembrement du pays, il fera valoir un début d’influence internationale, notamment par des contacts envers la cour de Guillaume II, mais aussi par ses contacts financiers à Paris. Si le traité de 1839 rend caduc son négoce de tabac avec ce qui est désormais le Luxembourg belge, Pescatore reste néanmoins le seul banquier au Luxembourg. Et c’est au début des années 1840 qu’il va définitivement quitter son pays natal pour la France. En 1841 il va acheter les premiers tableaux de ceux qui vont constituer sa collection d’art.

La collection de tableaux sera un des passe-temps qui font la nouvelle identité sociale de Jean-Pierre Pescatore. Nouveau propriétaire d’un hôtel particulier dans le quartier de la haute finance à Paris, son succès dans les affaires va lui permettre, en 1844, l’acquisition du château de La Celle Saint-Cloud un domaine d’environ 150 hectares, qui sera le site ou il va installer et entretenir à grands frais un élevage d’orchidées qui fera une bonne partie de sa réputation à l’époque. Aux beaux-arts et aux orchidées viendra s’ajouter une autre passion en 1847, qui sera le domaine viticole du Château Giscours dans le bordelais. Jean-Pierre Pescatore parviendra à faire retenir le Château Giscours comme troisième cru classé en 1855, l’année de sa mort. Il semble que pendant les quinze dernières années de sa vie, Pescatore donne de lui la parfaite image du bourgeois qui éclipse la noblesse en se construisant une image publique à travers non seulement ses succès financiers, mais aussi à travers ses passe-temps à la mode de son époque.

La collection d’objets d’art de Jean-Pierre Pescatore donne la mesure de son évolution dans la haute bourgeoisie parisienne. Elle constitue un des moyens de s’initier et de s’adapter à ce milieu qui est aussi celui des acquisiteurs du Salon de Paris. La collection Jean-Pierre Pescatore est ainsi à l’image d’une partie de la biographie de son auteur. Un élément qui n’était jusqu’alors que secondaire, voire absent de la présentation de celle-ci. La Villa Vauban, en tant que Musée d’art de la Ville de Luxem­bourg, devra entreprendre cette remise en contexte, d’une collection bourgeoise du XIXe siècle.

L’exposition inaugurale du nouveau site de la Villa Vauban sera intitulée The Golden Age Reloaded, titre choisi en allusion à une partie importante de la collection Jean-Pierre Pescatore, composée d’œuvres de peintres comme Cornelis Bega, Pieter Codde, Gerrit Dou, Willem Romeyn et Adam Pynacker. Ce même Pynacker qui faisait partie du choix de tableaux qui avaient constitué l’exposition Het gedroomde land, qui avait eu lieu en 1993 au Musée national d’histoire et d’art. Depuis, le public luxembourgeois n’avait que peu l’occasion de voir des oeuvres du XVIIe siècle hollandais dans nos institutions. En effet, après avoir servie de lieu de résidence au grand-duc entre 1991 et 1995, la Galerie d’art municipale n’a jamais recouvert le succès qu’elle avait eu parmi les amateurs d’art au Luxembourg, essentiellement pendant les années 1960 et 70.

L’exposition permanente de la collection d’art, dont font également partie les legs de Leo Lippman et d’Eugénie Dutreux-Pescatore, n’avait plus la même force d’attraction après la première année culturelle qu’auparavant. La rénovation et la transformation de la Villa Vauban ont clairement été réalisés dans le but de revaloriser ce patrimoine. Une revalorisation qui se traduit par une restauration, en 2009, de plusieurs tableaux du XVIIe siècle, mais aussi par la fabrication de nouveaux cadres dans le style de l’époque. Une bonne partie des cadres du XIXe, surchargés en dorures, seront ainsi remplacés pour donner effet stylistique plus sobre, qui devrait faciliter la concentration du spectateur sur le tableau en soi.

Cette dernière étape constitue la finalisation du procédé de muséification entamé depuis les dernières années. La collection de quelque 300 pièces sera présentée dans un état tel que les collectionneurs à l’origine ne l’ont jamais connu. À l’époque de leur acquisition, les tableaux anciens de la collection avaient souffert et leur état général devait être bien différent de l’actuel. Les nouveaux espaces de la Villa Vauban ont définitivement acquis un statut de salle d’exposition, là ou le caractère de demeure bourgeoise était encore plus palpable lors des années 1960 aux années 80.

L’architecture contemporaine de Diane Heirend et Philippe Schmit, la revalorisation du site dans son contexte du parc municipal créé par Edouard André (1840-1911), mais aussi une approche muséographique contemporaine, revendiquée par la nouvelle curatrice de la collection, Eva Maringer, sont des éléments essentiels de la stratégie du renouveau de la Villa Vauban après les cinq années passées à rénover et à agrandir le site.

Le nouveau programme d’exposition présentera une intégration d’œuvres de la collection à des collections invitées. La classique exposition permanente a disparu comme l’ancien nom du lieu. Il s’agit maintenant d’expliquer des motifs apparemment secondaires, mais essentiels, comme la passion d’un collectionneur et ses motivations. En ce qui concerne les collections, des tableaux choisis seront mis en avant et présentés dans un contexte non seulement historique mais également technique. Cette « vie des tableaux » devrait faire partie de la nouvelle communication qui vise un public de personnes âgées, mais également celui des jeunes professionnels qui n’auraient à leur disposition qu’un temps de visite réduit. Un espace pour les ateliers d’enfants fait partie intégrante de la nouvelle architecture et la Villa Vauban bénéficie de l’expérience qu’a pu acquérir ces dernières années l’équipe du Musée d’histoire de la Ville de Luxembourg.

Mais la grande difficulté pour cette nouvelle institution sera certainement celle de fidéliser un public au-delà d’une visite de courtoisie ou de curiosité.

www.villavauban.lu
Christian Mosar
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