Dans les méandres de la politique locale eschoise

Match à domicile

d'Lëtzebuerger Land vom 15.09.2017

Pour Vera Spautz (LSAP), promue maire de la ville d’Esch-sur-Alzette après la nomination de Lydia Mutsch (LSAP) comme ministre de la Santé en décembre 2013, les communales auront valeur de test de popularité. Mais elles détermineront aussi sa capacité à s’imposer face à un collège échevinal souvent désaccordé. Avec le président de l’OGBL, André Roeltgen, et le ministre de l’Intérieur, Dan Kersch (LSAP), elle est issue de la génération du Escher Jugendhaus de la fin des années 1970. Une clique de jeunes apprentis et élèves rassemblés autour de la revendication d’un centre autogéré et qui se situaient politiquement quelque part entre le KPL et le LSAP. L’ancienne syndicaliste et députée continue d’incarner – presqu’à elle seule – le courant des « socialistes de gauche » qui paraissait anachronique mais qui, après les demi-succès de Jeremy Corbyn en Angleterre et de Bernie Sanders aux États-Unis, a fait un retour sur la scène politique internationale.

Le LSAP (9 mandats, 38,5 pour cent en 2011) devrait pouvoir défendre son hégémonie sur Esch-la-Rouge. « Sie sinn hei doheem », dit, résigné, le conseiller communal du DP, Pim Knaff. Le LSAP eschois reste enraciné dans une tradition syndicale et un radicalisme régional. Or, les disputes entre camarades sont fréquentes. En décembre 2013, à l’issue d’un combat interne, Dan Codello avait ainsi réussi à arracher le poste d’échevin à Taina Bofferding, bien que celle-ci avait reçu plus de voix aux communales de 2011. La force du LSAP est donc relative ; elle doit beaucoup à la faiblesse de ses concurrents.

Déi Gréng (2 mandats, 12,5 pour cent) se présentent sans les stars politiques Felix Braz et Muck Huss. Leur échevin actuel, Martin Kox, donne l’impression d’un homme prudent, peu à l’aise dans ses interventions orales. Face à trois échevins et une maire socialistes, le chirurgien à la retraite se retrouve dans une position inconfortable. Alors que les relations entre Lydia Mutsch et Felix Braz, puis entre Vera Spautz et Muck Huss étaient relativement chaleureuses, un certain froid semble depuis s’être installé. Ce samedi, lorsque RTL-Radio demandait à la maire si elle comptait poursuivre la coalition avec les Verts, celle-ci répondait sèchement : « Cela dépend de ce que l’électeur décide pour Déi Gréng ».

Manuel Huss, qui avait repris le siège laissé vacant par son père, Muck, démissionnera après neuf mois. L’avocat Luc Majerus lui aura succédé. En janvier 2015, dans son discours d’inauguration, Majerus s’était présenté comme « ein Freund des Baumes und alle Freunde der Bäume sind meine Freunde ». Le procès verbal de la séance a consigné ce sermon surréaliste : « Sodann fordert et viel mehr Respekt für jede Hecke, jeden Baum und auch jeden Raben ». Et de poursuivre : « Herr Majerus teilt jedoch nicht alle sogenannten ‘grünen’ Ideen, y lit-on. So fährt er gerne Auto und ist auch nicht kategorisch gegen Atomkraft. » Martin Kox était livide. Il est le fils d’Elisabeth Kox-Risch (CSV), figure de proue de la lutte contre la centrale atomique à Remerschen. « Dat war eng onméiglech Ausso, juge-t-il aujourd’hui. Et de souligner qu’après la séance, il aurait « sévèrement lavé la tête » à son collègue vert.

Déi Lénk (2 sièges ; 10,9 pour cent) viennent de diluer leur principe anti-cumul pour rendre possible une coalition avec le LSAP à Esch. Ce changement des statuts, entériné en mars 2017, est taillé sur mesure pour permettre au député Marc Baum de devenir échevin. Celui-ci évoque le « potentiel d’une politique progressiste, de transformation ». Politiquement et personnellement, Marc Baum et Vera Spautz sont proches et les critiques du conseiller de Déi Lénk visent d’avantage le bilan de Lydia Mutsch (« du bling-bling libéral dans une ville ouvrière »).

Le CSV (4 mandats, 19,2 pour cent) se présente avec une liste faible. Pourtant, sur les dernières décennies, la section eschoise avait fourni des poids lourds comme Viviane Reding, Michel Wolter et François Biltgen au parti. Georges Mischo, la tête de liste actuelle, reste un parfait inconnu au niveau national. Mais, à Esch, son nom de famille est connu. En 1999, son père, Josy Mischo, avait fait sauter l’espoir du CSV d’enfin briser l’hégémonie socialiste. Pour la première fois depuis 1920, les chrétiens-sociaux avaient alors dépassé les socialistes en nombre de voix. Mais, furieux de ne pas avoir été retenu pour un poste d’échevin – auquel il estimait que son bon score lui donnait droit –, Josy Mischo claquait la porte et se déclarait indépendant. Ady Jung, alors chef de fil du CSV, fit ensuite une révélation étonnante : durant des années, il avait versé une rente mensuelle de 5 000 francs luxembourgeois à son camarade de parti afin que celui-ci lui laisse libre champ. Le CSV ne réussissant pas à constituer une majorité, de nouvelles élections furent organisées à l’issue de laquelle le LSAP, les Verts et Déi Lénk formèrent une coalition.

Le DP reste insignifiant à Esch où les libéraux n’avaient réussi à récolter que 7,5 pour cent des voix (1 mandat) aux dernières communales. Autrefois le repaire de la notabilité locale, la liste DP ne se distingue plus que marginalement de celles des concurrents de par sa composition sociale. Fait remarquable, surtout par rapport au voisin lorrain, la droite populiste n’a jusqu’ici pas réussi sa percée. Aux dernières élections, avec un Aly Jaerling qui avait fait bande à part, l’ADR n’avait recueilli que 3,85 pour cent des suffrages, moins que le KPL (5,25 pour cent, 1 mandat).

Une coalition noire-verte-bleue serait-elle une option ? L’été dernier, des rumeurs disaient qu’elle se préparait dans les coulisses. « Martin Kox nous avait demandé un moment si on pouvait se l’imaginer. Or personne n’a pris d’initiative », dit Georges Mischo. Martin Kox dément cette version des faits. Il n’aurait jamais approché le CSV, ce serait plutôt le CSV qui l’aurait approché, lui. Mais, ajoute-t-il immédiatement, il n’y aurait jamais eu de réunion. Arithmétiquement, une coalition sans LSAP paraît peu probable. Car il faudrait que le LSAP perde trois sièges ce qui, malgré leurs baisses dans les sondages nationaux, équivaudrait à un tremblement de terre. « Le problème, c’est que pour le LSAP une coalition est toujours un moyen pour remettre à sa place [stutzen] un autre parti », estime Pim Knaff, tête de liste du DP.

Les deux scénarios les plus réalistes pointent vers une coalition rouge-rouge ou rouge-noire. Si la première variante correspond aux sensibilités politiques de la maire, la seconde constituerait une assurance pour l’après 2018 et le probable retour du CSV aux manettes du pouvoir.

Bernard Thomas
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