Art moderne

L’imaginaire breton ou celte…

d'Lëtzebuerger Land vom 05.04.2019

Il est quelque 500 sites mégalithiques du nord au sud du Morbihan, des alignements de menhirs de Carnac au cairn de Gavrinis, les lieux de Bretagne peut-être les plis connus. Ils sont en rapport direct avec l’art de Loïc Le Groumellec, dans cet ordre d’ailleurs, il est passé dans sa peinture des pierres dressées au tumulus de Larmor-Baden, dolmen à long couloir. Il y eut de longues années durant les menhirs de Loïc Le Groumellec, ces pierres plantées verticalement, avec juste ce qu’il fallait comme ancrage dans le sol ; il y eut également telles figurations de maison, très schématiques, elles ne purent rivaliser toutefois. Silhouettes de maison, menhirs des fois surmontés d’une croix, tels des signes, des symboles (vite accédés à l’universalité), s’élevant dans quelque lande in(dé)finie, sujets d’une peinture qui allait résolument dans le sens de la réduction. Et ne reculait pas devant une incessante répétition, il est ainsi des artistes qui s’acharnent, n’en ont jamais fini.

Aujourd’hui, dans l’exposition parisienne, de la galerie Karsten Greve, l’exercice est pareil, cette fois-ci avec l’autre type de mégalithe, et plus précisément le dolmen et son monticule de Gavrinis, monument funéraire érigé il y a plus de 6 000 ans. Où Loïc Le Groumellec s’attache à la profusion des ornementations gravées en les transférant, les traduisant dans ses toiles. En fait, l’artiste, né lui-même à Vannes, poursuit ce qui s’apparente à une mise à l’épreuve, de l’imaginaire breton ou celte par ou dans la peinture ; à moins que ce ne soit exactement le contraire, mise à l’épreuve de sa peinture, de la peinture en général, de son extrême réduction, de forme, de couleur, dans la confrontation avec un passé, son esthétique, et plus que cela, sa mythologie, immémoriales.

Le terrain est propice à pareil exercice, il s’avère vite autant spirituel qu’autre chose. Car il est là un message indéchiffrable. Inspecteur des monuments historiques au milieu du XIXe siècle, Prosper Mérimée signalait déjà ces parois sculptées, couvertes de dessins bizarres, « des courbes, des lignes droites, brisées, tracées et combinées de cent manières différentes ». Dessins qui se retrouvent sur les toiles de Loïc Le Groumellec, écritures (c’est le titre que l’artiste leur a donné), d’un texte restant définitivement mystérieux. Mais dans les bandes verticales, c’est la peinture qui d’un coup s’anime, c’est elle qui se révèle, dans sa propre densité, tout aussi mythique. Et peut-être que ces signes sont comme le dit Roger Caillois, « non seulement d’avant l’écriture, mais d’avant le dessin ». Ce qui ramènerait l’art de Loïc Le Groumellec loin en arrière, à l’origine même.

L’exposition de la sorte nous fait rebrousser chemin, longuement, sans destination fixée ; elle prend elle-même allure de cheminement, jusque dans son titre de Reposoirs de la procession. Des toiles de format plus petit sont en effet prises dans des sortes de huttes faites de branches, de chapelles si l’on veut aller dans un sens religieux (très large) ; il est vrai que ces reposoirs-là en rappellent d’autres, des grands pardons bretons où les chapelles abritaient des images saintes, des statues. « Ce n’est pas tant le tableau posé à l’intérieur… qui serait sacralisé », s’empresse de dire Loïc Le Groumellec ; juste un moment de halte, de recueillement.

Pour ses menhirs, naguère, bien sûr que le rapprochement a été souvent fait avec l’acharnement d’un Morandi de peindre ses vases, ses bouteilles. Là, je me suis mis à penser à d’autres reposoirs, de marbre, sans rien dedans, il n’est que la pierre et le reflet qu’elle rejette. Ils sont de Rückriem. Reposoirs d’une procession au Kirchberg. Tous ces artistes, on en trouverait d’autres, ont en commun une certaine radicalité. Sans concession, ils nous entraînent au loin, nous emportent au plus profond des interrogations, où l’art finit par rejoindre inévitablement la vie.

L’exposition Loïc Le Groumellec, Les reposoirs de la procession, dure encore jusqu’au 11 mai chez Karsten Greve à Paris, 5, rue Debelleyme, troisième ; galerie-karsten-greve.com.

Lucien Kayser
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