Nourrissage du gibier

Sonnette d’alarme

d'Lëtzebuerger Land du 15.02.2007

Toutes méthodes de nourrissage confondues, les experts arriventà la conclusion que le gibier grand-ducal est engraissé durant toute l’année par la main des chasseurs. Ce qui relativise le concept d’animal sauvage en soi. Vue sous un angle purement économique, la pratique du nourrissage massif (nourrissage en période de disette, nourrissage « dissuasif », agrainage, gagnages artificiels etc.) représente un investissement énorme. On peut donc aisément comprendre que les chasseurs exigent une garantie de réussite lors de leurs sorties, un return on investment qui vaille la peine, avec des trophées impressionnantes comme bonus.

Seulement, cette pratique devient de moins en moins populaire. D’une part parce que l’explosion démographique des sangliers, cerfs et chevreuils est la première cause des importants dégâts causés non seulement à l’agriculture, mais aussi aux forêts. Car le gibier est en train d’engloutir son espace vital. Même si les agriculteurs sont remboursés – selon un système de financement indirect alimenté par les chasseurs –, il n’en est rien de la flore dévastée dans les bois. Le groupe mammalogique du Musée national d’histoire naturelle vient d’élaborer un rapport sur la problématique du nourrissage du gibier dans lequel il rend attentif aux conséquences dramatiques de la surpopulation sur tout le système écologique et notamment sur la régénération des forêts. C’est la raison pour laquelle il plaide pour une interdiction pure et simple du nourrissage, sauf pour la vaccination, qui devra être ancrée dans la loi sur la chasse à venir.

Même son de cloche de la part de l’association des Universitaires au service de l’administration des Eaux et Forêts (Ausaef) qui, sans mettre en question la chasse en elle-même, estime que « des pratiques telles que le nourrissage, le lâcher illégal de gibier, la mentalité visant de beaux trophées (…) etc. ne sont pas compatibles avec la protection de la nature. » Un discours sans concessions rappelant que le droit de la propriété prime sur le droit de chasse, que les chasseurs ont le droit de chasse mais pas le droit de police des forêts, que les jeunes chasseurs doivent être formés « par des services étatiques compétents et non pas par des membres du milieu associatif de la chasse ». L’association plaide pour une politique de transparence face au public (publication régulière des données sur la chasse, des plans de tir, des dégâts et de la densité du gibier), n’hésite pas à mettre en cause la composition actuelle de la Commission cynégétique (quatre représentants de la Fédération des chasseurs et un seul représentant de l’administration des Eaux et Forêts) et réclame un plan de tir minimal fixé selon des critères scientifiques.

Ces deux prises de position d’experts se basent sur des études scientifiques réalisées en grande partie sur le territoire grand-ducal. Elles ont le mérite d’orienter le débat sur un terrain autre que les discours émotionnels et les éternelles querelles entre les chasseurs et leurs opposants. Elles permettent aussi de sortir le débat politique du flou dans lequel il s’était enlisé. Les Verts ont sauté dans la brèche, reprenant l’essentiel de ces conclusions. Après le colloque-débat d’orientation fin mars (d’Land 12.01.07), les députés adresseront leurs recommandations au ministre Lucien Lux pour réformer la loi sur la chasse. 

 

anne heniqui
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