Pourquoi se marier le jour de la fin du monde

For ever Juliette

d'Lëtzebuerger Land vom 22.06.2000

C'est arrivé près de chez nous. Place de Strasbourg, pour être exacte. Un soir, Juliette s'y fait renverser par une voiture, sous la pleine lune à peine voilée par quelques nuages fuyants. Comme elle, qui ne cesse de fuir Guido, l'irascible qui vient de resurgir du passé. Arrive Gaspard, l'ambulancier dans tous les sens du terme. Il la sauve, elle ne veut plus qu'il la quitte, parce qu'elle a peur dans le noir. Parce que Guido, son frère possessif l'opprime, lui interdit de vivre, de respirer même, de peur qu'elle ne se salisse ou prenne froid.

Juliette entraîne Gaspard dans une histoire qui est bien trop grande pour lui. Les passions incontrôlables, les peurs inconscientes de cette famille vont le faire basculer dans son côté sombre qu'il ignorait. Pourquoi se marier le jour de la fin du monde, le deuxième long métrage du réalisateur belge Harry Cleven (après Abracadabra en 1991) raconte cette histoire d'amour-haine à trois sur le mode du conte expressionniste. 

Le bon (Jean-Henri Compère), la brute (Pascal Greggory, transpirant la folie furieuse) et la belle (Elina Löwensohn) vont se chercher et se cacher, s'affronter et s'aimer en noir et blanc, à grain (gros) et contraste (fort) très expressif. Où l'on apprend que l'amour fait toujours mal, qu'à force de vouloir trop protéger, trop choyer l'être aimé, l'amoureux transi risque de l'étouffer. 

Harry Cleven fait voyager la narration tour à tour dans l'inconscient des trois personnages, qui eux, deviennent méchants, redoutables, affaiblis. Cleven essaie de montrer l'invisible, d'attraper l'inaudible de ce qui se passe entre les personnages, son univers du rêve (cauchemardesque souvent) est peuplé d'archétypes visuels - les roses de Juliette (déjà, ce nom...), les flous, les murs en décrépitude, des tunnels qu'une voiture traverse en toute vitesse. Il pose des questions essentielles aussi, comme celle de la bonté et les limites de l'altruisme. 

Même si visuellement, Pourquoi se marier... est virtuose, souvent proche de la perfection, si les images rayonnent et émeuvent, même si les dialogues touchent parfois un nerf juste, le film agace souvent. Par ses silences prolongés peut-être, qu'on n'a plus l'habitude d'entendre au cinéma. Par son académisme un peu surfait aussi, ce qui le rend rigide au lieu de le rendre charnel. Et par son absence d'histoire forte, la seule passion nous laissant souvent sur notre faim. Bien qu'intriguant, le film en est alors réduit à un exercice de style, à la création d'un univers coupé du monde, dans lequel les personnages se limitent à essayer d'exister dans les yeux de l'autre. 

Et pourquoi la place de Strasbourg dans tout ça alors ? Parce que Pourquoi se marier le jour de la fin du monde - comme déjà son prédécesseur Abracadabra - est une coproduction luxembourgeoise (samsa film, avec Artémis Bruxelles).

 

Le film a été montré une première fois en clôture du festival Cinénygma le 8 avril dernier et a tenu une seule semaine (celle-ci) à l'Utopia.

 

josée hansen
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