Luxemburgensia

La revue comme guide poétique

d'Lëtzebuerger Land du 02.04.2010

Le deuxième numéro de la revue littéraire luxembourgeoise Transkrit vient de paraître, et le travail s’avère, cette fois-ci, bien mieux fait. Petit rappel : il y a un an, ladite revue a vu le jour (d’Land du 27 mars 2009). Selon son comité de rédaction, composé presque exclusivement d’auteurs des éditions Phi (la bande à Portante, dira-t-on en se servant d’un mauvais jeu de mots), elle est née de la nécessité de fournir à notre paysage culturel un outil permettant de (re-)lancer le débat littéraire, quasi inexistant, ainsi que de permettre, grâce au multilinguisme proprement luxembourgeois, un dialogue croisé entre cultures, entre langues, en proposant, comme pour les ouvrages académiques, des « versions bilingues » de textes de figures majeures de la poésie contemporaine. Malheureusement, même si ce dessein avait été à peu près atteint, le résultat (à savoir la revue elle-même) ne laissait pas de surprendre par son manque de professionnalisme et son aspect un peu débraillé.

Rien de tout cela, pour ce nouveau numéro, d’une mise en page plus soignée et d’une présentation plus élégante. Les nécessités qui ont présidé à la création de la revue sont restées les mêmes, cependant : il s’agit toujours de l’ouverture sur le monde d’un côté, et de l’exploration du domaine encore assez mal connu qu’est la littérature luxembourgeoise de l’autre.

Ouverture sur le monde donc : Transkrit propose une mise au jour de textes difficilement accessibles, comme par exemple des traductions en allemand de poèmes de Michel Deguy (présenté par Jean Portante), un des plus importants poètes et philosophes français contemporains, et des traductions en français de textes de Durs Grünbein (présenté par Jean-Yves Masson, professeur à Paris IV), poète allemand à la carrière fulgurante, qui connaît un grand succès en librairie, ce qui est une chose étonnante de nos jours en poésie.

Mais ce n’est pas tout : le propos de la revue Transkrit est également de faire découvrir des textes qui proviennent de plus loin que du voisin immédiat et qui n’auraient, « sans le miroir de la revue littéraire et de la traduction », comme le dit l’éditorial, aucune possibilité d’être lus en dehors du propre pays (ou de la propre langue). Les poèmes de l’Indien Sunil Gandopadhyay, traduits en français et présentés par Sumana Sinha, en sont un exemple. Dans ce but, la revue présente également une nouvelle rubrique, « Coups de cœur » : il s’agit de rassembler quelques brefs textes de ce qui se fait de par le monde. Ainsi nous y trouvons des poèmes du Cubain Víctor Rodríguez Núñez, du Belge David Beeschops, de l’Argentin Jorge Boccarena, de l’Autrichien Wolfgang Ratz et de la Bulgare Tzveta Sofronieva. Cette nouvelle rubrique remplace celle des « compte-rendus » du premier numéro, rubrique certes un peu superflue, mais qui permettait du moins de donner la parole à d’autres membres de la rédaction que Jean Portante.

Quant à la littérature luxembourgeoise, Transkrit rend hommage à l’écrivain de langue allemande Rolph Ketter, un des co-fondateurs du Lëtzebuerger Schrëftstellerverband, décédé en 2008, en publiant une série de textes fragmentaires inédits, ainsi que l’oraison funèbre qui a été tenue par Michel Clees, lors des funérailles du 12 septembre 2008. L’écriture de Rolph Ketter se démarque moins par sa recherche proprement formelle que par une grande intransigeance vis-à-vis de toute forme d’injustice, qu’il n’hésite pas à peindre d’un réalisme horrible et nauséabond. Plusieurs photographies de son frère, Norbert Ketter, accompagnent ses textes.

Transkrit est, somme toute, une revue spécialisée dans le domaine de la poésie, et en tant que telle sa mission (c’est-à-dire : être lue) sera probablement difficile, même si ce deuxième numéro offre un solide choix de textes, et de traductions de textes, d’une grande qualité, ainsi que nombre de découvertes à faire. Il faut peut-être considérer Transkrit comme une sorte d’amuse-bouche, ou, pour employer une comparaison plus noble, comme un guide de lecture, comme d’autres utilisent un guide de voyage pour se rendre à quelque endroit féerique.

Transkrit : 02 ; Centre culturel Kulturfabrik, février 2010, 170p. ; ISSN : 2073-0829 ; 12 euros ; abonnement : 30 euros pour trois numéros
Ian de Toffoli
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