Exposition

Hockney, bien au-delà du pop art

d'Lëtzebuerger Land vom 15.09.2017

Une piscine, un plongeoir, et une gerbe d’eau sous un soleil que l’on imagine brûlant. Parmi les amateurs de peinture qui n’en sont pas pour autant des spécialistes, nombreux sans doute sont ceux à associer spontanément David Hockney à cette icône (au double sens d’image et d’archétype) de l’art moderne. Un style immédiatement reconnaissable, avec de grands aplats de couleur, qui l’identifie au pop art.

Pourtant, la toile qui a figé dans le temps l’idée que beaucoup se font d’Hockney n’est qu’une partie de son œuvre. Un moment, le début des années 1970 ; deux palmiers californiens qui en cachent la forêt bigarrée. Au-delà du pop art, bien au-delà, c’est le grand mérite de la « Rétrospective » consacrée au peintre anglais, jusqu’au 23 octobre au Centre Pompidou, de le mettre en évidence : en p résentant une sélection de toutes les périodes, depuis les dessins d’adolescence jusqu’aux peintures les plus récentes (l’une de 2017, année de ses 80 ans), elle rend compte de l’extrême créativité de l’artiste. Curieux, désireux de multiplier les styles, les formes et les supports, à l’instar d’un Picasso dont une exposition de 1960 l’a fortement marqué en ce sens, il va jusqu’à théoriser cet éclectisme sous le concept de « versatilité » dont il fait, si l’on peut dire, une marque de fabriques.

Evidemment, les visiteurs venus contempler le célébrissime A Bigger Splash (1967), Le Nid du duc (1971) ou Portrait of an artist (Pool with two figures) (1972) ne seront pas déçus : ces grandes toiles peintes au rouleau et à l’acrylique sont là, qui l’ont rapproché du pop art. Mais il n’en est pas l’une des figures les plus centrales, comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein. Et pour cause : de ses gravures à ses installations vidéos, en passant par ses mosaïques de photos, il nous propose d’autres recherches, d’autres visions.   

Né le 9 juillet 1937 à Bradford, dans le nord de l’Angleterre, Hockney réalise très jeune des peintures de réalisme social, avant de passer à Londres à la série des Love Paintings, aux références homosexuelles explicites. Les fellations de Cleaning Teeth ; Early Evening (1962) sont pratiquées sur des sexes représentés par des tubes de dentifrices. C’est l’époque où l’artiste se peroxyde les cheveux. Après son premier séjour en 1960 à New York, aux mœurs libres, il réalisera les gravures du cycle A Rake ‘s Progress, qui font écho à celles de William Hogarth dans le Londres libertin des années 1730.  

C’est ensuite en Californie que s’ouvrira la page la plus connue de son œuvre, entre attrait pour les piscines, l’élément liquide, et mode de vie hédoniste. Mais au bout de quelques années, il se retrouve de son propre aveu dans une impasse : désireux de dépasser le naturalisme, il choisit d’utiliser la pratique photographique - qu’il accuse d’avoir systématisé la perspective classique – en quelque sorte contre elle-même. Dans la séries de « Joiners », il reconstitue un portrait, une scène ou un paysage à partir d’une multitude d’instantanés juxtaposés. Cette mosaïque de clichés, sorte de cubisme photographique, multiplie angles et points de vue. Une approche qui n’est pas mineure dans l’œuvre d’Hockney : c’est un de ces tableaux, représentant la mère de l’artiste, qu’Ernst Gombrich a choisi pour l’illustrer, dans son incontournable et classique Histoire de l’art.

Dès lors l’artiste anglais cherchera sans relâche à remettre en question la perspective classique de l’art occidental, en expérimentant différents types de « perspectives inversées », comme dans les toiles telles que Nichols Canyon (1980), où il s’efforce de retranscrire les différentes visions d’un œil en mouvement lors d’un trajet en voiture.

En 1997, quittant le soleil quasi permanent de Californie pour rendre visite à un ami malade dans son Yorkshire natal, il y redécouvre le passage des saisons et la beauté des paysages anglais d’un John Constable. À Beaubourg, Bigger Trees Near Warter (2007), sa plus grande peinture, composée de 50 panneaux, et l’installation vidéo The Four Seasons, Woldgate Woods (2010-2011) sont des expériences à couper le souffle. C’est aussi l’époque où ses recherches picturales et historiques aboutissent à la publication de Savoirs secrets : les techniques perdues des maîtres anciens (Le Seuil), où il formule l’idée que les avancées techniques ont influencé la production des images bien avant l’invention de la photographie. Dommage que les visiteurs eux-mêmes ne puissent pas prendre de clichés. « C’est l’artiste qui l’a réclamé », nous assure-t-on dans l’exposition.

Ces dernières années, Hockney peint tel un fauve, avec des bleus et des jaunes vifs, comme dans Interior with a Blue Terrace, ou Annonciation 2 d’après Fra Angelico. L’exposition se termine, on mesure combien son éclectisme et ses recherches théoriques ont fait de lui un grand artiste, à la hauteur d’un Jean Dubuffet, d’un Francis Bacon ou d’un Henri Matisse qui l’ont influencé. En embrassant l’histoire de la peinture.

Emmanuel Defouloy
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