Chronique Internet

L’insistante rumeur d’un FacebookCoin

d'Lëtzebuerger Land vom 12.04.2019

Selon des rumeurs persistantes, Facebook se préparerait à lancer une cryptomonnaie. Il s’agirait, selon des sources citées par un journaliste du New York Times, d’un « stablecoin » doté d’un taux de change fixe par rapport à un panier de devises conventionnelles. Il serait garanti par des collatéraux, également en monnaies conventionnelles, pour lesquels le réseau social de Mark Zuckerberg serait actuellement à la recherche de 1 milliard de dollars.

L’univers crypto et blockchain, un marché hautement spéculatif, bruisse en permanence de rumeurs les plus folles qu’il vaut mieux ignorer la plupart du temps tant elles sont fantaisistes ou manipulatrices, quand ce n’est pas les deux à la fois. Mais en l’occurrence, s’agissant du plus puissant des réseaux sociaux, assimilé par certains à une structure paraétatique globale émergente, et d’un des poids lourds de la bourse américaine, autant s’y arrêter pour essayer de comprendre ce qui se trame.

Facebook a créé en mai 2018 une équipe blockchain pour explorer le potentiel de la technologie. En décembre dernier, Facebook a annoncé vouloir renforcer cette équipe en lui adjoignant des experts dans les domaines du traitement des données, du développement logiciel et du marketing. Cinq autres postes ont été annoncés en mars, portant les effectifs de l’équipe dédiée à vingt-cinq.

Bloomberg croyait savoir, fin 2018, que celle-ci se concentrait sur la possibilité d’organiser des transferts d’argent sur Whatsapp pour le marché indien. Là aussi, on parlait d’une cryptomonnaie dotée d’un taux de change fixe par rapport aux devises classiques. Un des marchés visés pouvant être celui des envois d’argent de migrants indiens à leurs familles. À présent, il semblerait que ce soit le navire amiral, avec ses plus de deux milliards d’utilisateurs, qui soit visé – un changement de focus notable. Rendant compte de la dernière brassée de rumeurs à ce sujet, le portail spécialisé Coindesk cite un analyste de Barclays selon laquel ce projet pourrait générer entre trois et 19 milliards de dollars de revenus additionnels pour Facebook à l’horizon 2021.

La perspective de voir Facebook proposer une monnaie à ses milliards d’utilisateurs a de quoi donner le vertige à tous ceux qui se sont habitués à évaluer les taux d’adoption de projets de cryptomonnaie à l’aune des publics de geeks et de spéculateurs avertis, passablement restreints, qui ont alimenté jusqu’ici la frénésie crypto. À supposer que l’ensemble des utilisateurs de Facebook, Whatsapp et Instagram soient invités à se servir d’un FacebookCoin, ce serait un changement d’échelle notable. Mark Zuckerberg a évoqué la possibilité d’une blockchain servant à identifier les utilisateurs de son réseau social lorsqu’ils s’enregistrent, plutôt que les serveurs de la firme – sans doute une façon de répondre aux critiques d’accaparement des données personnelles qui accablent Facebook. Ce dernier précise dans ses offres d’emploi pour son équipe blockchain que « son but ultime est d’aider des milliards de gens à accéder à des choses qu’ils n’ont pas aujourd’hui – ce pourrait être des choses comme les soins de santé, des services financiers équitables, ou de nouvelles façons de conserver ou de partager l’information ».

Pourquoi Facebook, une firme qui n’est certainement pas à court de trésorerie, chercherait-elle des fonds extérieurs pour un tel projet ? Une hypothèse est qu’elle souhaite « décentraliser » son dispositif en y intégrant des investisseurs qui seraient eux-mêmes parties prenantes de l’instance émettrice. Ceci pour rassurer les futurs détenteurs du FacebookCoin qu’ils ne seraient pas à la merci de son seul bon vouloir. De nombreuses banques centrales et autorités de surveillance des marchés financiers se sont habituées à l’idée que la blockchain rend possible la mise en circulation de devises qu’elles ne contrôlent pas. Il est cependant permis de se demander si leur attitude resterait la même face à l’empire Facebook, honni par des législateurs aux quatre coins du globe pour son attitude cavalière et dont le commissaire à la protection des données personnelles néo-zélandais, John Edwards, a estimé il y a quelques jours qu’il est dirigé par « des menteurs pathologiques en faillite morale » et qu’on « ne peut pas lui faire confiance ».

Jean Lasar
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