H&M au Luxembourg

Et de six pour H&M ?

d'Lëtzebuerger Land du 25.10.2001

Un épais mystère entoure les négociations pour la reprise du fonds de commerce de Marks [&] Spencer à Luxembourg, qui fermera ses portes à la veille de Noël, le 22 décembre. Les candidats se présentent à la direction du magasin sous un numéro, ce qui leur permet de visiter les lieux totalement incognito. « Il y a eu peu de visites, » admet cependant Fabrice Gautron, directeur de Marks[&]Spencer Luxembourg, qui ne souhaite pas faire davantage de commentaire, comme s'il en avait déjà trop dit. La direction de Marks [&]Spencer à Bruxelles prend d'ailleurs toutes ses précautions pour qu'un minimum d'informations filtrent vers l'extérieur, officiellement dans le souci de préserver l'anonymat des repreneurs potentiels. Les négociations pour la cession du bail à Auchan passent par la société immobilière, Healey [&] Backer et la banque Rothschild, garants de la confidentialité des tractations. Marks [&] Spencer a mandaté un cabinet d'avocats luxembourgeois pour négocier le plan social. La communication de l'entreprise se fait par l'intermédiaire d'une agence de communication à Bruxelles qui excelle dans la pratique de la langue de bois. 

Au Luxembourg, Marks [&] Spencer, qui dépend de la direction de la Belgique, exploite un seul magasin de  3 000 mètres carrés dans lequel près de quatre millions d'euros ont été investis à l'ouverture en novembre 1998. 

Le groupe anglais a d'abord recherché un repreneur pour l'ensemble de ses magasins en Belgique et au Luxembourg, personnel compris. Faute d'amateurs, il a dû rapidement renoncer à cette solution et engagé des négociations pour la cession par petits morceaux des implantations au Belux. 

En France, aucun repreneur pour la totalité des sites abandonnés par les Anglais ne s'est manifesté. Les Galeries Lafayettes se partageront les restes de Marks [&] Spencer avec d'autres partenaires dont le suédois Hennes [&] Mauritz qui s'est engagé à reprendre cinq magasins. 

Candidat de la première heure, l'allemand Modehaus Koehnen (Munich), maison mère de Bram, le « supermarché » haut de gamme de l'habillement au Luxembourg, s'est proposé de reprendre le contrat de bail (sa durée initiale était de 15 ans) au Kirchberg, avec tout le personnel. À l'étroit dans ses 9 000 mètres carrés du centre commercial City Concorde à Bertrange, dont il est une des locomotives avec l'hypermarché Match, Bram cherche à se développer et à diversifier sa clientèle plutôt traditionnelle et luxembourgeoise. La libération des locaux à Auchan était une occasion en or pour concrétiser ses projets. Mais le prix à payer s'est avéré bien trop élevé et le risque commercial trop important pour que Modehaus franchisse le pas. 

Au Grand-Duché où les autorisations pour les grandes surfaces spécialisées (plus de 2 000 mètres carrés) sont gelées ou presque depuis la loi du 4 novembre 1997 sur le droit d'établissement, la direction de Marks [&] Spencer a capitalisé sur la rareté de l'offre et l'idée que tout le monde allait se pousser au portillon pour la reprise du site. Mais c'était un mauvais calcul et cette stratégie a échoué, tristement pour la trentaine d'employés au Luxembourg qui iront pointer au chômage, en France ou en Belgique surtout. 

Si le ministère des Classes moyennes, qui distribue les autorisations d'établissement, reconnaît que de nombreuses enseignes internationales de confection rongent leur frein en attendant le feu vert des autorités pour ouvrir des magasins à la périphérie de la capitale ou même au centre ville (ce fut le cas récemment pour l'espagnol Inditex qui vient d'inaugurer les enseignes Zara et Massimo Duti dans la Grand'Rue), il assure aussi que les demandes excèdent très rarement 2 000 mètres carrés. Le site de Marks [&] Spencer n'entre donc pas dans la catégorie la plus convoitée du moment. De plus, son prix n'a rien d'un cadeau. Le ticket d'entrée demandé pour la reprise du seul fonds de commerce dépasse 1,4 million d'euros. 

Soutenu par le groupe de grande distribution et par l'ensemble des commerçants de la galerie du Kirchberg, Bram a néanmoins déclaré forfait au mois de septembre devant les prétentions jugées « exorbitantes » des Anglais. L'expansion de la maison de confection munichoise passera par un nouvel agrandissement de sa surface de vente à Bertrange.

Le futur exploitant des lieux, quel qu'il soit, devra investir quatre millions d'euros au moins pour le réaménageaient de l'espace de vente. On estime à environ 750 euros du mètre carré, l'installation d'une surface commerciale digne de ce nom. 

Alain Redan, responsable de la commercialisation de la galerie du Kirchberg (Immochan) juge que le droit d'entrée de 1,4 million d'euros n'a rien d'excessif compte tenu de « la commercialité du site ». Le chiffre d'affaires cumulé des 55 commerçants de la galerie a atteint 62 millions d'euros l'année dernière, soit une progresion de huit pour cent par rapport à 1999. Le dirigeant d'Immochan peut difficilement prêcher contre sa chapelle. 

Toutefois, les résultats de Marks [&] Spencer ont été extrêmement décevants au Grand-Duché. L'image un peu ringarde de l'enseigne anglaise auprès de la clientèle européenne continentale n'a sans doute pas contribué à la bonne marche des affaires. En trois ans de présence au Luxembourg, la chaîne a perdu de l'argent. L'exercice 1999 s'est traduit par une perte de quelque 670 000 euros. Son chiffre d'affaires par mètre carré, qui est l'un des principaux baromètres de la rentabilité d'un commerce, s'élevait l'année dernière à 2 850 euros, selon des informations parues dans le Luxemburger Wort. Ce qui est largement en dessous de la norme luxembourgeoise pour un magasin de cette envergure, où la moyenne se situe autour de 4 000 euros par mètre carré. 

Ces chiffres n'ont sûrement pas incité les candidats à la reprise - déjà peu nombreux - à faire monter les enchères. D'autant que les boutiques de la galerie visant la clientèle haut de gamme se plaignent de plus en plus ouvertement de la philosophie  « hypermarché », donc bas de gamme, qui s'est profilée depuis un peu plus d'un an au Kirchberg avec l'arrivée du nouveau directeur Denis Binault. « La galerie est de moins en moins bien entretenue. L'hyper Auchan attire de plus en plus de monde, pour l'essentiel une clientèle étrangère, allemande ou française qui recherche les prix. Du coup, tous les satellites haut de gamme autour d'Auchan ressentent ce changement d'approche sur leur chiffre d'affaires, » se plaint un des commerçants de la galerie qui tient à conserver l'anonymat. 

Si le personnel de Marks [&] Spencer est désormais fixé sur son sort, la question du nom du repreneur et de sa qualité hante le propriétaire de la galerie. Il n'y a rien de pire en effet pour un centre commercial que de voir l'un des siens baisser le rideau, ne serait-ce que pour quelques semaines, comme cela se produit souvent dans les vulgaires galeries marchandes de banlieue parisienne. Les commerçants de la galerie, déjà bien remontés contre la nouvelle tournure bas de gamme d'Auchan à Luxembourg, pardonneraient mal à la direction du centre cette fermeture du plus mauvais genre pour leur image de marque. 

Ce scénario du pire semble pourtant inéluctable, même si tout espoir de reprise par un spécialiste de l'habillement n'est pas abandonné. Le groupe de distribution suédois Hennes et Mauritz s'accroche encore à l'espoir de faire aboutir avant la fin de l'année les négociations qu'il a entamé il y a quelques mois pour la reprise de Marks [&] Spencer à Luxembourg. Anselme van den Auwelant, country manager de H[&]M, à confirmé au Land l'intérêt du groupe à ouvrir son sixième magasin au Kirchberg. Le suédois vient de signer un contrat de bail avec le centre commercial de Pommeloch pour l'ouverture au Grand-Duché d'un cinquième magasin qui ouvrira ses portes en septembre 2002 dans le nord du pays et recherche une nouvelle implantation. 

Au Kirchberg, H[&]M n'a d'intérêt que pour 2 000 mètres carrés, tout au plus. Il lui faut donc trouver un partenaire pour la surface restante. On parle de l'ouverture d'un restaurant, mais cette hypothèse ne plaît pas beaucoup à M. van den Auwelant qui ne dédaignerait pas la cohabitation avec un autre spécialiste de la confection. 

Dans l'hypothèse la plus favorable où les négociations aboutiraient encore cette année avec H[&]M, la réouverture du site pourrait se faire, au mieux, au mois d'avril 2002. Trop tard malheureusement pour le personnel de Marks [&] Spencer.

Véronique Poujol
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