Cinéma

Honey, I’m home!

d'Lëtzebuerger Land du 22.09.2017

C’est une maison isolée, au milieu des champs. Elle (Jennifer Lawrence) a tout retapé. Elle est encore à repeindre ça et là, à scruter les défauts de quelques murs ou une conduite d’eau un peu menaçante. Et puis, elle l’encourage, lui son nouvel homme (Javier Bardem), bien plus âgé, bien moins patient. C’est un poète vidé de son inspiration. Quand elle tourne les pages de son livre, les siennes demeurent immaculées, craignant la plume et la foudre de l’auteur malheureux. Mi-muse mi-femme de charge, la jolie jeune femme accepte qu’un homme inconnu et mystérieux (Ed Harris) passe la nuit chez eux. Il faut faire rentrer la vie, dit son compagnon. Il faut dès le lendemain faire rentrer l’épouse (Michelle Pfeiffer), puis leurs deux fils, puis… C’est davantage que la vie qui pénètre et la jeune femme vit ces irruptions comme des agressions. Quelques mois plus tard, le bonheur est à son paroxysme : elle est enceinte, il écrit. Elle est prête à accoucher, il publie. Le succès s’invite à la porte, littéralement. À nouveau, la maîtresse de maison se surpasse, mais est menacée, maltraitée, jusqu’à l’outrage.

Et à outrance. Car Mother!, le nouveau film de Darren Aronofsky, est de ces thrillers psychologiques qui ne s’embarrassent pas de limites dramaturgiques ou visuelles. Écrit très vite (on parle de cinq jours) et en solitaire par le cinéaste lui-même, le scénario n’est en effet qu’un prétexte pour évoquer la chute cauchemardesque du monde. Le thème est récurrent chez Aronofsky, qui plonge ses personnages dans une perversion cinglante et clinquante. Mais les pertes d’identités de Sara Goldfarb (Ellen Burstyn dans Requiem for a dream, 2000) ou de Nina Sayers (Natalie Portman dans Black Swan, 2010) et leurs réalités dérivées n’étaient finalement que des coups d’essai : Mother! file tout droit vers l’horreur sans détours. Dans le huis-clos d’une maison rescapée d’un incendie dont on ne connait pas l’origine, la jeune femme est sacrifiée, réduite à sa mission domestique et maternelle. Elle est un corps : social d’abord, femme amoureuse, femme fécondée, existant par le regard de son homme tout puissant car créateur. Elle est la mère, ce rôle sacré et sanctifié, que la foule va martyriser. On pense bien sûr à Rosemary’s baby (Roman Polanski, 1968) pour l’ambiance paranoïaque. Mais ici, le corps est en lutte, il en porte les stigmates, tout comme cette maison, théâtre d’une dystopie de plus en plus glauque. C’est ici qu’Aronofsky fait son plus beau cinéma : tout y est organique, la peau, les murs, les tapis, tout est vivant et source d’inquiétude.

Mais l’enfer, c’est les autres : les endeuillés, les fanatiques, les réfugiés, cette masse qui s’entasse dans la maison jusqu’à former un magma humain hideux, un monstre hyper-violent. À la nuit tombée, cet élément se déchaîne, sans queue ni tête, faisant pression pour tout s’approprier, la moindre attention, le moindre corps, des tentacules dans tous les coins, arrachant portes et murs pour se nourrir. Le cinéaste, qui suit son héroïne au plus près depuis le début, la devance maintenant, la plaçant au centre du monstre, proie sacrificielle et cette fois, ce n’est plus une métaphore. Par la caméra du chef opérateur Matthew Libatique et le montage d’Andrew Weisblum, deux collaborateurs récurrents du réalisateur, l’image semble n’être plus qu’un long plan-séquence nauséeux vers la mort. Mais l’amour survivra, puisqu’il n’est qu’une projection.

Aronofsky s’illustre dans un symbolisme vain et sans contexte, où la provocation se retrouve vidée de cette substance qui irriguait ses films précédents : des personnages avec quelque chose à défendre. Ici, ils ne sont que des figures manichéennes et alors qu’ils se dirigent vers la danse macabre finale, on jurerait assister à une parodie. Sans scénario, sans personnages, on est bien loin des œuvres coup de poing du cinéaste. Marylène Andrin-Grotz

Marylène Andrin-Grotz
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