Malgré les avancées technologiques constantes

La relation humaine reste au cœur du conseil financier

d'Lëtzebuerger Land du 22.09.2017

Le 30 août dernier, la société américaine de gestion d’actifs Legg Mason a publié la cinquième édition de son enquête annuelle « Global Investment Survey » menée sur un vaste échantillon de 15 300 personnes dans le monde entier (lire encadré). Elle portait cette année sur l’impact de la technologie sur le comportement des investisseurs particuliers, avec deux résultats intéressants.

Le premier est que les habitants des pays émergents sont bien plus enclins que les Européens, les Nord-américains et les Japonais à utiliser les nouvelles technologies pour gérer leurs finances (lire encadré). Le second est qu’une majorité de sondés, tous pays confondus, considèrent que malgré les apports indéniables de la technologie, le contact humain doit rester prépondérant en matière financière, notamment quand le besoin de conseil se fait sentir.

Ainsi soixante pour cent des répondants estiment qu’un service rendu par une personne ne pourra jamais être totalement remplacé par une machine. Il existe naturellement des différences selon l’âge, mais elles sont moins marquées que prévu, puisque les membres de la génération Y, pourtant nés dans « l’ère digitale », sont d’accord à 53 pour cent tandis que les baby-boomers le sont à 65 pour cent. On note également que cette opinion est davantage partagée par les femmes (65 pour cent) que par les hommes (55  pour cent), et plus à l’ouest qu’à l’est : le pourcentage culmine à 76 pour cent aux États-Unis, mais il n’est que de 52 pour cent en Asie-Pacifique, l’Europe occupant une position intermédiaire (64 pour cent) proche de la moyenne mondiale.

Dans le même esprit, deux tiers des membres de l’échantillon considèrent que la technologie est « un formidable outil », qui leur donne une grande autonomie, mais ils désirent néanmoins « qu’un expert soit présent pour les guider » : une opinion partagée par 61 pour cent des jeunes et 71 pour cent des plus âgés, ce qui n’est pas un écart important. La différence est plus nette sur le plan géographique, cette position étant défendue par 79 pour cent des sondés aux États-Unis et 74 pour cent en Amérique latine, bien plus que dans la région Asie-Pacifique (59 pour cent).

Le besoin de contact humain se manifeste davantage pour réaliser un audit patrimonial complet (64  pour cent), financer sa retraite (61 pour cent) ou encore optimiser sa fiscalité (58  pour cent) car la dimension conseil est très importante. Dans ces domaines, à peine quinze pour cent des investisseurs préfèreraient une solution majoritairement en ligne.

En revanche, pour la recherche d’opportunités d’investissement sur les marchés et l’exécution d’opérations en bourse, un peu moins de la moitié des sondés déclarent privilégier le contact humain. Finalement il ressort de l’étude que si les investisseurs particuliers utilisent couramment les nouvelles technologies pour la gestion de leurs finances et en apprécient les avantages, ils ne souhaitent pas qu’elles deviennent envahissantes et restent majoritairement favorables à une intervention humaine, surtout pour les aspects les plus délicats et les plus complexes.

Ce résultat est plutôt une bonne nouvelle pour les professionnels. La « touche personnelle » est un facteur de différenciation et joue un rôle-clé dans la fidélisation. Les domaines où les clients plébiscitent le conseil sont ceux qui sont à plus forte valeur ajoutée, ce qui a une incidence positive sur la rentabilité au travers de la facturation de commissions. L’emploi est aussi favorablement impacté car les conseillers en chair et en os ne semblent pas près d’être remplacés par des robots.

D’un autre côté, comme le reconnaît Legg Mason, « certains progrès technologiques semblent plus populaires que d’autres » avec comme conséquence que « l’automatisation de nombreux aspects du secteur de l’investissement risque de laisser les clients indifférents ». En tous cas certains d’entre eux, qui, bien que sensibles aux apports des nouvelles technologies, ne sont pas prêts à s’y remettre entièrement. Même dans des activités comme la recherche d’informations et l’exécution d’ordres, une grande partie des clients continue de privilégier le contact humain. De façon inattendue c’est également vrai pour la génération Y. De ce fait les nouveaux systèmes technologiques risquent d’être sous-utilisés alors qu’ils nécessitent des investissements lourds.

Certains choix stratégiques pourraient être revus, comme celui de mettre la technologie à la disposition directe des clients finaux. L’exemple des robo-advisors est révélateur. Plusieurs années après leur apparition et en dépit d’améliorations constantes, ces dispositifs peinent à convaincre les investisseurs, ce qui a conduit certaines start-ups comme la belge Gambit (cinquante salariés), avec son robot Birdee créé en 2015, à préférer se positionner sur le créneau du B-to-C, c’est-à-dire la fourniture de solutions à des professionnels, comme Keytrade Bank au Luxembourg. Dans ce cas la technologie intervient plus en amont et aide les collaborateurs des établissements financiers à fournir au client final un conseil humain qui s’appuie sur des solutions techniques de haut niveau. On a appris début septembre que BNP Paribas Asset Management avait pris une participation majoritaire dans la société liégeoise qui fête ses dix ans. « Gambit va devenir le partenaire privilégié pour la fourniture de solutions de robo-advisory aux réseaux de la banque de détail et de banque privée du groupe BNP Paribas » indique la société. Cette acquisition devrait permettre à la banque française de combiner harmonieusement les apports de la technologie et la délivrance « in vivo » d’un conseil personnalisé.

L’Europe à la traîne

En Europe même, tous les pays n’évoluent pas au même rythme. Les Suédois se distinguent, non seulement par leur propension à utiliser Internet pour accéder à des informations sur leurs finances personnelles, sur des produits d’investissement ou pour obtenir des conseils (64 pour cent le font, contre 59 pour cent mondialement) mais aussi parce qu’ils sont très enclins à utiliser des applications mobiles (41 pour cent contre 29 pour cent en Europe et 35 pour cent dans le monde). Les Français se situent à l’autre extrême : ce sont les investisseurs européens les moins portés sur les outils digitaux avec à peine 42 pour cent qui vont chercher des informations financières en ligne. Seuls 19 pour cent utilisent des applications mobiles, le taux le plus bas de tous les pays étudiés, à part le Japon, douze pour cent tandis que la Belgique et le Royaume-Uni, 26 pour cent chacun, sont proches de la moyenne européenne.

Méthodologie

15 300 personnes réparties dans 17 pays ont participé à l’enquête, réalisée début 2017 par le cabinet britannique Cicero Research. Toutes étaient âgés de plus de 18 ans, actives occupées ou en retraite, avec au moins un revenu personnel, décisionnaires ou co-décisionnaires en matière d’investissement. L’Europe était représentée par huit pays : Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni, Suède, Suisse. Au total 7 200 personnes y ont été interrogées (soit 47 pour cent de l’échantillon mondial). Par âge, l’échantillon mondial était composé de 5 116 membres de la génération Y (18-35 ans, appelés aussi millenials), de 4 898 membres de la génération X (36-52 ans) et 4 925 membres de la génération du baby-boom (âgés de 53 à 71 ans). Un segment de ménages à hauts patrimoines, composé de 3 442 personnes (22,5 pour cent du total), a été isolé dans l’échantillon, avec des limites spécifiques par pays : aux États-Unis le seuil a été fixé à plus de 225 000 dollars d’actifs à investir (y compris l’investissement immobilier, mais hors résidence principale ou secondaire). En Europe ce segment ne pesait que 19 pour cent des sondés contre 30,6 pour cent outre-Atlantique.

Georges Canto
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