Théâtre

Souvenir, souvenir

d'Lëtzebuerger Land du 19.04.2019

Créée en 2014 au Centre Pompidou Metz, puis récrée en 2017 au Théâtre Ici&Là de Mancieulles, Un Siècle porte bien son nom, se transformant depuis cinq ans autour du temps passé, qui passe et passera… Bertrand Sinapi y écrit un portrait du XXe siècle sous le prisme des souvenirs de ses comédiens, tous issus de la génération X. C’est, cette fois, sur la scène de l’Espace Bernard Marie Koltès que ces différentes voix, témoins d’eux même, de leur monde, de leurs vies, résonnent, jusqu’à leurs conditions d’adultes et finalement, de comédiens sur scène devant nous.

Le Saulcy ou l’Espace Bernard Marie Koltès, comme on dit maintenant, a trouvé l’année dernière une nouvelle direction artistique et décisionnelle. Lee Fou Messica – anciennement directrice du théâtre Les Déchargeurs à Paris – a pris la tête de la programmation, tandis que Nicolas Beck – directeur de la Vie universitaire et de la Culture à l’Université de Lorraine – signe les contrats, sous validation des pontes dirigeants de l’université. Une organisation millimétrée qui laisse peu de place à la spontanéité.

De fait, la programmation de cette « scène conventionnée pour les jeunes écritures contemporaines » qu’est l’Espace BMK, s’en trouve dégarnie de ce qui avant faisait sa force : les prises de risque. Mais point trop n’en faut, après tout, si la qualité est au rendez-vous et c’est le cas. Pourtant, l’Espace BMK peine à trouver ou retrouver son public, depuis le départ de l’ancien directeur. En cause peut-être, une programmation trop sélective, trop « parisienne », trop loin du public messin… Malgré tout, il est toujours bon de retourner au petit théâtre du Saulcy pour y savourer une bonne pièce.

Amandine Truffy, Augustin Bécard et Valéry Plancke – enfants du XXe siècle – livrent leurs souvenirs d’enfance, d’adolescence et de jeunesse sur scène, des moments de vie taillés et couchés en répliques par la langue de Bertrand Sinapi, ouvrant à une poésie des petites choses. Car, en effet, ce sont ces « riens » du quotidien, ceux qu’on garde souvent pour nous, issus de mémoires qui commencent à s’effriter, qui donnent une structure à ce spectacle.

Un Siècle c’est du « moi, moi, moi » en barre et pourrait vulgairement se complaire dans un auto centrage absolu mais réussit à trouver un juste équilibre dans une narration chronologique et contextuelle qui s’actionne autour d’événements internationaux majeurs. Comme dit l’auteur, on est « entre mémoire intime et collective où chacun se reconnaîtra dans ce qu’il a de plus secret ». Une ligne principale qui parle d’abord à un ensemble comme pour dire comment c’était avant. Presque un discours de vioque… et puis, pourquoi pas, si c’est bien dit…

Et oui, c’est plutôt bien dit. Sans révolutionner le genre, le langage de Sinapi est limpide, récitant et concret, utilisant les mots à leur juste valeur sans en exagérer le sens. Mais c’est peut-être ce qui manque au final, un peu de « sale » dans ces lignes très propres et d’ailleurs si bien dite par le trio d’acteurs. Et puis, on parle seulement d’une tranche, une partie des enfants du XXe, plutôt bien lotie au demeurant, très normée en fait. Celle qui a grandi avec les chansons populaires de son époque, Mickey Mouse et les rengaines de guerre des grands-parents. Dans Un Siècle, on oublie presque que tout le monde n’était pas logé à la même enseigne, que tous n’ont pas eu la chance de pouvoir se soucier d’être « les enfants de ce siècle ». Enfin, allons bon, il est vrai qu’on peut aussi parler de nous et ce, aussi quand ça va bien…

Dans sa mise en scène, également signée de Bertrand Sinapi sur un modèle collaboratif au plateau, Un Siècle donne à voir un spectacle musical frontal, sans trop de bordel, trouvant quelques belles idées dans l’esthétique. Deux mondes se montrent sur scène, l’un vidéo-projeté narre l’histoire avec un grand H, diffusant les grandes images du siècle, l’autre joué en live, confond musique et texte, dans un jeu de ping-pong avec les comédiens, le musicien et l’auteur/metteur en scène. Se joue ici, une confrontation entre deux réalités, dans lesquelles chacun des actants et nous-mêmes, spectateurs, tentent de trouver sa place.

Dans Un Siècle, le metteur en scène et auteur Bertrand Sinapi mêle avec justesse événements historiques et mémoires intimes, symboles éternels et expériences volatiles. Et même si le spectacle accuse une sorte de « vieux jeux », qu’on imagine assumé, on lui trouve un certain charme. Sûrement parce qu’il nous rappelle un peu notre grand frère et l’influence qu’il a pu avoir quand on n’avait pas encore l’âge de juger de ce qu’est une bonne influence…

Godefroy Gordet
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