Klecker, Nic: Almanach errant piur Laura

Le vide ou le désir de remplir

d'Lëtzebuerger Land du 08.12.2005

Personne ne t'a connue. / Moi-même j'ai essayé de te deviner. / Tu le savais et tu m'as fait sentir que tu en étais heureuse. (Juin)

Le genre du Requiem ou du Tombeau n'est pas réservé uniquement à la musique. Il existe de célèbres conjurations littéraires de la mort qui vont jusqu'à la volonté de rejoindre la personne perdue - je pense notamment à Novalis (Hymnen an die Nacht). La démarche de Nic Klecker, dans son Almanach errant pour Laura, est plus discrète: pas de poses d'opéra, juste des allusions à la perte de l'être le plus cher, le tout baigné dans l'univers du jardinier. Mais ne nous y trompons pas: l'énergie du deuil ne provient pas uniquement du passé, mais bien de la poésie, de la force et du pouvoir de la parole. Le titre peut surprendre: un "almanach" est, selon le Petit Robert, une publication ayant vaguement pour base le calendrier, souvent accompagnée d'observations astronomiques, de conseils pratiques relatifs aux travaux à faire selon la saison. C'est exactement de cela qu'il s'agit: un ouvrage apparemment sans prétention, qu'on peut feuilleter au hasard en regardant les illustrations, facile à manier, puisque l'ordre des textes est dicté par le nom du mois correspondant. Douze mois, douze textes, douze pages: c'est sur ce "terrain" restreint que se joue toute la dynamique de la "blessure" avec laquelle il s'agira désormais de cohabiter. Et parallèlement à la symbolique de la terre se glissent les métaphores du passé et de l'avenir, mais surtout celles de la maladie et de la mort (le serpent). Le hasard a voulu que je lise simultanément le livre de Nic Klecker et cet étrange texte délirant de Friederike Mayröcker Und ich schüttelte einen Liebling, dans lequel elle évoque sa vie commune avec le poète Ernst Jandl et l'immense vide que le départ de son compagnon a laissé. C'est tout le contraire de Nic Klecker: une association débridée de fragments du passé et du présent chez Mayröcker, un deuil retenu et contrôlé chez le premier. Deux variantes pour aborder le problème de la différence entre "le vide et le désir de remplir" dont parle Nic Klecker dans le chapitre consacré à Novembre. Douleur et sérénité ne sont évidemment pas contradictoires. Sinon, il n'y aurait pas de bouddhisme, n'est-ce pas? Cet almanach est peut-être "errant", il est néanmoins encadré. Et je pense que les quatorze linogravures de Roger Bertemes ne veulent pas simplement "illustrer" le texte de Klecker, mais qu'elles le prolongent et le mettent dans une ambiance, un climat grave et serein, au-delà de toute larmoyance ou dramatisation. On avait déjà trouvé chez le même éditeur une même complicité lors de la publication en 1991 des Dormeurs, poèmes minimalistes de Nic Klecker accompagnant les "têtes" de Roger Bertemes. La subtilité dans la simplicité du jeu noir/blanc, ou si vous préférez positif/négatif, voire vide/plein est tout simplement magistrale. On y respire la même fusion entre souffrance et sérénité que dans le texte. Quelle leçon!

Almanach errant pour Laura; recueil de douze textes de Nic Klecker, accompagnés de quatorze linogravures par Roger Bertemes; préface de José Ensch; édition des Cahiers Luxembourgeois - Nic Weber, éditeur; Luxembourg 2005.

 

Paul Maas
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