Mois européen de la photographie

Permutations et perturbations urbaines

d'Lëtzebuerger Land vom 17.05.2013

Après Mutations I, II et III, les organisateurs du Mois européen de la photographie ont finalement eu le courage de s’attaquer à un thème nouveau et plus original. Structurées autour de DistURBANces – la ville perturbée, les expositions confèrent à l’édition actuelle une qualité nouvelle et bien plus distinguée qu’il y a deux ans. Sous l’enseigne Café-Crème asbl, Paul di Felice et Pierre Stiwer sont les responsables de l’organisation au Luxembourg et ont à nouveau sollicité la collaboration d’une vingtaine d’institutions publiques et de partenaires privés pour proposer ue réflexion autour des paysages urbains et naturels et de leur évolution dans le temps.

À ne pas manquer, l’exposition DistURBANces. Can fiction beat reality ? au Musée national d’histoire et d’art (jusqu’au 8 septembre) constitue le premier volet de la contribution-phare au Mois européen de la photographie. En mettant l’accent sur l’évolution de la photographie numérique et la manipulation de l’image, l’exposition contraste avec celle présentée au MNHA lors de l’édition précédente et consacrée à Edward Steichen. En début de parcours, le spectateur est frappé par les grandes et impressionnantes photographies d’Ilkka Halso. Ses œuvres sont tenues dans une atmosphère mystique et thématisent de façon radicale la mise en question du rapport de l’artificiel – et surtout de la société artificielle – à la nature. Dans sa série Museum of nature, il invente des scénarios et des constructions de musées, voire d’endroits protecteurs, permettant de préserver la nature ou des éléments naturels. Ironie du sort, face à l’évolution de la société et à l’industrialisation, la conservation de la nature ne se fera que grâce à la science et à la technologie.

Chez Jasmina Cibic, on retrouve une approche similaire : une autruche est (ex)posée sur un socle abandonné dans un paysage ressemblant aux vasières littorales, un chevreuil, lui, est couché dans un intérieur faisant allusion à un musée ou une galerie. Alors que Halso crée des paysages imaginaires par le moyen du travail numérique, Cibic se sert de la taxidermie pour créer des situations inattendues. Les photographies de Virginie Maillard sont elles aussi étranges à la perception quotidienne et à la réflexion habituelle, mais témoignent de beaucoup plus d’humour. Dans sa série Anamnésie Land, des paysages réels et dévastés sont transformés grâce à des enseignes lumineuses en des lieux commerciaux et/ou habités. Ainsi, un vieil abri déserté sur une plage devient un « Marriage Center » ou un « Coffee Shop », une vielle baraque abandonnée se veut être les locaux d’un « Dentist ».

En complément à ces images qui témoignent autant d’un monde à part de notre quotidien que d’un art photographique esthétique, on trouve au Cercle Cité la deuxième partie de DistURBANces : Fake and virtual worlds (jusqu’au 2 juin). En entrant au Ratskeller, le visiteur est accueilli par une photographie d’un Superman qui survole un hôtel en Turquie et qui transpire à tel point que la sueur se dessine sur son costume (Reiner Riedler, série Fake Holidays). Le pouvoir et l’immortalité semblent démunis de toute illusion et l’idée d’un paradis idyllique se dissout au fur et à mesure qu’on regarde les photographies. Plus loin, les androïdes de Star Wars ont occupé la terre, dorénavant dévastée. La vision post-apocalyptique de la terre de Cédric Delsaux dans sa série Dark Lens rejoint celle de Halso, en mettant l’accent sur le détail minutieux et préconisant un monde voué à l’échec.

Le troisième volet de la présentation centrale du Mois européen de la photographie se tient à la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie (jusqu’au 8 juin ; voir aussi d’Land 19/13). Adapté thématiquement au lieu d’exposition, DistURBANces. Urban Utopia & Dystopia regroupe des photographes qui s’intéressent à l’évolution des cités dans le temps et à l’avenir des villes faisant face à des problèmes comme le surpeuplement. Niklas Goldbach conçoit ainsi des buildings surdimensionnés permettant d’accueillir un village tout entier. Dionisio González crée des paysages urbains à partir de photographies de bidonvilles qu’il superpose avec des images d’architectures modernes, montrant ainsi le clivage qui peut exister entre les différents quartiers d’une ville (série des Favelas). À noter que l’artiste espagnol a obtenu le prix European Month of Photography Arendt Award, sponsorisé par Arendt & Medernach et décerné pour la première fois.

En écho à son programme attrayant pour le Mois européen de la photographie de 2011, la Galerie Nosbaum & Reding propose cette année à nouveau deux artistes captivants : Beat Streuli et Maja Weyermann (jusqu’au 15 juin). Pour sa série New Street, Beat Streuli photographie des inconnus dans la rue. Grâce au zoom, l’individu pris au vif se distingue de la masse. Tout comme Streuli analyse le rapport de l’homme avec l’endroit public, Maja Weyermann, présentée déjà en 2011 à la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, joue sur la relation de l’homme à l’architecture. À partir de modèles virtuels d’architecture inspirés par des demeures existantes – en l’occurrence, la Miller House construite par Eero Saarinen – Weyermann crée des photographies qui mélangent les points de vue et les reflets. Dans ce contexte, il convient aussi de citer l’exposition de Sophie Jung au Kiosk qui joue sur les reflets du verre de l’ancien kiosk et sur la déconstruction de l’image photographique (jusqu’au 7 juillet).

En satellite à la concentration d’expositions dans la capitale, les organisateurs ont revendiqué une fois de plus des institutions à Clervaux et à Dudelange. La galerie Nei Liicht propose, en collaboration avec la curatrice Alla Räisänen, une exposition de quatre jeunes photographes féminines finnoises (jusqu’au 15 juin). Dans sa série Flower Performances, Mari Hokkanen se met en scène elle-même dans des poses spécifiques et surréelles (accrochée à un portemanteau par exemple) et cachant sa tête derrière un bouquet de fleurs. L’onirique et le fantastique se trouvent aussi dans les images féeriques de Susanna Majuri. Comme tirées d’un conte, elles dépeignent des paysages en arrière-fond sur lesquels une personne est allongée ou assise. Une goutte d’eau ou des bulles d’air trahissent cependant l’idylle et suggèrent que la scène se déroule sous l’eau, se détachant par là de la vie réelle.

Le Mois européen de la photographie se distingue de son édition précédente par un choix judicieux des photographes et des œuvres grâce auquel les organisateurs ont su conférer à la majorité des expositions une grande qualité. La série des DistURBANces est absolument à recommander à tous ceux qui croient toujours en un art se définissant par une technique impeccable, un cadrage bien choisi et une composition harmonieuse et qui restent souvent sur leur faim face à l’offre d’un art trop conceptuel et conceptualisé qui définit en grande partie le paysage culturel du pays. Les mondes et histoires inventés par les photographes ne sont pas seulement agréables à l’œil, mais nous instruisent en même temps sur notre mode de vie et sur des avenirs possibles.

Plus d’informations : www.emoplux.lu.
Florence Thurmes
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