Les business schools découvrent le Luxembourg. Leurs Masters of Business Administration (MBA) valent-ils le coût ? Un vadémécum

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d'Lëtzebuerger Land vom 10.07.2015

Le spectre des « business schools boîte-aux-lettres » hante le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le Luxembourg se mutera-t-il en base-arrière d’écoles sans substance académique, légitimées par un tampon d’accréditation ministériel ? Un hub qui inonderait l’Europe de MBA douteux ? Ces dernières années, une nuée de business schools a été attirée par l’éclat du secteur phare de l’économie luxembourgeoise. Les United Business Institutes, la School for International Hospitality and Tourism Business et le Business Science Institute se partagent les murs du château de Wiltz, rebaptisé en « campus ». Récemment, la Luxembourg School of Business a rejoint la danse. Ces écoles privées embryonnaires seront probablement suivies par la prestigieuse École supérieure de commerce de Paris qui, soutenue par des banques et l’ambassade françaises, se cherche une implantation luxembourgeoise. D’autres institutions étrangères y sont déjà : la Sacred Heart University, Eurofom et, indirectement, une douzaine de facs françaises qui, via les programmes du Lifelong Learning Center, proposent des masters en administration. Sans oublier la Luxembourg School of Finance et la Luxembourg Business Academy de l’Université du Luxembourg.

Business Science Institute (BSI) À en croire ses détracteurs (pour la plupart académiques), le BSI vendrait des doctorats en toc. Enregistré au Luxembourg voici deux ans, le siège officiel du BSI se trouve au château de Wiltz, or ni les inscrits ni les professeurs ne s’y déplacent, préférant l’atmosphère et la proximité des hôtels de la capitale. La tête pensante du BSI, c’est Michel Kalika, professeur à l’Université Paris-Dauphine qui y avait lancé en 2006 un « Executive Doctorate in Business Administration » (EDBA). En 2013, il crée une ASBL au Luxembourg. Dans le conseil d’administration de la BSI Luxembourg, on trouve entre autres Raymond Straus, premier conseiller de gouvernement au ministère de l’Éducation nationale, parti à la retraite début juillet. Le fait que le responsable ministériel des liens avec les écoles privées ait siégé dans le CA d’une business school privée est assez cocasse. Avec des professeurs-collègues, Kalika propose des EDBA de Dakar au Québec, en passant par Tunis, Casablanca et Genève. Dans une interview accordée il y a un an à Paperjam, Kalilka évoquait « un élément de différenciation professionnelle » dans un environnement où les « masters et les MBA se sont banalisés ».

Huit managers se sont laissés séduire par le EDBA luxembourgeois, dont un résident luxembourgeois. Cette première promotion sera diplômée début octobre même si, académiquement parlant, ce pseudo-doctorat n’aura aucune valeur d’échange. (Le EDBA n’ayant toujours pas réussi à passer le cap de l’accréditation auprès du ministère de l’Enseignement supérieur luxembourgeois.) Peu importe, car les prétendants à ce titre n’ont ni le désir ni le temps de passer par les hauts et les bas abyssaux de la recherche académique en s’isolant trois à cinq ans dans un coin d’une bibliothèque. Les « doctorants » ne visent pas une carrière universitaire, mais voudraient « approfondir » quelque peu un sujet rencontré dans leur pratique managériale, expliquent les responsables de la BSI. À moins que les managers ne soient simplement motivés par le désir d’imprimer le titre de « docteur » sur leurs cartes de visite et de se doter d’un talisman professionnel. Qui coûte 20 924 euros en frais d’inscription.

United Business Institute (UBI) En 2017, un étudiant qui aura passé son bachelor (licence) dans la capitale des Ardennes (i.e. Wiltz) pourra faire croire qu’il sort d’une université londonienne. Ce brouillage est rendu possible par un partenariat signé entre une minuscule école de commerce privée belge implantée à Wiltz et la Middlesex University britannique. Le diplôme remis ne spécifiera pas où le diplôme de la Middlesex a été obtenu. « Ce n’est pas prévu dans leur système d’imprimerie, dit le directeur de l’UBI Christophe Buffin, joint à Wiltz. C’est donc comme si nos étudiants avaient étudié à Londres. » En septembre 2014, l’UBI a lancé son programme de bachelor avec une dizaine inscrits. À l’inverse des autres business schools, celle de Wiltz ne s’adresse pas aux actifs qui désirent « booster leur carrière », mais à de jeunes étudiants. Parmi eux, la moitié est composée de Luxembourgeois. Alors que les écoles privées de gestion et de management peu cotées offrent souvent des solutions de repli pour futurs héritiers en situation d’échec académique, l’accès à l’UIB reste relativement démocratique. Les frais d’inscription s’élèvent à 10 800 euros par an ; donc, estime Buffin, « relativement bon marché pour une université privée ».

Alors que le gouvernement tente de concentrer les activités de l’Université du Luxembourg à Belval, l’apparition d’un mini-campus anglophone et d’une centaine d’étudiants dans un château des Ardennes à 79,4 kilomètres au nord est un phénomène fantasque. Le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche Marc Hansen (DP) explique que le gouvernement n’y est pour rien, il s’agit d’une stratégie définie par des acteurs privés. Sur son site Internet, l’UBI Bruxelles-Wiltz affiche le blason du lion rouge pour fièrement signaliser son accréditation auprès du ministère de l’Enseignement supérieure. Fondée en 1992, l’école privée avait rencontré des problèmes auprès des autorités belges, puisque les cours se tenaient en anglais, donc pas dans une des trois langues officielles du pays. Les règles d’accréditation luxembourgeoises ne prévoient pas de critères de langue et la présence de l’UBI à Wiltz s’explique aussi par un repli stratégique. Quelles sont les chances de survie de la petite université privée des Ardennes ? « C’est en partie venture – le tout, c’est de se différencier », dit Buffin. L’UBI carbure grâce à des professeurs faisant des allers-retours Bruxelles-Luxembourg et aux opérateurs de la place financière qui montent au Nord pour y donner des cours. À terme, UBI prévoit de recourir exclusivement à des « professeurs » luxembourgeois – lisez : des banquiers, juristes et comptables de la place financière. Buffin, qui est historien de formation, explique que des cours donnés par des académiques – « des gens qui n’ont jamais vraiment pratiqué la finance ou la comptabilité » – seraient « terriblement théoriques ».

Luxembourg School of Business (LSB) Cela faisait des années que la Chambre de commerce annonçait le lancement d’une business school au Luxembourg. Or elle avait oublié de prendre une option sur le nom. La famille Njavro (le père Djuro et ses deux fils Mato et Marin) l’ont devancée en enregistrant l’année dernière une ASBL dénommée « Luxembourg School of Business ». Ensemble avec quatre amis de la place financière, Marin Djavro promet de ramener le gratin de la recherche économique au Luxembourg. En septembre 2014, ce jeune avocat démissionne de chez Loyens & Loeff et passe neuf mois à sillonner les campus américains. Depuis quelques mois, il tente de démarcher de futurs clients, fait la tournée des banques et organise des after-works dans le club privé House 17 pour remplir son MBA de septembre. Pour 30 000 euros de frais d’inscription, les managers pourront participer à des séminaires organisés dans des hôtels à travers le pays.

Parmi la concurrence, on évoque, non sans quelque jalousie et suspicion, une « Spillwiss » (aire de jeu) donnée en cadeau au fils par le père Njavro. Celui-ci avait fondé en 2002 la Zagreb School of Economics and Management. Cette école privée compte aujourd’hui 1 700 inscrits et 200 employés et s’est taillée une certaine réputation dans l’Europe du Sud-Est (c’est une des rares à avoir obtenu une accréditation AACSB, graal des business schools). Marin Njavro pourra donc s’appuyer sur un réseau déjà en place et utiliser des synergies entre les deux institutions. « On peut le faire ici, car on l’a déjà fait dans un contexte beaucoup plus difficile. En Croatie, l’initiative privée était vue comme négative et l’Université publique est très connue et ancienne de plus de 400 ans. » Reste que le comité d’accréditation luxembourgeois a refusé l’année dernière la candidature de la LSB pour manque de substance. C’est quelque peu gênant car en attendant que ses cours se fassent accréditer, les certificats distribués par Marin Njavro ne seront pas reconnus comme diplômes.

Lifelong Learning Center Pour ses cursus de master, la Chambre des salariés (CSL) travaille avec une demi-douzaine d’universités publiques françaises : de Rennes I à Nancy II, en passant par Paris II (Assas). Les MBA furent importés des États-Unis en France dans les années 1960 dans un élan de modernisation béat. Ils devinrent vite les vaches à lait des universités. Car les MBA s’adressent à des gens qui travaillent – souvent dans des positions élevées – et qui, en conséquence, peuvent payer. Puisque les cours sont moins nombreux et plus concentrés, les MBA rapportent bien plus que les formations traditionnelles.

Grâce aux subventions du Fonds social européen, les masters en ressources humaines, administration des affaires ou en analyse financière proposés par la CSL comptent parmi les moins chers sur le marché, coûtant entre 6 000 et 8 000 euros. « Nous sommes plus grand public, notre mission, c’est quand même de soutenir le salariat », explique Michèle Pisani du Lifelong Learning Center, qui entretient les contacts avec les facs étrangères. En coopérant avec des universités publiques étrangères, la CSL se lie à un « pouvoir diplomant » sans devoir accréditer elle-même ses cursus au Luxembourg.

Luxembourg School of Finance (LSF) La LSF n’a pas choisi le label MBA, alors que, au fond, ses masters (qu’on peut également suivre en cours du soir) y ressemblent. « MBAs gibt’s wie Sand am Meer, dit Stefan Braum, le doyen de la Faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Uni.lu. Il aurait été impossible de se positionner avec un programme de MBA sur le marché international ». Avec la Chambre de Commerce, l’Uni.lu a créé un master professionnel « in entrepreneurship and innovation » et songe à en lancer d’autres sur un marché de la formation autant saturé qu’illisible.

Le master in wealth management fut co-rédigé par l’ABBL. Il devra produire les futurs serviteurs des ultra-riches que la banque privée veut attirer après avoir chassé le dentiste belge du paradis. Le secteur bancaire espère ainsi renouer avec une institution qu’elle avait créée en 2002, mais dont elle estime la recherche comme trop distante de ses préoccupations quotidiennes. À sa création, certains banquiers avaient espéré que la LSF se dédie au développement de produits normés pour un secteur financier en carence de niches – une vue utilitariste de la recherche très peu du goût des scientifiques. Un master coûte 17 500 euros ; pour Christian Wolff, le directeur de la LSF, il s’agit d’une question de psychologie. « Une baisse des frais d’inscription trop importante équivaudrait en fait à faire baisser la valeur du programme », déclarait-il en 2014 au Land.

Panama académique À l’Université du Luxembourg, le foisonnement de business schools et de leurs programmes de MBA passe mal. Stefan Braum met en garde : « L’État devrait faire un peu attention à ce que les titres, supposés être garants d’une certaine qualité scientifique, passent à travers des mesures de contrôle de qualité. Cela reflète peut-être une ancienne tradition du temps d’avant l’université lorsque le Luxembourg était considéré comme un marché ouvert à tous les Anbieter privés. Ce n’est plus possible que Hinz und Kunz arrivent et proposent des business educations. Cela risquera de semer la confusion et de discréditer l’offre de l’Université. » Et de souligner le monopole de l’Uni.lu : « La souveraineté pour les qualifications scientifiques réside dans l’Université du Luxembourg. » Le discours du secrétaire d’État Hansen rejoint celui de Braum : « Nous faisons très attention à ce que le Luxembourg ne devienne pas un endroit où se braderaient les accréditations. Ce serait néfaste. »

Depuis 2011, les accréditations se décident dans un « comité d’accréditation d’établissements d’enseignement supérieur étrangers ou privés ». En gros, le critère retenu par ce comité est celui de la substance académique. Sur 28 demandes d’accréditation soumises ces quatre dernières années, 22 furent acceptées. Quatre des six refus ont été prononcés durant l’année académique en cours, un indice que la politique est en train de se durcir. Les instituts qui n’ont pas eu leur accréditation se réfèrent sur leurs sites à l’agrément qui les lie au ministère de l’Éducation nationale et leur donne le droit de donner des cours de formation continue. Or, l’obtention de cet agrément est quasi automatique et le marché de la formation continue grouille de microstructures (63 pour cent emploient moins de cinq salariés) plus ou moins sérieuses.

Alors que le président du comité d’accréditation, le philosophe islandais Páll Skúlason, vient de décéder ce 22 avril, on songe au ministère à délocaliser une partie du processus vers un des trois organismes d’accréditation et de classement (l’américaine AACSB, l’anglaise AMBA ou la bruxelloise EQUIS) qui, dans un milieu obsédé par la compétitivité, les rankings et les notations, font la pluie et le beau temps. Or, à part la Sacred Heart University (AACSP), aucune des business schools opérant au Luxembourg n’est accréditée auprès d’une des trois principales agences internationales.

Qu’est-ce que ça vaut ? En substance, les directeurs de business schools sortent le même discours de commercial : poussés par « l’excellence », ils promettent de « booster la carrière ». Et tous se ressemblent dans le fait que tous veulent « se différencier ». Or, à s’enquérir parmi les opérateurs de la place financière et parmi les chercheurs académiques, on receuille d’autres sentences : « cash machine », « inondation », « saturation ». La multiplication des business schools décotées – souvent des PME gérées par une famille – enverrait un mauvais signal, surtout à un moment où, du family office au « prestataire de services de dématérialisation », la place financière tente de faire certifier son savoir-faire en inventant mensuellement de nouveaux labels de qualité.

Les employés avaient grandi avec la place bancaire luxembourgeoise. Or, en grimpant dans la hiérarchie, l’absence d’un titre académique pouvait devenir un souci de crédibilité. Les banques commençaient donc à envoyer leurs dirigeants à Harvard, Stanford ou à Fontainebleau pour quelques mois. Or, se rappelle Serge De Cillia, directeur de l’ABBL, une « grande banque ne pouvait se permettre d’y envoyer plus d’un employé par an ». Les banques mirent donc sur pied des formations internes. Or, face aux demandes des employés voulant s’échapper du carcan de leurs spécialisations étouffantes, les sociétés leur payèrent des MBA low cost, passés les vendredis et les week-ends au pays. « On fait payer aux managers leur frustration de ne pas avoir les bons diplômes », explique un enseignant d’une business school française. Un MBA flatte l’orgueil et peut fournir une reconnaissance à plusieurs décennies de carrière. Il donne également accès aux annuaires des anciens étudiants, qui peut s’avérer un puissant réseau. Du moins pour la centaine de MBA hautement cotés dans les rankings. Pour les business schools de seconde zone, la valeur ajoutée « symbolique » est quasiment nulle. Mais l’un des avantages des business schools même peu cotées à l’international réside dans leur bonne intégration dans le tissu économique régional. Même si ce crédit s’estompe passé un certain périmètre…

Bernard Thomas
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