Université

World Class University, made in Luxembourg

d'Lëtzebuerger Land vom 06.04.2012

Le 11 juin 2010, le Grand-Duché du Luxembourg accueillait le Dr Jamil Salmi, expert de la Banque Mondiale sur l’enseignement supérieur, pour une conférence à propos des facteurs de réussite des universités dites « de réputation mondiale » (« World Class »). Cette invitation faisait suite aux réflexions stratégiques que le Professeur, Dr. Tarrach, recteur de l’Université du Luxembourg, avait proposées dans son plan stratégique pour l’Université du Luxembourg en 2005. En effet, la création de cette nouvelle université demande l’élaboration d’une vision éclairée concernant son positionnement dans le marché mondial de l’éducation supérieure et de la recherche.

Dans ce texte, nous communiquons quelques éléments de réflexion concernant le positionnement des universités dans les palmarès académiques internationaux. Ces derniers évaluent les performances des universités en fonction de nombreux indicateurs comme les prix Nobel, le nombre d’articles scientifiques publiés, le nombre de citations scientifiques, etc. Ces palmarès internationaux sont utilisés comme information tant par les étudiants et leurs familles à la recherche des formations les plus adéquates, les entreprises à la recherche des nouvelles idées, technologies et compétences, les gouvernements qui financent les universités et promeuvent l’éducation et l’innovation, ainsi que les citoyens qui soutiennent les efforts d’éducation et d’innovation par leur contributions fiscales.

Il existe de nombreux palmarès académiques internationaux sur le marché comme les célèbres « rankings » des magazines Times et Newsweek et le très populaire classement de l’Université de Shanghai. Le débat à propos du contenu informatif des performances mesurées dans ces palmarès académiques fait rage. Cependant, contrairement à ce débat, nous nous intéressons ici aux facteurs qui déterminent la performance des universités présentes dans ces classements. Ici, nous nous concentrerons sur les enseignements que l’on peut retirer de l’étude du classement de Shanghai. Par la même occasion nous essayerons de tirer quelques enseignements pour le Grand Duché du Luxembourg et son université.

Le classement de Shanghai évalue les performances scientifiques des institutions d’enseignement supérieur sur une échelle de 100 points. À titre d’exemple, en 2007, l’Université d’Harvard a obtenu 100 points, celle de Cambridge (UK), la première université Européenne, 72 points, celles de Louvain et de Bruxelles 21 et 20. Nombre d’universités sont rangées au delà de la 500e place (avec moins de 8.3 points) et n’apparaissent pas dans le classement. Tel est le cas de l’Université du Luxembourg. Cela est principalement dû à son âge et sa taille. Comme Charles Eliot, pré[-]sident de l’Université de Harvard, l’avait précisé au magnat du pétrole John Rockfeller à la fin de 19e siècle, il faut 200 ans et beaucoup d’argent pour créer une université de classe mondiale. Le facteur « temps » permet en effet aux indicateurs de performances et de réputation scientifique d’influer sur un tel classement. Mais qu’en est-il des autres facteurs comme les budgets, le corps des enseignants chercheurs et les étudiants en formations ?

Une étude du Centre de recherche en économie appliquée (CREA) de l’Université du Luxembourg2 a mis en exergue les principaux facteurs qui expliquent les scores des 159 universités nord-américaines présentes dans le classement de Shanghai en 2007. Après avoir retiré huit universités qui suivent des modèles de comportement très différents (« outliers »), l’étude révèle cinq variables explicatives des scores obtenus: le budget annuel, le nombre de professeurs, la part des dépenses consacrées à la recherche, la part des étudiants dans les filières des sciences exactes et le salaire moyen des professeurs ordinaires. Ces cinq facteurs expliquent 80 pour cent de la variance des scores, ce qui n’est absolument pas négligeable. Pour illustration, les figures 1et 2 présentent les scores obtenus en fonction des budgets annuels et des volumes du corps professoral. Pour chaque facteur, la corrélation positive est évidente.

Les facteurs évoqués ci-dessus ne peuvent évidemment pas créer d’effets dans le court terme. L’étude suggère plutôt que la performance académique d’une université est expliquée dans le long terme par des facteurs associés à la taille et aux orientations stratégiques des institutions. Plus une université aura un budget et corps professoral importants, plus elle pourra générer des recherches et faire valoir des résultats influents. Plus elle soutiendra des orientations stratégiques dans l’éducation et le développement des sciences quantitatives, plus elle obtiendra les signes de reconnaissance scientifique valorisés par le classement de Shanghai. Et finalement, plus elle attirera et soutiendra financièrement des enseignants-chercheurs reconnus et expérimentés, plus ces derniers seront aptes à générer des enseignements et recherches de haute qualité, ce qui est valorisé par le classement. Pour le lecteur, ces cinq facteurs semblent certainement issus du bon sens. La contribution de cette étude est toutefois d’apporter la confirmation de l’importance de ces facteurs au moyen de données vérifiables ainsi que de réfuter une série d’autres facteurs, mécanismes et arguments (comme le nombre d’étudiants ou d’assistants, la balance entre baccalauréats et masters, la gouvernance publique ou privée, …). L’étude contrôle aussi les problèmes d’endogénéité selon lesquels les budgets les plus importants seraient octroyés aux universités ayant obtenu des meilleurs scores. Elle a aussi le mérite de permettre la quantification des mécanismes existants.

D’une part, une telle étude permet de quantifier l’importance des facteurs repris ci-dessus sur le classement d’une université. Elle permet en effet d’inférer qu’un doublement des tailles des budgets annuels et des corps professoraux est statistiquement corrélé avec un accroissement de respectivement 4.8 et 6.8 points du score dans le classement de Shanghai. Du coté des effets des orientations stratégiques, un doublement des parts des dépenses consacrées à la recherche et de la proportion des étudiants en sciences exactes est statistiquement corrélé avec un accroissement de score de respectivement 2.5 et 1.7 points. Au total l’ensemble de ces actions permettrait une accumulation de 15.9 points supplémentaires, ce qui est loin d’être négligeable. Finalement les opportunités salariales ont aussi un effet de levier très important, mais non linéaire. Une augmentation de 20 pour cent des salaires offerts aux États-Unis (calculé au départ du salaire moyen de ces universités) est corrélée avec une augmentation de 6.9 points. Cet important effet est probablement causé par les stratégies d’excellence que les universités nord-américaines développent dans le recrutement de leurs corps académiques.

D’autre part, cette étude permet de commenter les facteurs susceptibles d’expliquer le classement de chaque institution. Pour cet exercice nous prendrons le cas de l’Université du Luxembourg, cette dernière étant susceptible d’intéresser le lecteur de ce journal.

Comme précisé ci-dessus, l’Université du Luxembourg ne figure pas dans le classement de Shanghai. Elle est bien sûr trop jeune et trop petite. Premièrement, on peut constater que le budget de l’Université du Luxembourg est quelque huit fois inférieur au budget moyen des universités nord-américaines présentes dans ce classement. Son corps professoral, la part de ses dépenses de recherche et la part de ses étudiants en sciences exactes sont tous environ deux fois plus petits que les moyennes de ces institutions nord-américaines. Ainsi, autant que sa récente naissance, sa taille et son orientation stratégique ne sont pas favorables à l’entrée de cette université dans un classement académique tel que celui de Shanghai. L’étude nous permet aussi de faire une projection à partir d’une estimation des facteurs de l’Université du Luxembourg en 2010. Supposons en effet que la causalité entre les facteurs énoncés ci-dessus et les scores du classement de Shanghai soit avérée mais, aussi, que l’Université du Luxembourg réponde au même modèle que les universités nord-américaines. Si cette première hypothèse semble vraisemblable, la seconde est probablement plus difficilement à soutenir vu le contexte institutionnel de cette université et de ses sœurs européennes. Supposons alors que les facteurs présents en 2010 aient été alloués depuis un bon nombre d’années (les 200 ans de Mr Charles Eliot …) de sorte que les effets à long terme se réalisent tels qu’ils se sont réalisés pour les universités nord-américaines. L’étude économétrique permet de prédire un score « espéré », au sens statistique du terme, de 6.13 points. Ce score serait inclus dans un intervalle de confiance à 95 pour cent entre 0.65 et 11.6 points. Cette projection indique que, suivant le modèle des universités nord-américaines, l’Université du Luxembourg ne possède malheureusement pas les facteurs qui lui permettent d’entrer dans un classement de Shanghai. Néanmoins, dans le cadre de ce modèle, les stratégies développées dans le paragraphe précédent pourraient concourir à son entrée dans un tel classement. Bien sûr, il est possible de rejeter la pertinence du modèle nord-américain. Dans ce cas, il faudrait réévaluer le modèle dans le cadre des institutions européennes d’enseignement supérieur.

Les classements académiques internationaux ne sont pas une fin en soi. Ils permettent cependant d’évaluer la performance des institutions d’enseignement supérieur dans le monde et influencent les étudiants dans le choix de leurs études et institutions d’accueil. Ils ont un impact sur la perception de l’attractivité des villes et régions dans lesquelles les universités sont établies. Cet article suggère qu’à long terme une poignée de facteurs de taille et d’orientations stratégiques ont une influence significative sur ces classements. Dans le cas de l’Université du Luxembourg, il peut être difficile de surmonter les facteurs de taille. Il reste toutefois des opportunités à exploiter en termes d’orientations stratégiques. Il ne fait pas de doute que ses responsables s’attèlent à comprendre et établir ces dernières.

«Charles W. Eliot, president of Harvard for almost 40 years in the late 19th century, when asked by John D. Rockefeller what it would take to create the equivalent of a world-class university, responded that it would require $50 million and 200 years. (…) At the beginning of the 20th century, the University of Chicago [funded by Rockefeller] became a world-class institution in two decades and slightly more than $50 million. (…) Now, it might take more than $500 million along with clever leadership and much good luck. »
Quentin David, Pierre M. Picard
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