Entretien avec Dan Kersch, président du Syvicol

« Nous subissons la crise »

d'Lëtzebuerger Land vom 15.10.2009

d’Lëtzebuerger Land : Les experts internes à l’administration du gouvernement ont émis, en juillet, une note sur l’évolution des finances publiques 2009-2014, publiée avec le programme du gouvernement Juncker-Asselborn II, et dans laquelle ils tablent sur un déficit des finances communales de l’ordre de 0,4 pour cent du PIB cette année et atteignant presque un pour cent en 2010 – ce qui représenterait quinze pour cent du budget disponible global des communes. En parallèle, le Syvicol a sonné l’alarme, dans le cadre des négociations de coalition, craignant que « le secteur communal [ne soit] frappé de plein fouet par cet infléchissement de la conjoncture ». Est-ce que, entre craintes, spéculations et projections, vous en savez plus aujourd’hui sur la situation financière des communes ?

Dan Kersch : Lundi matin, le groupe de travail Finances du ministère de l’Intérieur a reçu une délégation du Syvicol pour une réunion d’information sur l’évolution des finances communales, et ce que nous y avons appris nous a réjouis au plus haut degré : le ministère estime que les pertes des deux principales sources de revenu des communes, aussi bien l’impôt commercial communal (ICC) que le Fonds communal de dotation financière (FCDF), ne seront pas aussi dramatiques que prévu encore cet été. Elles ne seraient inférieures aux estimations inscrites dans le budget 2009 que de un à 1,5 pour cent. Donc ce serait bien moins grave que ce que nous craignions. 

Mais cela ne veut pas dire que nous sommes du bon côté du fleuve : il y aura un décalage dans le temps des retombées de la crise actuelle, cela s’explique par la méthode de saisie des impôts. Actuellement, nous disposons encore des avances qui ont été payées, ainsi que des soldes des années précédentes, qui ont pu être recouvrés. Pour 2010 par contre, le projet de budget d’État part d’une dotation du FCDF plus ou moins stable, et d’une régression de l’ordre de treize pour cent de l’ICC. 

Ceci dit, je préfère toujours parler sur base des comptes, ce n’est qu’à ce moment-là que nous pouvons dire quelle est l’envergure réelle de la crise. Aujourd’hui, tout ce que nous pouvons dire n’est que pure spéculation. Et aussi longtemps que nous n’avons pas résolu les problèmes qui sont à la base de tout le mécontentement des communes, nous ne pouvons pas changer grand-chose – nous subissons la crise sans pouvoir réagir. 

Quelles sont ces questions de principe ? 

Nous demandons un partage équitable des missions entre communes et État, entre collectivités locales et administration centrale, qui aille de pair avec une attribution plus équitable des charges et moyens financiers. D’ailleurs, nous sommes contents que la Banque centrale vienne nous prêter main forte dans cette discussion, car elle constate, dans son Bulletin (n°2 de cette année, ndlr.), consacré aux finances communales, que les recettes des pouvoirs locaux ont augmenté moins vite entre 1995 et 2008 (de l’ordre de six pour cent par an en moyenne, ndlr.), que celles du pouvoir central (plus 7,4 pour cent). Cela vient confirmer le malaise ambiant. 

L’État prend sans cesse des décisions, non seulement par voie législative, mais aussi réglementaire, qui entraînent des charges administratives et financières considérables en aval, au niveau communal. Regardez par exemple la loi sur les chiens : elle implique beaucoup de travail pour nous, mais est-ce qu’une seule personne aura été sauvée à l’arrivée ? Dans le domaine de la sécurité routière : un règlement grand-ducal vient d’interdire de se garer à une certaine distance d’un passage piéton. Pour une commune, cela implique qu’il faut repérer et vérifier tous les passages piétons et changer la signalétique. Le gouvernement a changé les passeports et leur mode de production – aux communes de s’organiser pour tout mettre en place et former le personnel. Ou encore, l’organisation de la campagne nationale de vaccination contre la grippe A : déléguer du personnel dans un tel centre régional constitue pour une petite commune comme la nôtre un défi organisationnel... Et les exemples sont légion. Il est, à nos yeux, incontournable que les communes soient plus étroitement associées à la procédure de prise de décision pour tout ce qui les concerne.

Beaucoup de maires se sont également plaints de la mise en place du système des chèques-service...

C’est à mes yeux un mauvais exemple, car dans ce dossier, le Syvicol fut consulté et a pu revendiquer une augmentation du taux de remboursement des frais de personnel de cinquante à 75 pour cent, ce qui est quand même une avancée considérable. Il n’y a actuellement que deux ministères qui travaillent convenablement avec les communes, ce sont celui de la Famille et celui de l’Éducation nationale.

Dans une interview au Lëtzebuerger Journal (du 26 septembre), votre vice-président, le député-maire de Mamer, Gilles Roth (CSV) critique ouvertement le ministère de l’Intérieur, pourtant dirigé par un collègue de parti, pour son attitude passive et son manque d’initiatives. Une critique que vous partagez ?

Oui. Le ministère de l’Intérieur aime les effets d’annonce, qui ne sont pourtant pas exécutées par la suite. C’est son administration surtout qui décide par-dessus nos têtes. Mais Jean-Marie Halsdorf nous a promis qu’il allait y remédier.

Les communes sont en train de finaliser leurs budgets pour 2010. Qu’est-ce qu’elles doivent prévoir côté recettes ?

Ce qui les intéressera prioritairement, c’est ce qu’elles doivent inscrire dans leurs budgets rectifiés 2009 – et cela ne sera pas aussi dramatique que nous craignions. Pour les budgets 2010, nous attendons avec impatience la circulaire budgétaire ministérielle, qui devrait sortir dans les prochains jours. Nous en saurons plus à ce moment-là.

Mais ce n’est que partie remise alors, il ne fait aucun doute que les répercussions de la crise économique vont atteindre les communes avec un certain délai...

J’en suis persuadé – c’est inhérent à la technique de perception des impôts. Toutefois, les communes ont les mains liées et ne peuvent guère réagir : on pourrait seulement augmenter les taxes pour les particuliers ou réduire nos frais de personnel, ce qui pénaliserait encore une fois les citoyens. Toutes les autres décisions sont prises par le pouvoir central. Nous constatons que de plus en plus, ce sont les personnes privées et les entreprises qui doivent payer les frais des nouvelles politiques, par des augmentations de taxes – voyez ce qui se passe pour la taxe sur l’eau – au fur et à mesure que l’État se décharge de ces responsabilités, qui sont pourtant de l’ordre du service public. Il faut enrayer ce mouvement.

Est-ce qu’il y a une solution pour cette situation inextricable ? La Banque centrale estime que, d’une part, les recet­tes communales sont très volatiles, mais peu influençables, et que de l’autre, les édiles communaux ne doivent en aucun cas arrêter net les investissements, car cela pénaliserait à nouveau direc­tement l’économie. Néanmoins, on peut se demander si les communes n’ont pas été trop dépensières durant les années fastes ?

Disons que la politique d’investissements des communes a au moins été aussi ambitieuse que celle de l’État. Ceci dit, nous constatons que les petits chantiers communaux sont beaucoup plus bénéfiques pour l’économie locale que ne le sont les grands chantiers nationaux : nous travaillons avec des volumes plus modestes, ce qui permet aussi aux petites entreprises de participer aux procédures d’attribution des marchés, alors que quand l’État construit – une liaison ferroviaire, une nouvelle route, un grand bâtiment –, les marchés reviennent souvent à de grandes multinationales. Puis les communes ont aussi des chantiers d’entretien et de rénovation de leur parc immobilier, ce qui constitue un véritable soutien aux PME.

En outre, en tant que keynésien convaincu, je plaide aussi pour une politique d’investissement anti-cyclique ambitieuse : nous devrions pouvoir nous endetter, prendre des emprunts pour investir et soutenir l’économie – les taux d’intérêts aussi bas s’y prêtent. Nous ne devons pas nous restreindre à mort pour atteindre des critères de Maastricht qui sont complètement fous. Afin que nous ayons une certaine sécurité dans nos prévisions, il faudrait que nous puissions contracter des prêts à taux fixe auprès de la banque de notre choix, pourquoi pas la Banque centrale, au lieu de devoir nous soumettre aux conditions imposées par le ministère. 

Le programme gouvernemental promet une nouvelle fois une réforme des finances communales, en collaboration avec le Syvicol, et veut que le système devienne plus transparent. Où est-ce que la réforme en est ? Et pourquoi est-ce que cela n’avance pas ?

Nous n’avons toujours pas trouvé d’accord préalable sur le partage des missions, donc les négociations sont bloquées. En outre, le Syvicol insiste qu’il ne contribuera pas à une réforme qui se limite à une simple redistribution des moyens et qui soit neutre côté dépenses, où donc, comme le ministère l’a déjà laissé entendre, les financements étatiques de nouvelles charges revenant aux collectivités régionales à créer dans le cadre des plans nationaux seraient retirés aux petites communes existant à côté. Cette bataille-là, le ministère devra la mener seul.

On ne peut pas forcer les collaborations régionales. J’estime que les communes fusionneront quand elles seront prêtes, le ministère ne peut pas complètement redessiner le paysage d’un seul trait, même pas jusqu’en 2017, et pas non plus exclusivement avec des incitations financières. L’État a tendance à croire qu’une centralisation accrue faciliterait tout – je n’en suis pas si sûr ! Car ce sont les élus locaux qui vivent leur commune au quotidien et connaissent les problèmes et soucis des habitants. En plus, les édiles communaux se soumettent à la sanction citoyenne tous les six ans, alors que les fonctionnaires ne sont pas sanctionnés, ce système n’est donc certainement pas plus démocratique.

Justement : la prochaine échéance électorale communale est en 2011. Se pourrait-il que la majorité des élus locaux essaie de tenir jusqu’à cette date, de promettre de nouveaux engagements financiers et des investissements – et qu’après les élections, on apprenne la vraie envergure de la crise financière communale ? Avec, à ce moment-là, une augmentation des taxes à la clé par exemple ?

La plupart des communes vont essayer de tenir le coup d’ici-là, en effet. Puis on verra quelles seront les répercussions d’une baisse plus conséquente des revenus. En tout cas, l’atterrissage sera très dur. Le ministre de l’Intérieur vient de nous promettre qu’il relancera le Conseil supérieur des finances communales, qui n’a presque jamais siégé depuis sa création. Dans ce contexte, le Syvicol se dotera aussi d’un groupe d’experts en la matière, mais nous tenons à ce qu’on y discute aussi des questions de principe que je viens d’évoquer.

josée hansen
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