La fusion des deux théâtres de la Ville de Luxembourg en une seule structure administrative est en cours et provoque rancunes et craintes du personnel et des artistes. Infondées, selon les responsables

Fin de partie

d'Lëtzebuerger Land vom 21.04.2011

« La qualité ! affirme Lydie Polfer. Ce n’est jamais que le souci de qualité et de diversité de la programmation qui précède tout ce que nous entreprenons dans ce domaine. » L’échevine libérale à la Culture de la capitale répond avec beaucoup d’enthousiasme et une mise en perspective historique personnelle aux questions sur l’avenir du Théâtre des Capucins, car elle connaît bien cette maison qu’elle a inaugurée le 1er février 1985 en tant que jeune maire de la Ville. « Le Capucins est un bon théâtre, dit-elle, et je vous assure qu’il a un avenir brillant ! »

Il y a un an encore, lors des manifestations pour le 25e anniversaire de la maison, Marc Olinger, qui en fut le directeur depuis ses débuts, disait la même chose : « C’est avec confiance que je jette aujourd’hui un regard vers l’avenir de cette maison, écrivait-il dans le livre édité pour l’occasion. La scène théâtrale luxembourgeoise est solidement établie, ses forces vives sont plus décidées que jamais, la qualité est définitivement assurée, la relève est possible,... et souhaitable... bientôt. » Or, ce qu’il imaginait comme une transition lente, sur quelques années, durant lesquelles il aurait introduit son successeur, qu’il aurait aidé à choisir, dans les secrets du métier devint un départ brutal et net : à la fin 2010, la Ville, marquée par des mauvaises expériences avec d’autres fonctionnaires ayant prolongé leurs mandats au-delà de l’âge légal, signifia à Marc Olinger que le jour de ses 65 ans serait aussi le jour de son départ à la retraite. Cette saison, 2010/2011, était donc la dernière qu’il aura programmée. Et il quitta la maison en février de cette année, sans qu’un successeur ne soit nommé, puisque la Ville a décidé de fusionner les deux théâtres et que le directeur du Grand Théâtre, Frank Feitler, devenait le directeur général de cette nouvelle structure, avec trois salles – la grande salle et le studio au Limpertsberg et celle des Capucins au centre.

Depuis, Marc Olinger et son épouse, l’actrice et metteure en scène Claudine Pelletier, multiplient les interviews alarmistes : « Feitler veut maintenant jouer le ‘Generalintendant’ jusqu’à sa retraite, et après,... ‘on verra’ disent-ils. Tout cela, c’est du bla-bla de politiciens. Malheureusement, je ne suis pas sûr que l’âme du Capucins va perdurer. » (Marc Olinger, Kulturissimo n° 95 du 10 février 2011). Ou : « De toute manière, au train où vont les choses, je ne donne pas quatre ans au Capucins pour n’être plus qu’un simple théâtre d’accueil, et non plus un lieu de création. Je suis inquiète dès lors pour l’avenir de tous ces comédiens qui appartenaient à la famille des Capucins. » (Claudine Pelletier, La Voix du 8 avril 2011). Voilà, pour le moins, de quoi inquiéter.

« Nous n’avons ni la volonté, ni le but de détruire l’identité du Théâtre des Capucins, » rassure pourtant Lydie Polfer, qui souligne qu’il s’agit surtout d’une réorganisation structu-relle en vue de rationaliser les moyens investis – ce que soulignèrent aussi les orateurs qui prirent la parole lors des débats du conseil communal dans le cadre des discussions sur le budget de la Ville pour 2011, en décembre dernier. Pour l’illustrer, quelques chiffres : le Grand Théâtre dispose d’une subvention communale de l’ordre de douze millions par an, dont la moitié réservée à l’exploitation ; le Capucins recevait aux alentours de quatre millions. Dans le contexte des retombées de la crise économique, les théâtres devaient aussi faire des économies sur les frais de fonctionnement à hauteur de dix pour cent, mais dès cette année, ils devraient retrouver leur rythme de croisière. À partir de cet exercice budgétaire, les finances sont fusionnées, soit quelque seize millions d’euros (en comparaison : le Conservatoire municipal reçoit 17,5 millions par an), auxquels s’ajoutent les modiques 350 000 euros de la part de l’État. Les recettes – vente de billets, locations diverses – d’un million au Grand Théâtre et de 400 000 euros au Capucins vont directement dans les caisses de la Ville.

Le Théâtre des Capucins employait 25 personnes, dont 19 techniciens, alors que le Grand Théâtre fonctionne avec 42 personnes, dont 34 techniciens. En fusionnant, les deux équipes permettent de faire un saut d’échelle dans l’organisation du travail ; tout sera désormais géré centralement à partir du rond-point Schuman. Plusieurs départs à la retraite ne sont ou ne seront pas remplacés, les rumeurs les plus folles et l’incertitude de ce changement radical dans l’organisation du travail provoquèrent plusieurs demandes de réaffectation vers d’autres services, « ce que nous avons respecté et exécuté de manière très flexible, » assure l’échevine. Et Frank Feitler de dédramatiser lui aussi, affirmant que les choses se mettent peu à peu en place, que le nouvel organigramme devient plus clair et l’organisation du travail plus rationnelle. Les techniciens du Capucins suivent actuellement des formations pour pouvoir manier aussi les machineries de scène plus récentes et plus complexes du Grand Théâtre. Le département artistique est régi par trois directeurs de production, un par secteur, danse, théâtre, opéra, qui encadrent aussi bien les créations que les productions que les deux théâtres accueillent, indépendamment de la scène.

Tous ces changements seront peu visibles pour le public, car les programmes furent déjà publiés dans une même brochure ou sur le même site Internet www.theatres.lu et avalisés par la même commission des programmes, des accueils du Grand Théâtre parfois joués au Capucins. « Nous n’allons pas séparer les trois scènes selon le genre du spectacle, ou selon qu’il s’agit d’un accueil ou d’une production, explique Frank Feitler. Nous allons simplement voir quelle salle se prête le mieux pour quel spectacle. » Ainsi, il ne veut en aucun cas réduire le Capucins à une maison réservée au ‘boulevard de qualité’ et le studio au théâtre expérimental – ce serait caricatural. Mais il y a des contraintes matérielles, qui sont la taille et la configuration de la salle de la rue des Capucins, une Guckkastenbühne comme disent les Allemands, aux dimensions modestes, qui ne se prête pas aux grandes productions d’opéras avec orchestre, décors mirobolants et tout le toutim, mais plutôt à de petites productions, deux, trois ou quatre acteurs, qui peuvent tout aussi bien être expérimentales ou de la danse.

La création autochtone, cheval de bataille de Marc Olinger dans sa croisade actuelle, ne doit pas être en reste dans la nouvelle saison, la première de Frank Feitler pour les deux maisons, qui sera présentée le 4 mai : un opéra commandité au compositeur luxembourgeois Claude Lenners, deux commandes de pièces auprès d’auteurs autochtones, Pol Sax (qui adapte son roman U5, qui avait remporté le Prix Servais) et Guy Helminger (qui écrit une nouvelle pièce), et de nombreuses mises en scène de créatifs locaux, notamment les jeunes Carole Lorang, Myriam Muller, Sophie Langevin et Anne Simon (toutes des femmes)... Pour monter leurs spectacles – et surtout pour les faire tourner ensuite – Frank Feitler mise davantage sur les coproductions, non seulement avec les maisons luxembourgeoises, que ce soit le Théâtre d’Esch ou les théâtres privés de la capitale, mais aussi avec des maisons partenaires en France ou ailleurs, avec lesquelles il a de bonnes relations pour avoir contribué à leurs productions depuis son arrivée au Grand Théâtre.

Cela pourrait constituer une avancée réelle pour le théâtre luxembourgeois, qui souffre souvent de son repli, de ne pas se confronter – à quelques exceptions près, comme le Off d’Avignon ou des partenariats à Nice, Bruxelles, Recklinghausen ou Paris – à la concurrence et au public internationaux. « Nos metteurs en scène doivent impérativement avoir plus de contacts avec l’étranger, insiste Frank Feitler, c’est une erreur que font beaucoup d’entre eux de sortir du circuit professionnel en s’installant au Luxembourg. » Ou encore : « Il faut qu’ils quittent cette isolation. Ici, ils sont trop rapidement les rois et ne travaillent plus assez. Je ne sais pas qui de ces dames va percer, mais je considèrerai que notre politique aura réussi lorsqu’elles n’auront plus besoin de notre soutien pour travailler internationalement. »

En attendant de réellement voir les résultats de ce changement d’approche, la rupture avec l’ère Olinger sera aussi matérialisée : La Ville prévoit 1,2 millions d’euros d’investissement pour la rénovation et la mise à niveau des installations techniques (climatisations, sonorisation, lumières, sécurité...) du Théâtre des Capucins, dont les 25 ans depuis sa construction se voient à l’œil nu. Les travaux se feront sur deux ans, sans fermeture de la salle, durant les vacances et les périodes creuses (il n’y aura plus de spectacles parallèles dans les deux maisons et les pièces ses joueront désormais ensuite, donc fini les montages/démontages incessants de décors). Contrairement aux rumeurs, les ateliers de construction de décors de Hollerich ne seront pas fermés, mais ont dû être vidés pour une réfection urgente du bâtiment. D’ici la fin des travaux, les nombreux portraits de la famille Olinger qui ornent les salles et les couloirs – il y en avait 22 ! – seront probablement décrochés. Est-ce pour autant de l’iconoclasme ?

josée hansen
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