Italie

Trois promesses

d'Lëtzebuerger Land vom 31.05.2013

Le nouveau gouvernement italien mené par Enrico Letta, ancien vice-secrétaire du Partito Democratico (PD), est né fin avril suite à un passage institutionnel très difficile, qui a vu le Président de la République Napolitano, élu pour un deuxième mandat à quatre-vingt-sept ans. Il a assigné à Letta la tâche urgente de former un Exécutif capable de réaliser les réformes nécessaires pour remettre le pays en état.

Letta a ainsi nommé 21 ministres et 40 vice-ministres (Sottosegretari), en acceptant aussi des personnalités difficiles à digérer, car sous enquête par la magistrature pour différentes infractions présumées (fraude, fausse déclaration, conflit d’intérêt, corruption et autres), ou parfois seulement connus par le public italien pour leurs sorties homophobes, voire des comportements justifiant l’illégalité ou autres. Le Président de la République avait dit aux Italiens que pour le bien du pays et pour éviter un retour aux urnes, il fallait passer par la déception de voir des partis politiques historiquement antagonistes comme le PD et le Popolo della Libertà (PdL, le parti de Silvio Berlusconi) s’allier et faire front commun pour dépasser la crise institutionnelle, morale et économique, pour sauver le pays.

Débuts difficiles, ne pouvant pas aller pire, mais, peut-être Letta et son gouvernement allaient-ils réussir à emmener le pays à l’aube d’une nouvelle ère dans laquelle les partis auraient mis de côté leurs propres agendas politiques pour se concentrer sur l’avenir autour de cette grande coalition à l’italienne.

Les premières trois promesses faites par cet Exécutif, qui a démarré ses travaux par une retraite de trois jours dans une magnifique abbaye en Toscane, pour mieux se connaître, sont : 1) la réforme de la loi électorale ; 2) la diminution des coûts de la politique (financement des partis, entre autres) ; 3) la relance de la politique nationale en faveur de l’emploi; 4) le retour de l’Italie sur la scène européenne.

La loi électorale italienne de 2005, rédigée par l’ancien ministre de la Lega Nord Calderoli qui l’a définie lui même une « cochonnerie » (d’où le nom de Porcellum), est un système mixte avec une finalité majoritaire, avec des listes bloquées et une prime de majorité à la Chambre des députés où 340 sièges sont assurés à la coalition qui arrive en tête. La prime au Sénat devient régionale et la proportionnalité est renforcée au sein des coalitions. Rappelons que l’Italie connaît le bicaméralisme parfait. Cette loi électorale était conçue pour garantir la stabilité au gouvernement Berlusconi en 2005, mais dans les faits, elle favorise la constitution de coalitions de multiples partis qui peuvent retirer leur soutien et faire tomber le gouvernement. Les listes bloquées ne permettent pas par ailleurs aux électeurs d’indiquer leurs préférences. Une réforme tarde à être mise en place, le gouvernement annonce qu’elle devrait voir le jour avant l’été.

Mais le nœud gordien qui reste à trancher entre PD et PdL est l’énorme distance qu’il y a entre eux sur la quantité et qualité des réformes à apporter. Enrico Letta apparait de plus en plus comme excessivement optimiste d’avoir parié sur une possible convergence des deux partis sur cette question et d’en avoir fait un point fondamental de son programme.

Pour ce qui concerne la diminution des coûts de la politique, nous attendons toujours la première initiative. Et de même pour la relance de l’emploi et les reformes du monde du travail, que Letta a présenté comme son obsession. Ce qui l’empêche de dormir la nuit. Et bien, depuis fin avril, rien ne s’est encore passé.

En Europe, les premiers pas du nouveau gouvernement italien ont été très difficiles à digérer. Car le nouveau Premier ministre a, pour sa première visite à l’étranger, choisi Berlin, quelques heures seulement après avoir accepté son investiture, ce qui a été vu comme l’expression du souci de faire bénir sa nomination par la Chancelière Angela Merkel. Un faux pas pour un pays comme l’Italie qui devrait s’éloigner de tout rapport de soumission par rapport à une Allemagne forte de son économie et désireuse d’indiquer la voie morale, le comportement éthiquement correct à toute l’Europe (comme le disait le Premier ministre Monti : pour l’Allemagne, l’économie est une branche de la philosophie morale).

Letta n’a pas encore pris le temps nécessaire à Bruxelles, et sa victoire bien maigre pour le moment au niveau européen consiste à avoir pu mettre le sujet emploi à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Comme s’il avait besoin de l’Europe pour relancer son pays, comme s’il n’osait pas avouer qu’en Italie la question de la réforme du marché du travail et la relance de l’économie est encore au stade de l’option, une des possibilités de travail d’une coalition qui vit pour le moment en attente des résultats des multiples procès de Berlusconi. Il y a quelques jours seulement, Letta a parlé de « différentes options » qu’il serait en train d’étudier pour la réforme du marché du travail. Entre-temps le pays brûle, les suicides de personnes qui n’arrivent plus à payer leurs dettes sont à l’ordre du jour.

Dans un récent entretien, le Premier ministre a avoué qu’il espèrait que l’Europe ne se limitera plus à donner des indications abstraites sur la question de l’emploi, que la stagnation de l’économie est un grave problème européen et que l’Italie doit se faire porte-parole, avec Paris, d’un nouveau élan européen donnant vie à un gouvernement supranational capable d’intervenir pour aborder les problèmes qui affligent le continent.

Cela veut dire quoi concrètement? Que Rome et Paris n’y arrivent pas toutes seules ? Que Letta sait qu’il ne pourra pas faire ses devoirs à la maison, car Berlusconi ne le lui permettra pas, et qu’il a besoin de l’Europe comme d’une bouée de sauvetage ?

Antonia Battaglia
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