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YouTube trop prévenant envers la censure ?

d'Lëtzebuerger Land du 22.04.2010

Une scène du film Der Untergang a eu un énorme succès sur le Net ces dernières années. Elle montre Adolf Hitler dans son bunker berlinois au moment où son état-major lui apprend que les troupes soviétiques se rapprochent et que la guerre est perdue. Le dictateur s’énerve, fulmine, invective son entourage, en fait sortir une partie puis se lance dans une longue tirade devant sa garde rapprochée. D’innombrables parodies de cette scène ont fleuri sur YouTube, les internautes s’emparant de sujets d’actualités variés pour imaginer des dialogues surréalistes, gardant l’image et le son originaux, mais surimposant des sous-titres humoristiques. On y voit Hitler réagissant à l’annonce de la mort de Michael Jackson, alors qu’il se préparait à se rendre à son concert de comeback, ou à l’information que son compte Xbox live a été annulé pour cause de piratage, sa réaction au clip fétichiste « 2 Girls 1 Cup », dont la scène de coprophagie a déclenché les passions, ou encore des dialogues s’inspirant des récentes polémiques relatives au changement climatique (« Hitler était derrière le réchauffement global »). Il s’agit d’un de ces « memes » dont le Net est friand.

Mais l’utilisation généralisée de cette scène à des fins de parodie a déplu au producteur et distributeur du film, Constantin Film, qui a récemment enclenché le mécanisme automatique de retrait de contenus protégés mis en place par YouTube, « Content I.D. ». Une bonne partie de ces clips, encore recensés sur les moteurs de recherche, ne sont plus montrés et remplacés par l’avis suivant : « Cette vidéo contient des contenus de Constantin Film, qui l’a bloquée en invoquant le copyright ». À cause du grand nombre de clips de parodie basés sur cette scène présents sur YouTube, un certain nombre d’entre eux ont pour l’instant échappé au robot de la plateforme qui analyse les contenus à la demande de Constantin Film et bloque ceux qui correspondent à un certain nombre de critères.

Parmi les parodies qui ont échappé au robot, on continue ainsi de trouver un dialogue imaginé par Brad Tempelton, président de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), organisation de défense des droits des internautes. Il montre Hitler comme producteur du film Der Untergang tempêtant contre le déclin des ventes et contre les pirates qui produisent des copies parfaites de son film, pour enfin ordonner qu’on s’en prenne à YouTube, dont les gestionnaires, ces « poules mouillées », n’entreprendront rien.

Le moins qu’on puisse dire est que l’initiative de Constantin Film a été plutôt mal reçue sur le Net. Certains internautes se demandent pourquoi la société s’en prend à un meme qui en définitive entretient le buzz autour de son film : certains de ces clips de parodie ont été vus par des centaines de milliers d’internautes, contribuant ainsi à faire connaître le film. Nombreux sont ceux qui ont fait valoir qu’elle contrevient au principe du fair use et qu’avec Content I.D., YouTube facilite exagérément la tâche des ayant-droits, qui peuvent d’un clic faire disparaître des pans entiers de contenus, même dans les cas où un examen attentif permettrait de vérifier qu’il s’agit d’une citation légitime. Constantin Film aurait pu choisir d’introduire des plaintes de type DCMA, mais dans ce cas, les tribunaux auraient dans bien des cas constaté que les contenus incriminés correspondaient aux critères du fair use à des fins de parodie.

Dans son communiqué, l’EFF rappelle qu’elle a demandé, il y a plus de deux ans déjà à YouTube, de réviser certains aspects de Content I.D., un dispositif que l’organisation estime trop pré-venant envers la censure. « YouTube nous avait dit alors qu’ils travaillaient pour améliorer l’outil. Si YouTube prend au sérieux la protection de ses utilisateurs, il est plus que temps qu’ils fasse ce travail », déclare l’EFF.

Jean Lasar
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