Lux Telecom doit changer de nom

L’inversion

d'Lëtzebuerger Land vom 28.04.2011

Sommé sur décision judiciaire de changer de nom sous peine d’une astreinte de 1 000 euros par jour, l’opérateur privé de télécommunication Luxembourg Telecom s’appelle désormais Telecom Luxembourg. La sanction est tombée en février dernier après un arrêt de la Cour d’appel pour violation de la loi du 30 juillet 2002 sur la publicité mensongère. L’attaque est partie de l’Entreprise des postes et télécommunications (EPT), qui n’a jamais digéré l’existence d’un concurrent qui grignote ses parts de marché auprès de la très rentable clientèle des entreprises et encore moins supporté de s’être fait « piquer » un nom que l’opérateur public aurait souhaité utiliser pour sa nouvelle entité dédiée à la téléphonie fixe et mobile. LT avait eu la bonne idée de faire déposer le nom de Lux Telecom auprès de l’office Benelux de la propriété intellectuelle. L’EPT n’avait alors pas fait opposition, tout comme l’entreprise avait « zappé » de faire protéger la dénomination tant convoitée.

Luxembourg Telecom doit se plier à cette décision de justice que ses dirigeants disent ne « pas comprendre » : « Telecom Luxembourg est un opérateur privé, orienté vers le marché professionnel. Nous nous considérons comme un opérateur alternatif complémentaire à l’EPT et nous nous sommes toujours présentés comme un acteur privé vis-à-vis du marché », souligne Jérôme Grandidier, son directeur général dans un communiqué.

Les juges n’ont pas eu la même largesse de vue, faisant droit partiellement à l’EPT qui considérait qu’il y avait un risque de confusion entre ses noms commerciaux et celui de son concurrent privé auprès du public. Des sondages ont en effet montré que le grand public pouvait être induit en erreur sur l’appartenance de Luxembourg Telecom à l’opérateur étatique.

Or, les clients de Telecom Luxembourg, avaient fait valoir ses dirigeants, sont exclusivement des entreprises qui ne se laisseraient pas abuser, les entrepreneurs choisissant précisément à dessein LT comme une alternative à l’opérateur public, aux tarifs jugés prédateurs. D’autant que LT faisait apparaître dans ses commu-nications la mention d’un pedigree d’ « opérateur alternatif et privé », laissant ainsi peu de place à la confusion des genres.

Mais même auprès des entreprises, un sondage de TNS Ilres aurait montré que 58,94 pour cent des entreprises implantées au Luxembourg interrogées et 72,50 p.c. des entreprises frontalières prenaient Luxembourg Telecom pour un opérateur de type France Telecom, Deutsche Telekom ou Belgacom. « On se trouve en raison de l’utilisation (…) du signe Luxembourg Telecom en présence d’une publicité susceptible d’induire les personnes, auxquelles elle s’adresse, en erreur sur la nature de la société Telecom Luxembourg », soulignent les juges. « Même une clientèle professionnelle, ajoutent-ils, ne se donne pas nécessairement la peine de faire des démarches pour s’enquérir de la nature véritable de la société anonyme Luxembourg Telecom ».

Il n’a pas été nécessaire à l’EPT de rapporter la preuve d’un préjudice du fait de l’appellation de son concurrent privé, la publicité trompeuse inscrite dans la loi de 2002 n’exige pas en effet la preuve d’une perte ou d’un préjudice réel : « Il suffit qu’il existe la possibilité que l’erreur affecte le comportement économique du public ou qu’elle porte préjudice à un concurrent », souligne l’arrêt.

Désormais le « premier opérateur privé luxembourgeois » s’appellera Telecom Luxembourg, conservant ainsi presque sauve son identité. La décision d’aller en cassation et même au-delà si nécessaire, devant la Cour de justice de l’UE, a déjà été prise, mais un pourvoi en cassation n’est pas suspensif. Pour le reste, ce litige semble avoir renforcé la détermination et l’ambition de ses dirigeants à créer une véritable alternative à l’EPT sur un marché des télécommunications qui peine à couper le cordon ombilical. L’opérateur historique, appartenant à cent pour cent à l’État luxembourgeois, a montré, en s’attaquant de la sorte à son concurrent du privé, l’étendue de son pouvoir de nuisance. C’est à se demander si cette guerre de tranchée n’est pas contre-productive pour la compétitivité de l’économie luxembourgeoise en quête de diversification. La réputation de cherté des prestations de l’EPT et son peu de transparence ne sont sans doute pas de nature à attirer au Luxembourg les grands acteurs internationaux du secteur des TIC. Il est temps que l’EPT apprenne à partager. « Toute société utilisant des connections data et Internet, résume Jean-Claude Bintz, qui vient d’être nommé à la présidence du conseil d’administration de Telecom Luxembourg, se doit de faire appel à deux opérateurs forts pour assurer une redondance. Par le passé, la situation monopolistique du marché a dissuadé de grands acteurs internationaux de s’installer au Luxembourg. Il est dans l’intérêt du pays de soutenir les initiatives privées, surtout quand elles sont supportées par des actionnaires locaux ».

Véronique Poujol
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