CD Grand Duchy Grooves

Normal geniuses

d'Lëtzebuerger Land vom 10.02.2005

«I'm a war president, dit cette voix reconnaissable parmi toutes. I make decisions, here in the oval office, eeehhhh, in foreign policy matters with war on my mind». La dernière partie de phrase résonne plusieurs fois en écho sur un tapis d'un son électronique menaçant et monocorde, puis un synthé reprend et une très belle chanson très groovy en naît. Le titre The Gringo de Loose Body Parts (Tim Lecomte) est léger et dansant, avec un beau drive, mais quelque part aussi, grâce à cette introduction, comme un commentaire sur la répétitivité de l'histoire, un pied de nez à la vanité. Loose Body Parts n'est qu'une des nombreuses excellentes découvertes de la compilation Grand Duchy Grooves - Luxembourgers are not fast food que vient de publier Fred Baus, sous l'égide du Cornelius project, de la Sacem et de Musicall, une section de Vox Mobile. Fred Baus est un connoisseur de la scène électro, il était à l'origine de la seule et unique édition du festival Elektrofabrik à Esch-sur-Alzette en 2001 et officie lui-même comme musicien sous le pseudonyme Project M. Depuis quelques années, il travaille à la Sacem, la société des auteurs-compositeurs, ce qui lui a permis d'approfondir encore ses connaissances de la scène. «Depuis quelques années déjà, je m'étais rendu compte qu'il se passait beaucoup de choses intéressantes dans le domaine des musiques électroniques ici,» dit-il. Et revendique un choix très personnel d'artistes pour un disque volontairement grand public, très mélodieux et digeste. Presque lounge d'ailleurs. Quatorze titres constituent un CD qui se définit lui-même comme «a fine selection of groovy tunes fresh from the uprising scene in one of the world's smallest countries - made in luxembourg, enjoyed by the world». Le premier but de Fred Baus était de promouvoir la musique électronique luxembourgeoise, vers l'extérieur - il était par exemple distribué au Midem à Cannes en janvier -, mais aussi au Grand-Duché, où l'électro reste souvent un peu le parent pauvre des musiques amplifiées. Donc le disque sera vendu 9 euros seulement. En plus, un deal avec le principal sponsor, l'opérateur de mobilophonie Vox Mobile, lui apportera une divulgation maximale : les chansons seront utilisées pour les publicités audiovisuelles et seront téléchargeables sur le site Musicall, e.a. pour servir de musiques d'attentes pour les portables ; la compilation, éditée à 1 000 exemplaires, sera également en vente chez Vox Mobile. Mais revenons à la musique. S'ouvrant sur Vamos à la playa, un titre de Kuston Beater (Christophe Peiffer), graphiste dans la vie et une des révélations de [vitrin]sonore, en novembre à l'Interview. Chanson extrêmement positive, très planante, qui mélange des samples de toutes sortes d'influences avec des breakbeats sur un tapis de petits sons électroniques. À force de progresser dans l'écoute du disque, on constate que Glass, Fano featuring Willi Sun et TNT featuring Gospel Emcee tendent de plus en plus vers les crossover avec le hiphop, alors que Chi, avec le titre The Fifth Time, est carrément jazzy. Vers la fin, après les très beaux paysages sonores presque hypnotiques de Circle around the zero (Emre Sevindik), Dirty Strings, Project M (Fred Baus), Walking to wonderland, et Sug[r]cane (aka Cut, Victor Ferreira), Listen or take care, because…, la dramaturgie du disque nous mène vers le climax, carrément dance. Veste (Steve Bidinger) avec un morceau minimaliste plein de puissants beats, So obvious, DJ Sermeq, frisant la house avec Antidynamic, le superbe Causality de Fullforce (aka Chook) et le psychédélique Uruck Hai des incontournables Principal Trade Center (side project des frères Johanns, aka Chief Mart's, qui, hélas, publient et jouent trop peu en électro) font de la fin un feu d'artifice de sensations fortes. Trop de name dropping dans cet article? Perdu dans les pseudonymes, les acronymes, les synonymes, les homonymes et les anglicismes ? C'est une des caractéristiques de la scène électro que d'être impalpable, toujours en mouvement. Grand Duchy Grooves est une oeuvre de pionnier : jamais auparavant la scène électro luxembourgeoise si créative n'avait été fixée, documentée de façon aussi professionnelle à un moment donné de son histoire, dans une telle envergure en plus. Bien sûr, on regrettera quelques absences, Blue Dressed Man, Alekc et surtout Sonic Attack, les uns n'ayant pas voulu y figurer, puis il n'y avait pas de place pour tous, Mais Fred Baus promet qu'il y aura une nouvelle édition de la compilation en 2006. Déjà maintenant, il mérite - avec Dan Neumanns et son projet Cornelius, qui l'a soutenu et édite le CD -, un titre, une médaille ou au moins une bière, parce que par son choix très personnel, par le soin qu'il y a apporté, il en a en plus fait un bon disque, avec un début, une fin, et entre les deux une évolution de quatorze titres de qualité. Grâce à cela, plus l'artwork soigné et cohérent (Christian Frantzen) et un livre d'accompagnement assez informatif, permettant, grâce aux liens et contacts, d'aller plus loin, Grand Duchy Grooves est vraiment un must have.

Le CD Grand Duchy Grooves - Luxembourgers are not fast food sera officiellement présenté lors d'une soirée-concert de lancement, le 4 mars au Elevator, rue de Hollerich; Principal Trade Center y joueront en live, Sub et Loose body parts feront du deejaying. À partir de cette date, le CD sera en vente au prix de 9 euros aux points de vente du sponsor Vox Mobile et chez quelques disquaires. Les plus impatients peuvent se le procurer en envoyant un mail à fred@cornelius.lu ou dan@cornelius.lu. Pour plus d'infos : www.cornelius.lu ou www.tcp.lu.

 

josée hansen
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