Cinéma

Danser, à jamais

d'Lëtzebuerger Land du 06.07.2018

Ça ne peut être qu’une histoire d’amour. Un premier pour l’un, un dernier pour l’autre, comme une danse qui n’a résolument pas le bon tempo, mais qu’on veut terminer tout de même, pour le plaisir, pour le désir, l’ivresse d’être ensemble. Arthur (Vincent Lacoste), jeune étudiant oisif, est en train de rompre avec Nadine (Adèle Wismes) dans un appartement rennais. Jacques (Pierre Deladonchamps) quitte avec regret son fils (Tristan Farge) et son voisin (Denis Podalydès) pour se rendre à Rennes à l’occasion d’une représentation d’une pièce qu’il a écrite. Ils se rencontrent au cinéma, se plaisent, se revoient et, dans une scène-hommage à un dispositif de François Truffaut, Arthur comprend que Jacques est malade. De cette saloperie silencieuse qui décime ce début des années 90, le sida.

Alors, filme Christophe Honoré, il faut Plaire, aimer et courir vite. Dans ce début et cette fin, ces deux vies à leurs extrémités, il y a beaucoup de place et juste un peu de temps. Celui d’un badinage léger, des mots qu’on se dit au téléphone, ce fil qui se joue à plus d’un titre de la distance. Il y a la mort qui plane, après tout, sans se cacher, plus la peine de l’ignorer. L’écrivain accueille chez lui un ex mourant, l’homme qui l’a contaminé. Leur relation est tendre, résignée mais empreinte de patience. À Arthur, qui lui avoue, au comptoir d’une sandwicherie, ne pas « tellement lire les vivants », Jacques répond qu’il n’aura plus à attendre très longtemps, avec une légèreté qui enivre les deux amants. Ainsi, ce que regarde le cinéaste n’est pas la mort qui arrive, mais la vie qui recule doucement, avec, dans la nuance, assez de place pour vivre encore.

Dans son propos et sa formule, Christophe Honoré réhabilite deux gros mots : romantisme et mélodrame. Assumant qu’ici, ce n’est pas l’amour qui est impossible mais bien la vie. Rien d’autre que l’échéance du dernier instant ne vient contrarier Arthur et Jacques, si beaux, si bienveillants. Méfiance de Jacques, mise à distance, nonchalance permise du jeune amant du fait même de son âge : les va-et-vient des corps disent cette urgence à s’aimer. Dans cette lumière bleue omniprésente, on jurerait qu’ils vont se mettre à chanter, ces deux-là, comme dans Les chansons d’amour (2007) et Les biens-aimés (2011). Ici, l’auteur-réalisateur adopte plutôt un langage de haute volée, d’une impertinence rafraîchissante, voilà pour la comédie romantique. Il n’hésite pas à se servir de sa propre histoire personnelle pour mieux la fantasmer : comme Arthur, le jeune Honoré rêvait de cinéma dans sa province bretonne, a perdu son père sur cette même petite route, a lu les livres et possédé ces cassettes de musique. Il n’a jamais en revanche rencontré de Jacques. Sa reconstitution des années 90 (ici, 1993) est ainsi d’une acuité visuelle et sociologique d’une rare précision.

Présenté à Cannes en mai, Plaire, aimer et courir vite n’est pas sans certaines longueurs, présentant quelques scènes manquant de pertinence, dans un scénario parfois bancal. Pourtant, les deux personnages, servis par des dans l’une de leurs meilleures performances respectives, incitent à l’indulgence tant l’attachement est immédiat. Marylène Andrin-Grotz

Marylène Andrin-Grotz
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