Chronique Internet

Waze s’essaie au covoiturage

d'Lëtzebuerger Land vom 10.05.2019

Waze est une application lancée en 2008 en Israël, un pays en proie comme beaucoup d’autres aux embouteillages chroniques. Elle est fondée sur la présence dans pratiquement toutes les voitures d’un smartphone doté d’un GPS et d’une connexion à Internet. L’application propose un guidage standard en fonction de l’itinéraire choisi par l’utilisateur. Mais en encourageant celui-ci à partager des informations en temps réel sur l’état du trafic, Waze a rapidement réussi à atteindre, dans beaucoup de grandes villes à travers le monde, une masse critique qui lui a permis de guider les automobilistes efficacement vers des voies moins congestionnées. L’entreprise a été rachetée par Google en 2013 pour près d’un milliard de dollars. Les alertes sur les incidents affectant la circulation fournies par ses utilisateurs sont prises en compte depuis l’an dernier dans les informations de trafic de Google Maps. 

Depuis son lancement, la circulation automobile a encore fortement augmenté, et les itinéraires alternatifs auxquels Waze excelle tendent à se boucher à leur tour. Waze, dont le propos est de « battre le trafic », a opté pour une nouvelle approche : encourager ses utilisateurs à covoiturer. L’entreprise s’est livré à des tests en 2017 et 2018, puis a lancé la fonctionnalité covoiturage cette année aux États-Unis. 

Un journaliste de Wired qui l’a testée a fait chou blanc : malgré plusieurs tentatives, ses offres d’embarquer d’autres résidents californiens sur son trajet domicile-travail ou d’autres parcours ont échoué. Lorsqu’il a tenté de répondre à une offre pouvant l’intéresser, celle-ci s’est mystérieusement volatilisée. 

Qui embarque ainsi dans une voiture avec Waze aux États-Unis paie au conducteur jusqu’à 58 cents par mile, soit l’abattement déductible auprès de l’Internal Revenue Service. Les chauffeurs sont notés et ont droit à deux courses payées par jour, à hauteur de 25 dollars par trajet au plus. Fait surprenant, Waze ne gagne rien sur les covoiturages réalisés par son biais, sa porte-parole Terry Wei expliquant que « notre objectif à présent est de faire en sorte qu’un maximum de gens covoiturent ». Ce qui suggère que Waze craint tout simplement que le bénéfice qu’elle offre aujourd’hui à ses utilisateurs – se déplacer plus vite en voiture – ne disparaisse purement et simplement au fur et à mesure que l’on atteint les capacités maximales des infrastructures routières. En d’autres termes, la firme joue la carte du covoiturage pour contrer les encombrements afin de contribuer à préserver un minimum de fluidité sur les routes – son modèle d’affaires.

Waze n’a pas fourni de chiffres précis sur le succès de son initiative. Tout suggère, cependant, que ses débuts sont aussi timides que ceux de Copilote, l’application lancée l’an dernier au Luxembourg grâce à laquelle le gouvernement luxembourgeois espère lutter contre la saturation systématique des routes et autoroutes aux heures de pointe.

Sur le papier, il tombe sous le sens qu’il vaut mieux filer à quatre sur une autoroute fluide qu’être bloqué dans une file interminable de voitures occupées chacune juste par un conducteur. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Les humains font preuve d’une créativité remarquable pour trouver l’excuse imparable qui leur permettra d’écarter la solution du partage convivial, propice au désengorgement. Que faut-il faire, alors, pour éviter qu’ils s’enfoncent, chaque matin, dans ce tunnel déprimant des heures solitaires passées derrière le volant à écouter la radio et consulter ses messageries tout en scrutant le pare-choc de la voiture arrêtée devant soi ? Waze peaufine ses algorithmes qui identifient, parmi ses quelque 115 millions d’utilisateurs, ceux qui font régulièrement les mêmes trajets et calculent les points d’embarquement optimaux. La personnalisation permet au passager de restreindre le genre du conducteur ou aux employés d’une même entreprise de mieux coordonner leurs trajets partagés. Waze joue aussi la carte de la communauté censée naître de ces moments partagés. Mais il ne fait guère de doute que pour « battre le trafic », les carottes ne suffiront pas.

Jean Lasar
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