Le poids de la réglementation va-t-il rogner la rentabilité des banques luxembourgeoises, qui ont retrouvé en 2010 leur niveau de solidité d’avant la crise ?

À la hauteur

d'Lëtzebuerger Land du 28.04.2011

La Revue de stabilité financière 2011, vue par la Banque centrale du Luxembourg, offre sans doute la meilleure vue d’ensemble de l’évolution d’après-crise du secteur bancaire luxembourgeois et de sa solidité, délivrant une analyse sans complaisance des empreintes que la crise des liquidités de 2008, puis celle de la dette souveraine, a laissées sur l’activité. La « consolidation » de la Place en 2010, avec un résultat net des banques en progression de près de 49 pour cent par rapport à 2009, n’a pas empêché une nouvelle dégradation de la rentabilité de l’activité.

Activité interbancaire La tendance à la baisse de la somme des bilans des banques s’est poursuivie en 2010 avec une chute de régime de 2,8 p.c. Les premiers mois de 2011 n’ont pas contredit l’orientation à la baisse dans l’actif du bilan qui s’explique d’abord par une contraction (12,5 p.c. l’année dernière) du portefeuille titre des banques sous l’effet combiné de la baisse des indices boursiers depuis avril 2010 et de la volonté des banques de se délester d’actifs à risques pour améliorer ainsi la qualité de leur exposition. Les créances interbancaires continuent leur évolution à la baisse amorcée depuis le troisième trimestre 2008 : à cette date, l’encours pointait à 509,120 milliards. Il était de 364,847 milliards fin 2010, soit 48,1 p.c. de l’actif du bilan. En revanche, signe de mutation structurelle des banques luxembourgeoises et de leur orientation de plus en plus poussée dans la gestion privée, les créances sur la clientèle (un quart de l’actif des établissements de crédit) ont progressé de 1,6 p.c. entre 2009 et 2010 à 191,174 milliards.

L’analyse du bilan traduit des tendances identiques : l’encours des dettes interbancaires a diminué de 6 p.c. entre décembre 2009 et décembre 2010. Les dépôts interbancaires constituaient en février 2011 44,7 p.c. du passif des banques et les dettes envers la clientèle 35,5 p.c, affichant une baisse en volume de 1,405 milliard dont l’origine s’explique par la désaffectation des clients non bancaires étrangers des pays de la zone euro.

Crédits aux OPC La BCL note une hausse de 12 p.c. entre 2009 et 2010 des crédits accordés à la clientèle non bancaire, avec un montant de 70,497 milliards, dont pratiquement la moitié ont été accordés à des organismes de placement collectif (OPC). Pour faire face aux demandes de rachat des investisseurs pendant la crise financière, les fonds d’investissement ont eu recours aux crédits des banques : le troisième trimestre 2008 a ainsi été caractérisé par un « pic sans précédent » de 41 milliards de crédits accordés aux « autres intermédiaires financiers », c’est-à-dire les OPC. En 2010, la BCL signale une hausse en volume de 5,4 milliards de ce type de crédit, imputable selon elle à nouveau « au contexte de défiance sur les marchés financiers ». Une autre raison, moins dramatique, pourrait elle aussi expliquer ce recours massif à l’emprunt par les OPC : la création en 2007 des fonds d’investissement spécialisés a autorisé ce genre de véhicules non destinés au grand public à avoir recours au robinet du crédit bancaire pour financer une partie de leur investissement, ce qui n’est permis que d’une manière très limitée pour les autres fonds.

Les crédits aux ménages, 29 p.c. de l’ensemble des crédits au secteur non bancaire, ont progressé de 7,4 p.c. En 2010, tandis que les crédits dispensés aux sociétés non financières ont diminué de 8,4 p.c., suite à une chute d’appétit de crédits des entreprises (qui ont puisé dans leurs dépôts pour se financer) ainsi que des conditions d’octroi de prêt plus serrées des banques.

Bas de laine L’aversion au risque des ménages luxembourgeois les a poussés à investir leurs économies dans des produits d’épargne « classique » : la BCL mentionne un « pic jamais atteint » de 24,139 milliards d’euros pour les dépôts, soit une hausse en volume de 1,33 milliard.

Les dépôts des résidents des autres pays de la zone euro ont accusé un recul de dix pour cent entre décembre 2009 et décembre 2010, avec un encours de 65,9 milliards. Les ménages des autres pays de la zone euro, note la BCL, ont déposé 1,501 milliard de moins sur un an, soit une réduction de sept pour cent. Le mois d’octobre 2010 a d’ailleurs été le pire depuis que ce genre de statistique existe (janvier 2003) avec un volume de dépôts de 18,9 milliards, le plus faible jamais enregistré. La faute sans doute à la retenue à la source sur les produits de l’épargne dans l’UE, qui est passée depuis juillet 2008 à 20 pour cent et va augmenter à 35 d’ici juillet prochain.

Si les résidents européens boudent les banques luxembourgeoises et les dépôts traditionnels, les ménages hors UE leur trouvent grâce, ce qui serait un indicateur du succès de la politique de diversification de la place financière hors de ses marchés historiques proches : les dépôts s’élevaient à 13,133 milliards fin 2010, faisant un bond de moitié en un an (6,634 milliards de hausse en volume). La BCL ne livre à ce sujet aucun commentaire.

Il est clair que dans le compte des pertes et profits des banques, la tendance est à l’amélioration des revenus générés par les commissions (avec un niveau équivalent à celui de 2008), tandis que les produits d’intérêts et intérêts bonifiés touchent le fond : - 34,1 p.c. pour les premiers en un an et - 38,7 pour le second poste. La contribution des commissions nettes au produit bancaire en représentait quarante pour cent fin 2010, contre trente un an plus tôt.

Sur le front de l’emploi et des charges, la banque aussi a évolué : le coefficient d’exploitation (cost income ratio) a crevé son niveau le plus haut depuis dix ans à 45 pour cent du produit net bancaire. « Près de la moitié de la valeur ajoutée générée par le secteur bancaire, commente la BCL, est absorbée par les frais de personnel et autres charges d’exploitation ». Les plans sociaux, qui se sont multipliés dans les entreprises financières l’année dernière, ont contribué à ce renchérissement du coût de l’activité bancaire. Cela dit, le recul des dépréciations nettes (- 77 p.c.) et des constitutions de provision auxquelles il faut ajouter la « normalisation » des revenus sur commission ont permis aux banques d’améliorer leur situation financière, compensant ainsi les pertes de recettes sur la marge d’intérêt.

En termes de rentabilité, la BCL note une amélioration des rendements des fonds propres, qui sont passés de 5,9 p.c. en 2009 à 8,7 un an plus tard, avec des rendements qui varient d’une banque à l’autre entre deux et seize pour cent. L’éclaircie de 2010 s’est aussi traduite dans le rendement des actifs dont le ratio a atteint les 0,52 p.c., contre 0,33 en 2009 et 0,02 en 2008. Le ratio de solvabilité s’est toutefois un peu dégradé l’année dernière (-1,8 p.c.) tout en restant largement supérieur aux normes internationales à 18,3 p.c. Une baisse que la BCL explique par une diminution des fonds propres, responsable de 0,5 pour cent de la baisse du ratio. Reste que le ratio de liquidité des banques luxembourgeoises, qui mesure les actifs liquides par rapport aux passifs exigibles, sont restés élevés (65 pour cent), la BCL jugeant la situation « confortable ».

Les tests de résistance des banques d’ailleurs menés par la banque centrale fin 2010, notamment pour le compte du Fonds monétaire international, montrent au final une place financière solide, que même une crise des prix de l’immobilier résidentiel au grand duché et une contraction sévère du PIB luxembourgeois, ne sauraient durablement ébranler la stabilité du système bancaire luxembourgeois. Ce serait sans doute autre chose si un « choc » affectant le PIB de la zone euro devait se produire. Un scénario extrême pour lequel d’ailleurs le Luxem­bourg n’est pas outillé compte tenu des défaillances de l’architecture de la surveillance au niveau national. Yves Mersch, le président de la BCL, a une nouvelle fois déploré que le cadre légal de son institution ne soit toujours pas « à la hauteur » des défis à venir.

Véronique Poujol
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