Institutions

Guerre ouverte

d'Lëtzebuerger Land du 01.05.2003

À 19.00 heures, Valéry Giscard d'Estaing a quitté le navire. Après avoir lancé un sacré pavé dans la marre, le président de la Convention européenne devait honorer un rendez-vous avec le Premier ministre belge pour un déjeuner. Les douze autres membres du « praesidium » ont continué à discuter jusque tard dans la nuit, mercredi il y a une semaine, afin de désamorcer la bombe institutionnelle posée par leur président. À un moment, ils auraient été proches de tout lâcher, de renoncer à présenter des propositions communes sur le futur agencement des institutions européennes à la Convention. Finalement, ils y sont arrivés. Mais ce n'est pas pour autant que leur papier sur la répartition du pouvoir entre Commission supranationale, Conseil réunissant ministres nationaux et députés européens élus au suffrage universel fait l'unanimité.

Valéry Giscard d'Estaing avait à l'origine proposé de faire du Conseil européen, qui regroupe les chefs de gouvernement des Quinze, l'« organe suprême de l'Union » avec à sa tête un président à temps plein, nommé pour deux ans et demi (cf. d'Land du 25 avril 2003). Certains ont vu dans les propositions revues par le « praesidium » un compromis et une base de travail utile. Les Luxembourgeois comme beaucoup d'autres sont loin de partager ce point de vue.

Surtout le président à temps plein du Conseil européen reste inacceptable à leurs yeux. À Athènes, il y a deux semaines, Jean-Claude Juncker avait exposé cette position à ses collègues de l'Union. Il estime représenter l'avis de 17 des 25 futurs États membres. Force est de constater que la nécessité d'augmenter la légitimité démocratique des institutions de l'Union retient moins l'attention, aussi au Grand-Duché.

Jacques Santer, représentant du gouvernement luxembourgeois à la Convention, refuse, avec ses deux collègues du Benelux, de ne serait-ce qu'entrer dans le jeu de Giscard. Par écrit, il a informé l'ancien président français qu'il ne devra pas s'attendre à des simples amendements à son projet mais carrément à des « propositions alternatives ».

La grande question est dès lors de savoir si la Convention pourra encore être le lieu du compromis où si cette nouvelle méthode de réformer les traités sera un échec, du moins sur les questions les plus controversées. 

Parmi celles-ci se trouve aussi celle sur le nombre de commissaires européens. Selon les idées du « praesidium », il faudrait réduire leur nombre de vingt aujourd'hui (pour quinze pays) à quinze (pour 27 pays). S'y ajouteraient quinze « commissaires délégués » sans droit de vote. 

« Avec cette proposition, ils ont lâché l'argument que trente c'est trop, » observe Jacques Santer. Les « petits » pays plaident pour la formule « un commissaire par pays ». L'ancien président de la Commission recommande une hiérarchisation plus forte du collège plutôt qu'une réduction de sièges. Avec un président aux pouvoirs renforcés et entouré de quatre vice-présidents, il n'y aurait aucun problème à gérer une Commission à trente membres pour 450 millions d'habitants.

Pour défendre leurs positions en faveur d'une Commission forte, plutôt qu'exposée à la concurrence d'un nouveau président du Conseil européen, le Luxembourg et les autres « petits » comptent toujours sur l'Allemagne. Or, celle-ci a déjà fait de très larges concessions dans le cadre d'un accord avec la France. Le couple Gerhard Schroeder et Joschka Fischer, qui est d'ailleurs loin de partager les mêmes opinions sur la question, restera donc très courtisé au cours des prochaines semaines : par les « grands » comme par les « petits ».

 

Jean-Lou Siweck
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