Roumanie

Roumanie, élections anticipées en vue

d'Lëtzebuerger Land vom 21.02.2020

Malédiction ou calculs politiques ? En trois ans, la Roumanie a changé cinq fois de gouvernement et se prépare à des élections anticipées. Le gouvernement libéral, qui dirige la Roumanie depuis novembre 2019, n’aura tenu que trois mois. Avant lui, quatre gouvernements sociaux-démocrates étaient tombés à l’initiative de l’ancien chef du Parti social-démocrate (PSD) Liviu Dragnea. Poursuivi pour fraude électorale et abus de pouvoir, il avait tenté d’échapper à la Justice en demandant aux gouvernements contrôlés par son parti de limiter le pouvoir des magistrats. Mais ses attaques contre l’état de droit avaient provoqué une réaction virulente de la société civile qui s’était mobilisée dans la rue pour défendre le système judiciaire.

Liviu Dragnea a réussi à faire tomber quatre gouvernements qui avaient refusé de blanchir son casier judiciaire. Mais, en mai 2019, la justice l’avait condamné à trois ans et demi de prison ferme. Le gouvernement libéral arrivé au pouvoir en novembre dernier n’a pas de majorité au parlement et peine à mettre en place les réformes destinées à moderniser le pays. Après une victoire à la Pyrrhus, le parlement avait renversé le 5 février le gouvernement dirigé par le libéral Ludovic Orban, ouvrant la voie à des élections législatives anticipées. Celles-ci étaient prévues en novembre, mais les libéraux préfèrent les organiser au mois de juin en même temps que les élections municipales.

Le gouvernement de M. Orban a tenté une refonte de la loi électorale qui aurait permis d’organiser deux tours au lieu d’un aux municipales. Mais cette réforme aurait mis en difficulté le Parti social-démocrate (PSD) qui contrôle plus de la moitié des 1 700 mairies. La tentative du gouvernement de moderniser le système électoral a été pour la gauche un prétexte pour voter une motion de défiance contre lui. « Ludovic Orban et son gouvernement libéral ont été démis. C’est une victoire de la démocratie », a déclaré Marcel Ciolacu, chef de file des sociaux-démocrates et président de la Chambre des députés. « Nous avons perdu une bataille mais nous allons gagner la guerre », lui a rétorqué M. Orban.

Les libéraux ont le vent en poupe et profitent de la déconfiture du PSD. Selon un sondage rendu public le 3 février, le Parti national libéral (PNL) bénéficie de 47 pour cent d’intentions de vote, raison pour laquelle il milite pour des élections législatives anticipées. En trois mois, le gouvernement minoritaire dirigé par M. Orban a entamé plusieurs réformes importantes : une refonte du système des retraites qui comporte un grand nombre de statuts spéciaux, et la dissolution d’une section spéciale du Parquet mise en place par les sociaux-démocrates afin de contrôler et de décourager les magistrats. « Le parlement est dominé par des forces rétrogrades qui remettent en question la démocratie, a déclaré M. Orban suite au vote de défiance contre son équipe gouvernementale. Le gouvernement est tombé, mais il est tombé debout. »

Quant aux sociaux-démocrates, ils sont à bout de souffle après une lutte à couteaux tirés avec les magistrats et le système judiciaire. Arrivés au pouvoir en 2016 avec un score de 46 pour cent des suffrages, le PSD recueille à peine vingt pour cent d’intentions de vote d’après le dernier sondage. C’est une défaite cuisante pour ce parti qui a dominé l’échiquier politique depuis la chute de la dictature communiste en 1989. La gauche fait aujourd’hui les frais de son offensive, qui a été très impopulaire, contre la justice.

Toutefois les élections anticipées souhaitées par les libéraux ne sont pas gagnées d’avance. Il faudrait que les tentatives pour former un nouveau gouvernement échouent deux fois en l’espace de deux mois pour que le président libéral Klaus Iohannis puisse dissoudre le parlement. Pour M. Iohannis, le choix est clair. « Nous savons qui sont les deux acteurs principaux sur notre échiquier politique, a-t-il déclaré après la chute du gouvernement. Nous avons un gouvernement libéral enthousiaste qui bénéficie du soutien populaire. Mais nous avons au parlement une majorité du PSD qui s’oppose à toute réforme. La meilleure solution ce sont des élections anticipées. »
M. Orban compte revenir à la tête d’un gouvernement qui bénéficierait d’une majorité au parlement qui lui permettrait de faire les réformes qu’il avait promises à ses électeurs. Le 6 février, le président Iohannis lui a confié un nouveau mandat pour gouverner le pays et prévoir des élections anticipées.

Quant au PSD, il espère reconquérir le pays qui a intégré l’Union européenne en 2007. La gauche dispose encore d’un atout car la majorité des maires capables de mobiliser l’électorat au niveau local sont tenues par ce parti. Malgré sa défaite aux élections européennes et à l’élection présidentielle en 2019, le PSD mise sur une érosion rapide des libéraux et un retour en force au pouvoir. « Ce parti se trouve entre le marteau et l’enclume, d’après l’analyste politique Sebastian Lazaroiu. Il espère revenir au pouvoir, mais d’après les sondages, ses candidats aux prochaines élections municipales ne pourront pas gagner les grandes villes. » La Roumanie semble prête à virer à droite et les libéraux espèrent profiter de cette tendance soutenue par une jeune génération pro-européenne et tournée vers l’Ouest.

Mirel Bran
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