Institutions

Désaccord irréconciliable

d'Lëtzebuerger Land du 05.06.2003

La machine s'accélère à Bruxelles. Il ne reste plus que deux semaines à la Convention sur l'avenir de l'Europe pour boucler son projet d'une Constitution européenne. Le potentiel de conflit le plus important se trouve toujours dans le dossier institutionnel : qui aura quel pouvoir dans la future Union à 25 et plus ?

Au cours des derniers mois, les alliances se sont multipliées pour suggérer des architectures possibles : France et Allemagne ; le Benelux ; l'Espagne et le Royaume ou encore seize États de taille moyenne. À la Convention, le « praesidium » de Valéry Giscard d'Estaing a fait ses propres propositions. Même si ces propositions étaient toutes déjà des compromis, elles soulignaient surtout le gouffre, inédit dans sa profondeur, entre les pays les plus grands et les plus petits.

Mercredi, un premier projet dépassant ces contradictions devait être présenté. Notamment sous impulsion de la présidence luxembourgeoise du Benelux, les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne (CEE) essaient depuis deux semaines de concocter un compromis qui, d'une part, est acceptable pour petits et grands ainsi que « communautaires » et « souverainistes », et qui de l'autre n'esquive plus les grandes questions. Aussi bien à Amsterdam en 1997 qu'à Nice en 2000, les Quinze n'avaient pu s'accorder que sur des compromis boiteux remettant les questions principales à plus tard.

La tentative des Six - leur papier restait toujours à être officialisé à la mise sous presse du présent journal - semble toutefois se solder par un échec. Elle est en plus accompagné par la pusillanimité d'autres. Neuf pays, menés par l'Espagne, refusent de toucher à l'accord de Nice. Ce dernier prévoit le maintien d'un commissaire par pays, un système compliqué de pondération des voix entre pays pour les votes au Conseil des ministres et 732 députés au Parlement européen. S'il a permis d'accommoder tout le monde, cet accord ne promeut ni l'efficacité ni la transparence de la prise de décision au niveau européen. 

Les Six pays fondateurs voulaient aller plus loin, notamment en conciliant la revendication des « grands » de doter le Conseil européen d'un président permanent et celle des « petits » de renforcer la Commission et son président. 

En dépit de leur hostilité annoncée depuis un an, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas auraient été prêts à accepter l'abandon de la rotation semestrielle au Conseil européen, qui réunit les chefs de gouvernement. Ce nouveau « président de l'Europe » verrait son rôle réduit en comparaison aux idées initiales : explicitement éloigné des domaines de responsabilité du nouveau ministre des affaires étrangères et de ceux de la Commission ; déchu de toute administration propre. 

Le compromis aurait laissé surtout les portes ouvertes à plusieurs évolutions. Plutôt qu'un président à plein temps, il pourrait s'agir d'un Premier ministre en fonction qui garde son mandat national. Les dispositions écrites permettraient même, dans un deuxième temps, que la charge revienne au président de la Commission, qui réunifierait ainsi les deux fonctions présidentielles européennes. 

Le compromis des Six prévoyait aussi de reprendre l'offre du Benelux d'accepter une Commission avec moins de membres que d'États. L'Allemagne semble cependant avoir du mal à accepter une rotation égalitaire des pays pour ces postes, puisqu'elle signifie que le plus grand État n'aura par moments pas de commissaire. Les trois « grands » auraient cependant surtout du mal à accepter l'idée belge, que le président de la Commission dirige dorénavant les sessions de l'influent Conseil « Affaires générales ».

La balle est donc de retour dans le camp du « praesidum » de la Convention. Giscard a déjà dû accepter une certaine émasculation du président du Conseil européen et même l'ablation complète de son Congrès des peuples d'Europe. Mais même après une journée de consultations intentsives, mercredi, l'opposition fondamentale entre « grands » et « petits » persiste toujours.

 

Jean-Lou Siweck
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