Théâtre

Une fois, pas deux !

d'Lëtzebuerger Land du 10.05.2019

Après le raté Mais sois sans tweet de, par et pour Claude Frisoni (voir d’Land du 5 avril), on avait beaucoup d’appréhension à retrouver l’auteur et comédien sur ce nouveau spectacle Les héros sont fatigants au Théâtre national. La pièce ayant été annoncée comme une « farce tragique en trois actes », on peut dire après l’avoir vue qu’on ne nous a, hélas !, pas menti… C’est tout à fait bouffon, voire ridicule, et surtout triste à crever – car il est toujours accablant de voir en direct le naufrage artistique.

Il y a près de trois siècles, Destouches disait : « la critique est aisée, mais l’art est difficile ». Toutefois, « juger » ou, dans ce cas, « faire œuvre de critique », quel que soit le domaine, n’est en réalité pas si facile. Alors, on y a longuement pensé, remis en cause nos impressions à chaud, remanié mille fois nos mots pour en parler, évalué notre degré d’érudition… Finalement, on s’en est remis à la déontologie journalistique et c’est en toute responsabilité, avec rigueur et intégrité que nous formulons cet avis – et nous sommes prêts à défendre même les causes perdues…

Bref, il n’y a pas à tergiverser, Les héros sont fatigants est assurément l’une des pires pièces que l’on ait vue. Soit Claude Frisoni est un incompris, un artiste maudit qui sera loué post-mortem, soit le théâtre moderne devrait se passer de lui. On avait déjà souffert devant Mais sois sans tweet, pourtant, ce titre en jeu de mot foireux, aurait dû instantanément nous mettre la puce à l’oreille… Mais, crédules, impatients et passionnés, nous avançons vers la lumière sans savoir ce qu’on y trouvera. Parfois ça a du bon, d’autres fois on perd quelques heures de notre vie, qu’on ne retrouvera jamais. Les héros sont fatigants nous a fait perdre notre temps et pire, la foi que nous portons au théâtre.

Enfin, pour dire vrai, l’amour du théâtre nous l’aurons pour toujours. Néanmoins, c’est plutôt cette industrie du spectacle qui n’en finit plus de nous décevoir. L’incompréhension est en effet totale, quand les programmateurs manquent à ce point de discernement. Bien sûr qu’il en faut pour tout le monde, mais là, ce n’est pas tant le style vaudeville qui dérange, c’est surtout que l’ensemble textuel est mauvais, la mise en scène mal ficelée, arrangée comme un micmac interminable et que les comédiens n’y arrangent rien.

Les héros sont fatigants met en scène trois vieux militants anarchistes aux idéologies extrêmes et dépassées. Léo, Marius et Remy se retrouvent une énième fois dans leur planque vétuste, pour élaborer un nouveau plan d’action contre la société, celle qu’ils détestent, les bourgeois, les bobos, la droite, etc. Tiens, on est bien chez Frisoni : dans ses textes, l’auteur voue un culte à mépriser toute une tranche de la population, sans gêne et sans filtre, un peu à l’image de ce qu’ils leur reprochent finalement.

Alors oui c’est nostalgique, en tout cas, ça en a l’air, mais touchant, à aucun moment. On est plus proche du pathétique que d’un sentiment de tendresse envers ces petits vieux sur le retour qui ne veulent pas lâcher leur lutte. Et puis, c’est grossier, plein de maladresse, c’est pire qu’une déception, c’est nul. C’est ce genre de pièce où arrive ce moment où l’on ne regarde plus devant soi, la scène, les comédiens et tout le toutim, mais derrière, pour chercher un regard, un signe, n’importe quoi qui nous ferait sortir de cet enfer et surtout pour se rassurer de ne pas être l’unique spectateur de mauvaise foi dans cette salle, en chuchotant à son voisin, « sommes-nous seuls à trouver ça stérile et insignifiant ? »

Ainsi, la mise en scène est pauvre, sûrement guidée par des choix dramaturgiques douteux. Pourtant il y a bien quelques idées, comme ce pan de mur de fond, reculant à l’acte II, pour ouvrir la scène au plus large. Ça fait du bien. En fait, on respire surtout de ne plus avoir ces comédiens aux abois à deux mètres de nous.

Ce qui est étonnant c’est que Bernard Graczyk, autant que Denis Jousselin, ne sont généralement pas des acteurs qui déçoivent. Le premier a une carrière à faire pâlir les plus grands, tandis que le second avait été très convaincant dans À portée de crachat mis en scène par Sophie Langevin, il y a quatre ans, ou Mesure pour mesure par Myriam Müller, l’année dernière. Ici, ils bafouillent, confondent, perdent le rythme, oublient des mots, des lignes quasiment, dégringolent d’une direction d’acteur bâclée… Que leur a-t-on fait ?

On ne pourrait même pas qualifier cette pièce de « nanar », ce serait lui accorder une dimension pop et comique qu’elle n’atteint même pas. Non, c’est affreux, une forme de mauvais théâtre d’amateur – car il y a de biens meilleurs amateurs. Et on s’en excuse sincèrement, mais il n’y a rien à sauver dans ce spectacle.

Y a un temps pour tout, dans les grands combats comme au théâtre, il faut savoir s’arrêter. À partir d’aujourd’hui, face à celui-ci, tout autre spectacle, même le plus insipide, va nous paraître réussi. Et quand on voit la qualité du théâtre au Luxembourg, on se demande vraiment ce que vient faire un spectacle du genre sur une scène aussi importante que le TNL. L’erreur est humaine dira-t-on, mais pour reprendre le slogan, « Plus jamais ça ! », par pitié.

Les héros sont fatigants de Claude Frisoni, mise en scène : Jacques Schiltz, assistaté de Claire Wagener, scénographie et costumes : Marie-Luce Theis ; dramaturgie: Ruth Heynen, assistante dramaturgie: Anna Arnould-Chilloux ; traduction et surtitrage: Marco Maria Casazza ; soufflage: Anna Arnauld ; avec: Claude Frisoni, Bernard Graczyk, Denis Jousselin, Raoul Schlechter, était une coproduction du Théâtre National du Luxembourg avec le Théâtre Ouvert

Godefroy Gordet
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