Malgré la baisse de son score, le DP reste largement en tête dans la capitale, avec trente pour cent des suffrages et neuf mandats sur 27. La bourgmestre sortante Lydie Polfer, DP, s’est rapidement alliée avec le CSV, qui a gagné deux sièges. Les Verts restent cois

Objectif 2018

d'Lëtzebuerger Land vom 13.10.2017

Lundi 9 octobre, 15 heures. Sous les ors et les lustres de la grande salle du conseil communal de Luxembourg-ville, il n’y a qu’accolades et embrassades. On se serre la main pour se féliciter ou on s’embrasse pour se consoler, tous partis confondus. Sam Tanson, toujours échevine des Verts, donne une chaleureuse accolade à Marc Angel, candidat tête de liste malheureux des socialistes, avec lequel le parti vient de perdre un siège au CSV et presque cinq points de pour cent des suffrages. Il est abasourdi. « J’ai mis une veste rouge exprès, en solidarité avec Marc », dira Lydie Polfer en rigolant, elle-même très satisfaite d’avoir pu améliorer son score personnel de 563 voix par rapport à 2011 et d’avoir défendu la première place incontestée du parti libéral à la sortie des urnes, avec trente pour cent des suffrages, pour neuf mandats (ce qui constitue une perte de 3,61 points de pour cent par rapport à 2011 ; en 2005, le DP avait encore onze mandats, dix en 2011). Ce lundi après-midi a lieu une réunion ordinaire du conseil communal, fixée en amont des élections déjà, avec des points classiques à l’ordre du jour : adoption définitive de l’organisation scolaire, bail de l’Office social, accord d’ester en justice dans une affaire immobilière… en moins d’une heure, tout sera terminé. Rien que du très banal donc. Sauf que, les conseillers en ont bien conscience, c’était probablement le dernier conseil de la majorité DP/Les Verts.

« Aujourd’hui, vous n’arriverez pas à m’enlever mon sourire des lèvres », sourit à grandes dents le conseiller CSV Maurice Bauer, troisième élu sur la liste du CSV, qui a pu améliorer son score de plus de 2 400 voix par rapport à 2011. Entre lui et Isabel Wiseler Santos-Lima (l’épouse de Claude Wiseler) d’un côté et Claudine Konsbruck de l’autre, il y a un grand vide entre les sièges du CSV : les conseillers Laurent Mosar et Martine Mergen ne sont pas venus aujourd’hui ; « c’est d’ailleurs la règle avec eux » râle un collègue. Mosar, tête de liste malheureuse en 2005 encore, se classe cette fois quatrième sur la liste du CSV, derrière Maurice Bauer. Martine Mergen, qui garde son assez mauvais score de 2011 (un peu plus de 5 900 voix), se fait doubler par les jeunes Paul Galles et Elisabeth Margue et ne se classe que sixième – soit en première suppléante seulement.

À 15 heures, tout semble encore pour le mieux dans le meilleur des mondes : la majorité bleue-verte travaille comme si de rien n’était, Lydie Polfer a toujours semblé apprécier travailler avec Sam Tanson, la pragmatique, les Verts ont gardé leurs cinq mandats et même légèrement amélioré leur score de 2011 de 0,81 points. Et pourtant, le soir, patatras !, fini le rêve de continuer comme avant. Après une consultation interne des 27 candidats du DP, Lydie Polfer annonce lundi soir devant les caméras de RTL Télé Lëtzebuerg que le parti avait majoritairement décidé d’entamer des négociations de coalition avec le CSV, qui « avec un gain de deux sièges, sort renforcé de ce scrutin » affirme le DP Stad dans un communiqué le soir même. Les Verts sont déçus, mais alors déçus, que leur partenaire de coalition durant douze ans n’ait même pas daigné leur parler, au moins symboliquement, Sam Tanson le dira à la télévision et dans un entretien au Land, François Benoy, sa co-tête de liste, fera part de son étonnement via Twitter. Tout se passe comme si une parenthèse se fermait, que le DP revenait simplement à son partenaire de coalition d’avant 2005. Un peu aussi comme s’il fallait donner un gage de bonne volonté vis-à-vis du CSV, qui, tout le monde en semble déjà convaincu, risque de revenir aux manettes du pouvoir national lors des législatives de 2018.

Serge Wilmes donc. 35 ans, dents de requin. À l’exception d’un bref passage aux Archives nationales, puis au secrétariat parlementaire du CSV, l’historien de formation a vite fait le choix d’une carrière de politicien professionnel. Éternel militant pour un rajeunissement du CSV, d’abord via sa présidence à la section du CSJ, puis via le Dräikinneksgrupp, il n’a jamais caché ses ambitions, qu’il ne comptait pas rester dans la deuxième rangée bien longtemps. Pourtant, s’il n’était pas là lundi, à cette dernière réunion du conseil communal, c’est parce qu’il n’avait pas été élu en 2011, où il ne s’était classé que huitième. Aux législatives de 2009, il ne s’était classé que quatorzième, mais par l’enchaînement des hasards et des coups du destin, il est entré à la Chambre en 2011, puis fut réélu en 2013. Il y est membre de commissions parlementaires importantes comme les Affaires étrangères, le Travail, l’Emploi et la Sécurité sociale ou le Développement durable, mais travaille aussi sur des sujets plus soft comme l’Enseignement supérieur et les Médias ou encore la Culture (avec un penchant pour les questions du patrimoine ; dernière question parlementaire en date : la sauvegarde du patrimoine forain). Serge Wilmes aime se donner populaire, en publiant un livre de vulgarisation, comme C wei Crémant (Saint-Paul, 2013), par exemple. Son blog sur serge-wilmes.lu est à l’arrêt depuis octobre 2014.

Mais malgré son air enfantin et ses fossettes quand il sourit, c’est un dur à cuire. Il ne voudra pas jouer ailleurs que dans le cour des grands au conseil communal, il l’a montré en amont des élections avec son refus de discuter avec Sam Tanson en tête-à-tête sur RTL Télé Lëtzebuerg, puisqu’il avait été invité à affronter Lydie Polfer, organisant un bel éclat médiatique par communiqués interposés. Sur les ondes de la radio publique 100,7 le 2 octobre, il affronta Lydie Polfer sur un ton très agressif, lui reprochant à la fois de ne pas assez construire (de logements abordables) et de construire trop (le bruit, les chantiers...) Certains prédisent déjà qu’il ne sera pas aussi commode que le furent les Verts. Car Wilmes revendique un triomphe aux élections de dimanche, ayant fait gagner presque six points de pour cent et deux mandats à son parti, et ainsi enrayé la perte de vitesse continue du CSV sur le territoire de la capitale. Dès dimanche soir, il s’est montré fier d’avoir inversé la vapeur. Avec six sièges contre neuf pour le DP, il semble d’ores et déjà certain qu’un des points à débattre lors des discussions de coalition, qui ont commencé mercredi, sera l’équilibre au conseil échevinal. Actuellement, avec un rapport de force de dix sièges pour le DP et cinq pour les Verts, la moitié, ils sont quatre libéraux et deux verts au conseil échevinal. Serge Wilmes risque de revendiquer un échevin de plus pour le CSV.

En amont des élections communales de cette année, tout indiquait que les électeurs voulaient un changement politique, comme ils l’avaient voulu en 2013 sur le plan national. À l’arrivée, ce sont le DP et le LSAP qui ont perdu chacun un siège récupéré par le CSV, peut-être parce que les électeurs étaient las de voir toujours les mêmes têtes. Ainsi, Lydie Polfer a certes amélioré son score de 2011, mais elle est encore loin du score du très populaire Paul Helminger en 2005 (16 181 voix), voire de celui de Xavier Bettel en 2011 (13 928 voix). Le phénomène le plus marquant pour le DP cette année est que son taux de suffrages de liste a explosé : 70 pour cent des électeurs du DP ont fait une croix au-dessus de la liste (contre 54 pour cent en 2005). Il y a donc toujours un fidèle électorat libéral qui, malgré le départ des stars d’antan – les Helminger, Bettel, Brasseur, Flesch –, ont voulu soutenir le DP et l’ont donc fait pour toute la liste.

Le LSAP a le moins profité des suffrages de liste, 61 pour cent de ses votes, et Marc Angel a personnellement perdu presque 2 000 voix. Dimanche soir, l’ambiance était exécrable au LSAP – dont la perte d’un siège en Ville n’est pas la pire des claques (voir par ailleurs) – les « jeunes » reprochant aux pontes de n’avoir pas su assez renouveler le parti, de ne pas avoir permis à des nouveaux de se faire un nom, maintenant que le parti est encore au pouvoir au gouvernement. La capitale avec son électorat fait de commerçants et de professions libérales a toujours été difficile pour le LSAP – le score de Marc Angel cette année avoisine celui de Ben Fayot, 6 500 voix, en 2011. Marc Angel est fatigué, assume la responsabilité de la débandade de dimanche, « ça fait peut-être trop longtemps que je suis dans le métier, 25 ans que je fais de la politique communale », dit-il vis-à-vis du Land. Pourtant, il compte pour un bosseur, qui ne rechigna devant aucune tâche ingrate durant la campagne, servant le champagne à la braderie et portant les paniers de courses de ces dames un jour de marché.

Le succès de la jeune équipe de Serge Wilmes semble donner raison à l’hypothèse du désir de renouveau des électeurs. Elisabeth Margue, septième élue sur la liste du CSV, est présidente du CSJ depuis un an, avocate d’affaires chez Arendt et très engagée dans la cause du parti. Paul Galles, sixième élu, théologue de formation, travaille chez Young Caritas, sur le thème de l’inclusion des demandeurs de protection internationale notamment. Le CSV a reçu 68 pour cent de suffrages de liste.

« Les résultats, dit en substance Lydie Polfer lundi, c’est très bien. Encore faudra-t-il trouver un accord sur un programme échevinal à exécuter durant les six ans à venir. » Mais sur ce plan-là, les programmes se ressemblaient tous dans les grands axes : tout le monde veut moins de trafic, plus de mobilité douce, plus de logements, de préférence à des prix abordables, plus de places pour les enfants dans les foyers et maisons-relais, plus de sécurité et plus de petits commerces charmants. Le CSV propose même la construction d’un hall de marché sur la place du Théâtre. Or, dans une Ville dont la gestion quotidienne est assurée par les hauts-fonctionnaires et leurs services spécialisés, il s’agit alors surtout d’une question de volonté politique, des moyens que les deux partis seront prêts à mettre en œuvre pour atteindre leurs objectifs.

josée hansen
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