Entretien avec Lydie Polfer (DP), échevine resposable de la Culture de la Ville de Luxembourg

Merci pour les émotions !

d'Lëtzebuerger Land vom 31.07.2008

d’Land : En début d’année, vous avez repris, après avoir été simple conseillère communale depuis les élections de 2005, le mandat d’échevine responsable de la Culture de la Ville de Luxembourg de Colette Flesch, qui est partie à la retraite. Pourquoi ce changement en cours de mandat ? Le poste n’aurait-il pas dû vous revenir dès 20051 ?

Lydie Polfer : Il s’agissait d’un arrangement dont nous avions convenu, Colette Flesch et moi, en 2005. En effet, après les élections, nous étions à un an et demi de l’ouverture de l’année culturelle, pour laquelle elle s’était beaucoup investie à ce poste durant la législature précédente, et cela lui plaisait. Alors j’ai pensé que ce serait bien et juste qu’elle puisse terminer ce travail, et c’est ce que nous avons fait. Après, j’ai voulu intégrer le conseil échevinal pour prouver mon attachement à la ville et ses citoyens en m’engageant pour eux. 

N’est-il pas trop difficile de jouer les deuxièmes violons après que vous ayez été bourgmestre vous-même durant 17 ans et ayez mené la campagne électorale de 2005 en tant que tête de liste ? Et qu’en est-il des supposées frictions entre vous et le maire actuel Paul Helminger ? Il n’en est rien ! En 2005, la seule chose qui comptait, c’était de gagner les élections et de ne pas perdre la capitale. C’était l’essentiel et ce n’était pas gagné d’avance. Et nous ne pouvions l’atteindre qu’ensemble. C’est pourquoi j’ai convaincu Paul pour qu’il soit candidat, alors qu’il avait annoncé ne plus vouloir briguer un nouveau mandat. Le fait que certains aient voulu voir « des frictions » nous a en réalité aidé en polarisant toute l’attention sur nous et notre parti, même s’il est vrai que j’étais déçue par l’attitude de certains qui n’ont pas compris le sens de mon engagement. Mais je vous assure que le soir de l’élection, au vu de notre résultat – onze sièges ! –, j’étais ravie et soulagée. 

Et aujourd’hui, la seule chose qui compte, c’est de bien travailler ensemble, pour concevoir au mieux l’avenir de notre ville et je vous assure que l’atmosphère au collège échevinal, que le bourgmestre préside avec dynamisme et énergie communicative, est à la hauteur de cette tâche. 

Pour moi, il s’agit d’un travail dans la continuité et je retrouve avec plaisir des dossiers qui me tiennent à cœur, comme le Ciné Cité ou encore des initiatives que j’avais lancées, comme par exemple les ateliers d’artistes de la Schläifmillen ou le festival Rock um Knuedler. Et puis j’ai contribué à l’établissement du programme culturel, alors que j’étais membre de la délégation qui a mené les négociations de coalition avec Les Verts en 2005. 

Certaines institutions culturelles avaient peur d’une rupture dans la politique de subventionnement très généreuse des dernières années à leur égard. Cette peur est-elle justifiée ou pouvez-vous les rassurer ? Il n’y a pas de raison d’avoir cette peur-là. Au contraire, je me situe vraiment dans la continuité de ce qui a été fait depuis de longues années. En effet, la Ville de Luxembourg a été depuis trente ans un précurseur d’une politique culturelle ambitieuse et y investissait une part importante de son budget. Le hasard fait par exemple que le Ciné Cité avait été racheté lorsque j’étais maire et que les travaux seront achevés d’ici la fin de l’année, que je pourrai donc participer à son inauguration. Ou regardez le Conservatoire : mon père avait posé la première pierre du bâtiment actuel lorsqu’il était bourgmestre, je l’avais inauguré en 1985 et nous venons de décider que nous allions l’agrandir2… Tout cela s’inscrit dans une logique d’investissements conséquents et à long terme dans les activités culturelles.

Vous étiez co-présidente de l’asbl qui organisa l’année culturelle en 1995 et avez observé celle de 2007 avec un peu plus de distance. Quel est votre bilan de ces années culturelles ? Qu’ont-elles apporté à la culture du pays et de la capitale ? Je crois que 1995 a surtout eu comme conséquence une énorme prise de conscience pour l’importance de la culture, aussi bien du côté du grand public que du côté de l’État. Depuis lors, beaucoup de nouvelles infrastructures ont vu le jour, dépendant de la Ville, avec l’ouverture du Musée d’histoire, ou de l’État, avec la Philharmonie, le Centre culturel et de rencontres Abbaye de Neumünster, le Musée d’art moderne, le Centre national de l’audiovisuel à Dudelange ou la Rockhal à Esch, plus les nombreuses infrastructures régionales.Je ne me permettrais pas de juger l’année 2007, comme je n’étais qu’observatrice. Mais il y a eu quelques projets saillants, comme l’exposition Trans(ient) City, un flop très onéreux, et, à l’autre extrême, de petits projets comme Ni vu, ni connu, modestes mais originaux. Le festival de théâtre et de danse pour enfants Traffo était une vraie nécessité, qui comblait un vide. C’est pour cela que la Ville subventionne l’asbl Carré Rotondes pour qu’elle puisse le pérenniser. 

Lors de votre prestation de serment, début janvier, vous avez dit qu’il avait été assez investi dans les pierres ces dernières années, et que vous alliez désormais consacrer plus de moyens aux créateurs et à la création. Comment ? Pour moi, la culture est un édifice à trois piliers : premièrement, il y a les infrastructures, qui sont essentielles. Mais, comme je vous disais, on a rattrapé notre retard en la matière ; la Ville de Luxembourg est encore en train de transformer la Villa Vauban pour les expositions et le Ciné Cité avec le Cercle municipal pour les activités socio-culturelles, et, après l’agrandissement du Conservatoire, je crois que les besoins en la matière seront tous couverts. 

Le deuxième pilier est celui du savoir et de l’accès à la culture. Là, nous faisons beaucoup d’efforts en matière de pédagogie, et ce dès le plus jeune âge du public. Pour moi, le Musée d’histoire est un exemple en la matière, son concept étant d’ouvrir de nouveaux regards sur l’histoire de la ville. Nous allons faire la même chose à la Villa Vauban, où les nouvelles salles seront conçues et programmées pour faire écho à la collection Pescatore, que la Villa abritera. Les expositions et les ateliers permettront aux enfants et au public adulte de mieux comprendre l’art, de trouver un autre accès. 

C’est pour cela aussi que nous continuons à soutenir le festival Traffo, qui encourage les enfants à être créatifs, à perdre la peur de la culture, et ce dès 18 mois. Nous allons faire plus d’efforts encore dans ce domaine dans tous nos instituts culturels, dans les deux théâtres, mais aussi à la Bibliothèque municipale, qui, dès sa réouverture au Ciné Cité, à la rentrée, prévoit des lectures publiques pour enfants tous les samedis matin. 

Et le troisième pilier de la culture, le plus essentiel, ce sont les émotions, c’est ce qui fait notre humanité. Grâce aux émotions qu’on peut ressentir dans une pièce de théâtre ou devant une œuvre d’art, on peut mieux comprendre ce qui vous arrive ou, en en apprenant sur les thèmes universels comme la culpabilité, le deuil, la peur ou l’amour, mieux accepter son propre destin et se sentir moins seul. C’est pour cela que la culture est si importante. Et les émotions, ce sont les artistes qui les créent et qui les véhiculent, donc il nous faut les soutenir davantage.

De quelle manière ?? En investissant dans la création. Nous venons par exemple de décider d’augmenter les subsides des théâtres privés sur le territoire de la capitale, comme le Tol, le Centaure et les Casemates ; il s’agit là d’une augmentation substantielle3. En outre, nous achetons des œuvres ou faisons des commandes, comme cela a été fait pour les deux tableaux que Tina Gillen a réalisés pour les escaliers de la mairie. 

Puis j’estime aussi que nous devrions faire plus d’efforts pour aider nos artistes à se produire à l’étranger. Si une aide systématique à l’export, comme par exemple la prise en charge des frais de voyage ou des frais de participation à des foires d’art, est certes du domaine de l’État, les instituts culturels communaux pourraient demander plus souvent à ce que les productions nationales – enfin, celles qui s’y prêtent – puissent être montrées dans les maisons avec lesquelles ils font des coproductions. 

J’estime aussi, dans un autre registre, que nous devons mieux soutenir les sociétés de musique locales, qui jouent un rôle socio-culturel essentiel dans les quartiers. On se moque parfois un peu des fanfares et des harmonies, mais elles font un travail remarquable pour la cohésion de la population. C’est pour cela que nous allons faire plus d’efforts pour eux, et le nouveau centre que nous sommes en train de construire à Bonnevoie en est un exemple. 

Le budget ordinaire que la Ville de Luxembourg dépense pour la Culture est de plus de cinquante millions d’euros cette année, plus quelque 17 millions de dépenses extraordinaires dans le domaine4, sur un budget de dépenses total de 625 millions d’euros. C’est une part gigantesque. Est-ce que cet effort va être maintenu ou est-ce qu’une limite est désormais atteinte ?? La Ville de Luxembourg a toujours été un précurseur en la matière, je me souviens d’une époque où nous investissions davantage en culture que l’État ne le faisait sur tout le territoire du pays. Et nous avons même connu des périodes où le budget de la culture dépassait les dix pour cent. Vu la situation financière confortable de la Ville, il n’y a actuellement aucune raison que ces efforts stagnent.

Toutefois, il reste encore deux grands chantiers culturels de la Ville, à savoir la transformation du Ciné Cité avec le Cercle municipal et celle de la Villa Vauban, que vous allez désormais suivre. Où en sont-ils ? D’abord le Ciné Cité, pour lequel vous investissez 17 millions d’euros, plus presque neuf millions pour le Cercle…Ce chantier avance bien, sauf que nous avions un problème avec un plâtrier, qui a fait faillite, ce qui nous ralentit pour la partie supérieure du bâtiment. Néanmoins, nous allons pouvoir garder les délais pour la partie inférieure, l’entrée et le sous-sol, qui abritera la Bibliothèque municipale et pourra être inaugurée le 25 septembre prochain, comme prévu. Ces locaux seront beaucoup plus accueillants que le Centre Hamilius, où elle loge actuellement, on y entre de plain-pied et le prêt des livres sera gratuit. 

La grande salle de conférences de 160 places sera achevée plus tard. Elle sera exploitée avec le Cercle municipal transformé, dont le chantier a pris du retard et ne pourra être achevé avant 2010. Il abritera toujours la grande salle, mais aussi six petites salles de conférence. Nous allons engager un responsable pour toute cette infrastructure, mais il est essentiel pour moi que cet équipement reste sous la responsabilité directe de la Ville de Luxembourg. Le Cercle municipal a toujours été le « Salon de la Ville » et doit le rester, pour cela, il doit rester accessible pour le public, qui pourra y louer des salles. On ne peut y appliquer la seule logique de la rentabilité, il s’agit d’un équipement public, financé avec les deniers publics. Il doit donc contribuer à l’enrichissement de la vie de la capitale.

La transformation de la Villa Vauban, comprenant entre autres la construction d’une nouvelle aile pour les expositions temporaires, va bon train aussi (budget : 14,3 millions d’euros) et devrait pouvoir ouvrir en 2010…Oui, là, nous avançons vite. Mais pour nous, il est clair que ce nouveau lieu restera attaché au Musée d’histoire et que donc Danièle Wagener en sera la directrice, avec, toutefois, un conservateur spécialisé pour gérer la collection et organiser les expositions temporaires. D’ailleurs l’appel à candidatures a déjà été publié. L’essentiel, pour moi, y sera le travail avec les enfants. 

Il existe un projet de Den Atelier pour déménager dans les anciens abattoirs de Hollerich, où il est question que la Ville lui construise deux salles de concert de poprock. Qu’en est-il ? Il s’agit d’une initiative des responsables de cette salle privée. Mais je tiens à souligner ici que notre collaboration a une longue histoire : je l’avais entamée à l’époque, parce que nous n’avions pas d’équipements pour abriter ce genre de concerts dans la capitale. Afin de participer à leurs risques financiers, et de les convaincre d’aller au-delà des soirées « disco », qui généraient beaucoup de nuisances sonores dans ce quartier d’habitation, nous avions signé une convention par laquelle la Ville s’engageait à contribuer à leur financement avec une aide de 75 000 euros. Qu’ils veuillent déménager à Hollerich est une idée intéressante, car tout ce quartier sera réaménagé. Ceci dit, bien que le projet ait été évoqué plusieurs fois au collège échevinal, rien n’est encore décidé, ni en ce qui concerne le projet global, ni son financement. 

1 Lydie Polfer, DP, née en 1952, était maire de la capitale entre 1982 et 1999, avant de devenir ministre des Affaires étrangères. Depuis les élections de 2004, elle est membre du Parlement européen et a été réélue aux élections communales de 2005 au Knuedler, troisième de son parti, derrière Paul Helminger et Anne Brasseur, mais avant Colette Flesch, cinquième. 

2 Le Conservatoire sera agrandi d’une vingtaine de salles, dont deux salles de ballet, une pour l’art dramatique et l’art lyrique et une salle polyvalente pour une surface totale de 1 366 mètres carrés. 

3 Ces subsides sont passés de 5 000 à 7 000 euros par an pour les frais de fonctionnement et de 4 000 à 6 000 euros en guise de participation à la création, par pièce, avec toutefois une limitation à quatre créations par an.

4 Dépenses ordinaires pour la culture en 2008 : 51,565 millions d’euros, dont 12,5 pour le Grand Théâtre, 18 pour le Conservatoire, cinq pour le Musée d’histoire et quatre pour le Théâtre des Capucins ; dépenses extraordinaires : 16,607 millions d’euros, dont 8,5 pour la transformation du Ciné Cité, 5,9 pour la Villa Vauban, trois pour la transformation du Cercle municipal ou 1,6 pour l’école de musique de Bonnevoie. En comparaison : le budget ordinaire du ministère de la Culture et de ses instituts culturels était de 112,397 millions d’euros en 2007. 

josée hansen
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