Centre culturel de rencontre Neumünster

Chantier de culture ou culture de chantier?

d'Lëtzebuerger Land vom 06.06.2002

«Un formidable outil!» Il lâche l'expression plusieurs fois durant l'entretien, un peu comme pour se rassurer. Venant de Claude Frisoni, directeur du futur Centre culturel de rencontre Neumünster (CCRN), on s'étonne qu'il doute être à la hauteur de l'entreprise, même si celle-ci semble bien ambitieuse pour une ville qui, nonobstant les récents débats en matière d'accroissement de la population, garde la taille d'une bourgade de province. Une visite des lieux confirme cette impression: installé dans l'enceinte réhabilitée de l'abbaye au coeur du Grund, le projet ne manque d'impressionner, tant par la taille de l'ensemble architectural, que par la diversité des attributions dont l'ont doté ses initiateurs.

D'ores et déjà, des voix s'élèvent pour mettre en doute l'ouverture dans les délais du site, prévue pour début 2004. En entrant sur le vaste chantier, on est tenté de leur donner raison. En effet, si l'idée d'une reconversion de l'ancienne prison date bien de 1993, force est de constater qu'à l'heure actuelle, on en reste au stade des travaux. Pour mieux comprendre les retards pris dans la mise en oeuvre du CCRN, il faut revenir en arrière. Car bien que l'idée ait germé il y a belle lurette, on dut attendre 2001 pour voir voter la loi portant création de l'établissement public. 

Les travaux de réfection avaient cependant été entamés en 1998, avec, en guise d'introduction, la mise à neuf de l'imposante toiture de l'abbaye. Depuis, les travaux ont bien avancé, contrairement à ce que laisse présager l'aspect extérieur des bâtiments. En effet, à l'image de la toiture, les tâches les plus ardues ont été achevées: gros oeuvre, remodelage des salles intérieures, câblage électrique et informatique, remplacement des fenêtres... L'avancement est tel qu'avant la fin de l'année 2003, on espère convier à une petite inauguration avant la lettre, histoire de prendre contact avec le public.

Quels sont donc les objectifs du CCRN? Géré par un conseil d'administration, composé de membres du ministère de la Culture, de l'Inspection Générale des Finances, de personnalités de la société civile et d'un représentant de la Ville de Luxembourg, l'établissement, selon le projet de loi, aura pour mission «de mettre en place et de développer (. . .) un Centre culturel porteur d'un projet culturel et artistique autour du thème de l'identité culturelle luxembourgeoise et de sa rencontre avec les autres cultures; (...) d'assurer une activité de production artistique, culturelle et intellectuelle et d'en promouvoir une large diffusion; de développer à l'intention d'un large public une importante capacité d'accueil et de services; (...) d'accueillir dans des cadres appropriés des artistes et créateurs luxembourgeois et étrangers en leur offrant la possibilité d'y être hébergés et d'y travailler; d'organiser, coproduire et promouvoir des manifestations et spectacles culturels, socio-culturels ou autres; de mettre à disposition des instituts et associations à vocation culturelle et socioculturelle des localités pour leur permettre de développer leurs activités notamment à caractère interrégional et international; et d'organiser et promouvoir des conférences et des séminaires.»1

Ce sont les deux dernières attributions en particulier qui suscitent le plus de convoitises, et donnent lieu aux habituelles controverses. Pour mieux cerner la problématique, il faut encore une fois scruter le passé, plus précisément l'époque à laquelle le ministère de la Culture s'était adjoint un consultant extérieur. Jacques Lhardit, qui fit parler de lui en rédigeant le Livre Blanc sur l'infrastructure culturelle du Luxembourg (1998), censé faire le point sur les atouts et les déficiences de la scène locale, semblait être l'expert qu'on recherchait. Pourtant, de l'avis de nombreux spécialistes, la fameuse publication avait tout pour laisser sur leur faim les acteurs culturels locaux. Mais dès avant la parution de l'opus, Lhardit avait été appelé à donner son conseil à propos du CCRN. S'il est vrai que certaines de ses recommandations se sont avérées inspirées, selon Claude Frisoni, il n'en reste pas moins qu'en tant que consultant extérieur, il était enclin à faire des promesses que d'autres, en charge du projet, seraient ultérieurement appelés à tenir. 

Ainsi, la liste des associations culturelles, qui déjà se voyaient occuper - à titre gratuit et à durée indéterminée, il va de soi - les locaux du centre, ne cessait de s'allonger au fil des semaines. En bonne logique, ces mêmes groupements pourraient aujourd'hui se sentir floués: «Le principe de fonctionnement du Centre prévoit la mise à disposition de locaux contre rémunération ou à titre gratuit, selon qu'il s'agira de projets communs, de coproductions ou de collaborations.» Soucieux de garder les mains libres, Claude Frisoni dit miser sur la flexibilité, une approche qui a également présidé à l'agencement des lieux, axé sur la polyvalence; même s'il déclare détester ce terme, qu'on associe volontiers aux salles de sport communales, transformées en lieux de spectacle d'occasion.

Effectivement, le partage des 12 000 mètres carrés de surface s'est opéré selon des critères strictement fonctionnels. D'un côté, le rectangle du bâtiment anciennement dit «Criminel», rebaptisé «Robert Brouch», logera les salles de réunion, les studios de résidences d'artistes et les locaux d'associations. Y trouveront place également deux institutions dépendant du ministère de la Culture, à savoir l'Institut trinational (luxembourgo-franco-allemand) et l'Institut européen des itinéraires culturels. Ce dernier promeut et coordonne la mise en valeur du patrimoine culturel au sein des pays-membres du Conseil de l'Europe - comme, par exemple, le Circuit Wenzel au Luxembourg - tandis que l'Institut trinational se veut une sorte de projet-pilote réunissant les traditionnels Goethe Institut, Centre culturel français et une représentation luxembourgeoise sous un même toit, avec des objectifs communs. 

L'autre grand ensemble est celui de l'«Abbaye» à proprement parler, où se trouveront les salles de conférence et les facilités de restauration, ainsi qu'un centre de documentation sur l'histoire et l'identité du lieu et du pays. Chapeautée par une coupole en verre, conçue par l'agence RER, qui jadis réalisa la pyramide du Louvre, la cour intérieure ainsi créée pourra également servir de lieu d'accueil, d'exposition, voire de spectacle, de même que l'enclos du magnifique cloître, reconduit à sa fonction originale en abritant un jardin botanique.

L'autre principe d'action que le maître des lieux aime à mettre en avant se résume à une formule un rien paternaliste: «enlever aux riches pour donner aux pauvres». 

 

 

 

 

Boris Kremer
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