Congés annulés

Bande à part

d'Lëtzebuerger Land du 14.08.2015

Girl Band était aux Rotondes jeudi dernier dans le cadre des Congés annulés, et ce fut de loin le concert le plus intéressant de la semaine. Si appeler son groupe Girl Band, c’est la certitude de faire galérer pas mal de gens lors de recherches Google fastidieuses, démystifions tout de suite la chose : point de jeunes filles aux courbes affriolantes par ici, mais quatre jeunes gaillards de Dublin avides de rock brut.

La scène suffit pour appréhender l’univers sombre et anxiogène du combo : passant du foutraque au formidable en permanence, le quatuor a marqué au fer rouge le public clairsemé venu assister à quelque chose aussi inégal qu’inclassable. En tête de pont, Dara Kiely, clairement atteint de trouble de déficit de l’attention, micro en main, vociférant des paroles impossibles à comprendre même si vous avez passé six mois en Erasmus à Cork ou Limerick. Entre deux hurlements, il s’abreuve de l’une des six boissons différentes disposées à ses pieds, pour varier les plaisirs.

La musique de Girl Band pourrait être catégorisée comme noisy post-punk ou quelque chose du genre. On y entrevoit des bribes de Birthday Party, de Suuns, de Metz ou encore de Liars. Sur le dernier single du groupe, l’entêtant Paul, le bassiste Daniel Fox joue de son manche avec une bouteille de cidre. Le rythme est tendu, le morceau à la limite constante de la rupture. Le groove est imparable, mais la déflagration guette. Sur Lawman, la batterie d’Adam Faulkner, avec ses empilements de cymbales cassées, crisse. La guitare d’Alan Duggan se tord de douleur. Ça hurle, ça crie. Il y a quelque chose de jouissif dans cette torture sonique, dans ces sons stridents, dans ces guitares criardes, dans ces mots éructés comme autant de blessures qu’un groupe aussi jeune n’a pas encore pu connaître.

Malgré le hype, la candeur du quatuor fait plaisir à voir. Après le concert, ils refont le monde en terrasse, emmenant toutes les victuailles des loges pour un pique-nique improvisé avec des fans. Ils dessinent une bite sur l’écran tactile de l’entrée, rigolent, prennent une photo pour envoyer à leur pote. On parle de Ty Segall, ils ne l’aiment pas trop. Ils aiment bien James Murphy par contre. « On aimerait commencer à mixer, mais avec des vinyles ». En creusant, on les sent étrangers à certains éléments du music business, ce qui les rend encore plus attachants : « On jouait au festival de Roskilde, au Danemark. Il y avait plein de photographes devant nous, avec des très gros objectifs. Ils n’arrêtaient pas de prendre des photos, et puis à un moment, ils sont tous partis ensemble, d’un coup. C’était vraiment surprenant », disent-ils, peu au fait de la règle universelle des trois morceaux autorisés pour les photographes de concerts.

De l’authenticité, de l’attitude, de la créativité, quelque chose de juvénile, quelques morceaux irrésistibles, d’autres horripilants, un son que la plupart des parents détesteront : pas mal de critères pour en faire les nouveaux chouchous de toute une génération de rockeurs.

Sébastien Cuvelier
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