Numérisation du patrimoine culturel

Pottschampen a Seechomessen am WWW

d'Lëtzebuerger Land vom 17.05.2019

Afin de « rapprocher le digital et la culture », le ministère de la Culture augmente son budget réservé à la numérisation, de 800 000 euros cette année à 1,1 million les prochaines années. Alors qu’au ministère, l’ancienne directrice du Centre virtuel de la connaissance sur l’Europe1, Marianne Backes, assure la coordination des actions communes dans ce domaine, les musées déclinent la stratégie nationale au quotidien. Chaque institution a désormais son « digital curator »2 qui met en œuvre la numérisation des collections-maison, de la négociation des droits à la mise en réseau, en passant par la recherche d’une technologie idéale. Le Land en a rencontré deux : Gilles Zeimet du Musée national d’histoire et d’art et Paul Braun du Naturmusée, dont les soucis au quotidien sont bien plus prosaïques que la présentation d’une nouvelle app.

Le Fëschmart en un clic La collection du Musée national d’histoire et d’art, Gilles Zeimet la connaît sur le bout des doigts, surtout la partie des beaux-arts, pour y avoir été l’assistant de la conservatrice Malgorzata Nowara durant dix ans, avant d’être nommé, en 2017, digital curator de la maison. Comme il se passionnait avant pour la pertinence de l’acquisition d’une œuvre pour la collection du musée ou de la justesse d’un accrochage, il est désormais intarissable sur les choix technologiques, les logiciels compatibles ou non avec le web, les métadonnées ou la négociation des droits. Car avant de pouvoir pousser la touche « send » sur l’ordinateur, il faut commencer à inventorier l’existant, clarifier les droits d’auteur, réaliser une numérisation professionnelle (la plupart du temps via des photos de l’œuvre ou de l’objet) et saisir les métadonnées (nom de l’objet et de son créateur, la date, les dimensions, la collection…). Une conférence de presse de présentation des premiers résultats de ce travail, qui devait avoir lieu fin avril, a été repoussée jusqu’à la mi-juin pour cause de deuil national, mais une version béta de la collection en-ligne est déjà disponible sur le portail du musée3. On n’y trouve pas seulement des objets avec leur descriptions, mais aussi de véritables expositions virtuelles, comme une première sur les faïences fines de Septfontaines au XVIIIe siècle.

« Aujourd’hui, c’est tout simplement une évidence de publier ses collections en-ligne, les gens n’en attendent pas moins d’un musée national, explique Gilles Zeimet. Notre taux d’exposition est extrêmement bas. Dans la section art luxembourgeois par exemple, nous ne pouvons jamais montrer qu’une cinquantaine ou une centaine d’œuvres, alors que nous en avons beaucoup plus. » Les publier en-ligne leur donne aussi une exposition mondiale, immédiatement accessible à l’autre bout du monde. Sur le site de la collection, on peut ainsi naviguer de Kutter à Bert Theis, d’objets de la protohistoire à un mobilier de salon des années 1960. Et, ce qui est génial, le tout en haute résolution et libre de droits. Zeimet ayant opté pour une licence CCO (Creative Commons Universal), qui permet à l’internaute d’utiliser ces images librement, de les partager, voire même de les modifier et de les utiliser de manière commerciale. Pour cela, il a négocié soit avec l’ADAGP (la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) française, qui est également en charge du Luxembourg, soit, si les artistes ou ayants-droits n’en sont pas membres, directement avec eux.

« Ce n’est pas tant une question budgétaire, mais plutôt de ressources humaines », concède Gilles Zeimet. Car après les questions de principe – quel accès donner ? avec quels logiciels et sur quelle plateforme ? quels droits accorder ? – il s’agit de réaliser cette numérisation (photos, métadonnées). Là où de musées internationaux ont des dizaines de collaborateurs dans ce département, le MNHA en a ...deux, Zeimet et une assistante. Ainsi, le Rijksmuseum d’Amsterdam, souvent cité en exemple, compte publier tous les objets de sa collection – il y en a plus d’un million – d’ici 2020, et ce en très haute résolution. « Sharing is the new having », affirme la responsable du département des images du musée dans une interview au New York Times sur le sujet, que le public allait de toute façon voler les images avec son portable, alors autant lui permettre un accès à des reproductions de bonne qualité et en haute résolution via le portail du musée. Il s’agit aussi, assure le Rijksmuseum, d’une grande entreprise de démocratisation de l’accès à l’art. Au grand-duché, l’Université du Luxembourg est une nouvelle donne depuis le début du millénaire : ses chercheurs sont friands de bases de données électroniques sur lesquelles ils puissent travailler.

Qui dit numérique dit aussi espace de stockage, qui s’additionne vite pour devenir un défi : les musées luxembourgeois n’ont pas à acheter des terrabytes eux-mêmes, le Centre des technologies de l’information de l’État s’en occupe et met à disposition un cloud sécurisé. Aussi en vue d’une mise en réseau de toutes les collections publiques.

Citizen science Le défi de la numérisation d’une très grande quantité d’objets, Paul Braun connaît. Ce géologue-paléontologue de formation est le digital curator du Musée national d’histoire naturelle/Naturmusée depuis un an. « Nous avons des collections énormes, de l’ordre de trois millions d’objets rien qu’en entomologie. » Des fourmis (Seechomessen), des abeilles et des papillons en pagaille. Les prendre tous en photo pour une mise en ligne s’avère ingérable, là aussi à cause de la limitation des ressources humaines – l’équipe responsable de « l’information sur le patrimoine naturel » ne compte que quatre personnes, et la numérisation ne constitue qu’un petit bout de son travail. Alors, le musée fait de l’outsourcing pour certaines missions. Comme pour la numérisation de l’herbier, qui a été assurée par la société néerlandaise Picturae. Très pointue dans le domaine, elle a développé une machine pour passer les images sous un scanner de manière semi-automatique. Près de 45 000 images ont pu être saisies en trois semaines4, là où le musée n’avait réussi à en photographier que 5 000 sur plusieurs années.

L’objectif de l’inventorisation étant de publier ces informations sur un serveur open data à moyen terme5. Le groupe de travail interinstitutionnel des digital curators, coordonné par le ministère de la Culture, travaille à une base de données commune, qui permettra aussi des interconnexions : Si, par exemple, un explorateur était aussi auteur, l’internaute trouvera sur un tel site les images des plantes qu’il a découvertes annotées par le Naturmusée et une notice biographique du Centre national de littérature sur ses écrits. « Toutes ces informations pourront se compléter », s’enthousiasme Paul Braun, qui revient d’un stage d’une semaine au Natural History Museum à Londres, autrement mieux fourni en la matière, pour voir comment on y traite la numérisation. « Ce partage de connaissances entre les grandes institutions et les petites est génial. D’ailleurs, les questions qu’ils se posent ressemblent aux nôtres. »

Face à la quantité incommensurable de données qu’il faudrait collecter et traiter, par exemple pour surveiller l’évolution de la biodiversité, le Naturmusée a donc mobilisé la population. Profitant des possibilités des nouvelles technologies et de ses réseaux internationaux, le musée fait participer les citoyens à la collecte d’images et de données. Comme via la plateforme iNaturalist par exemple, qui existe aussi en application pour téléphone mobile, et permet de prendre des photos de plantes ou d’insectes et de les télécharger dans une grande base de données internationale, les classifiant géographiquement. La communauté peut alors réagir en direct et confirmer ou infirmer des informations. « Nous utilisons aussi ces outils pour rapprocher les gens de la nature, explique Paul Braun. Les enfants surtout utilisent les applications de manière ludique, alors qu’ils n’emporteraient jamais un guide botanique pour savoir quelles plantes ils rencontrent en forêt. »

1 Créé en 2002, le CVCE, Centre de documentation virtuelle sur l’histoire de la construction européenne, fut intégré en 2016 à l’Université du Luxembourg.

2 « Digital curation is the planning and management of digital assets over their lifetime, from conceptualization, through active use and presentation, to longterm preservation in a repository for future use. » Définition du Summit on digital curation in art museums, John Hopkins University, Washington, 2015

3https://collections.mnha.lu/

4 Le processus est documenté sur le blog du MNHN : https://www.mnhn.lu/blog/2019/01/digitalisation-de-40-000-specimens-dherbier/

5 https://data.mnhn.lu/fr

josée hansen
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