Courir, un sport bon marché

Portrait de l’intellectuel en coureur

d'Lëtzebuerger Land du 20.05.2010

Oui, ça fait cliché, mais c’était comme ça : Christian Mosar a commencé à courir d’un jour à l’autre, comme le Forrest Gump de Robert Zemeckis (1994). C’était il y a cinq ans, il en avait alors 38 – l’âge de la mid-life-crisis qui pousse beaucoup de quadras à changer leur style de vie – et venait de lire un article sur la propension des hommes à prendre un demi-kilo de poids par an à partir de leurs 35 ans, en l’absence d’activité physique régulière. Un petit calcul mental rapide et la décision était prise : il allait désormais faire du sport pour lutter contre l’inéluctable déchéance physique. Tous ceux qui connaissaient le bon vivant de l’époque n’en revenaient pas de le voir si passionné, si sérieux à l’entraînement, de voir son corps changer en même temps et de constater que la boule de nerfs se calmait ...un peu.

C’était aussi l’année du premier marathon du Luxembourg, et Christian Mosar, sûr de lui après plusieurs mois d’entraînement et de premières expériences de semi-marathon, de s’inscrire de suite à la distance complète. Qu’il acheva. « J’ai eu beaucoup de chance jusqu’ici, dit-il. Je n’ai jamais dû abandonner une course, je n’ai jamais eu d’accident, ni de blessure. » Cette année, il a couru ce marathon en costume de mariage, avec quelques copains, ils couraient déguisés, histoire de ne pas s’ennuyer.

D’ailleurs, Christian Mosar insiste toujours sur l’importance de ne pas trop prendre la course au sérieux. « J’ai horreur des récits mélodramatiques de coureurs qui racontent la douleur physique, la libération dans cette douleur, les émotions fortes ou le bonheur que secréteraient les endorphines. C’est des conneries ! Je n’ai jamais pleuré lors d’une course. Et, non, je ne cours pas parce que je suis triste ou dépressif ou pour être plus heureux ». Pour lui, à force de courir au moins tous les deux jours et au moins 75 kilomètres par semaine, c’est simplement devenu une question d’hygiène de vie.

Et pourtant, il a parcouru des distances qui en feraient pleurer, des coureurs du dimanche. Le grand raid La diagonale des fous sur l’île de la Réunion : 150 kilomètres avec 9 200 mètres de dénivelés. Le Marathon des sables, au Maroc, 250 kilomètres, dont 90 kilomètres en une seule étape, dans des conditions climatiques extrêmes, variant de moins de dix degrés la nuit jusqu’à 58 degrés en journée. Et il se réjouit déjà de participer pour la première fois, en août prochain, à l’Ultra-trail du Mont-Blanc, 166 kilomètres dans trois pays, 9 500 mètres de dénivelé positif, et encore une nouvelle coulisse naturelle qui promet d’être spectaculaire.

Durant les trails, les coureurs fonctionnent en auto-suffisance, doivent assurer eux-mêmes leur ravitaillement et leur équipement, l’organisateur offrant uniquement la fourniture en eau – « le pire, c’est cette bouffe lyophilisée » affirme Christian Mosar, qui ne suit pas de régime particulier en temps normaux. Au contraire, son alimentation se base essentiellement ...sur le lait chocolaté en grandes quantités. « C’est impressionnant d’observer la machine qu’est le corps : quand on est en hypoglycémie, il suffit de manger une barre sucrée pour véritablement sentir comment cela repart ». Et de raconter comment on peut, à force, avec des techniques qui sont aussi souvent psychologiques, repousser les limites de cette « machine » ou comment, après 85 ou 90 kilomètres en une étape, il éprouve une sensation de « deuxième vent ».

« Je cours surtout parce que cela m’amuse et parce que cela me fait du bien ; mais je n’ai aucune ambition de gagner ou de me classer parmi les premiers » résume-t-il cette activité, qui est devenue une véritable dépendance – ni le mauvais temps, ni le stress, ni aucune autre raison ne peut l’empêcher de chausser ses baskets de course. Pour gagner sa vie, il multiplie les professions : photographe, critique et médiateur d’art, commissaire d’expositions, et actuellement responsable du programme culturel du pavillon luxembourgeois à Shanghai... « Cou­rir me permet en fait de ‘travailler’ beaucoup, je réfléchis surtout en courant. » Sauf quand il court en équipe, l’aspect social, des amis sportifs très entraînants, étant essentiel aussi.

La course à pied est un sport idéal pour les radins ou ceux qui doivent surveiller leur budget loisir : un investissement de départ – de bonnes chaussures entre 100 et 130 euros, des vêtements high-tech qui isolent et respirent à 400 euros en tout et c’est bon. Pas besoin d’affiliation à une fédération, pas d’horaires d’ouverture d’installations sportives à respecter. L’inscription aux courses et compétitions par contre est payante, de quelques euros, comme pour le Semi-marathon des deux Luxembourg dans la région frontalière avec la Belgique à plus de soixante euros pour une inscription tardive au Marathon du Luxembourg. Et aux 2 700 euros pour le Marathon des sables, frais auxquels s’ajoute encore le prix du billet d’avion. « Mais ces courses, dit Christian Mosar, ce sont mes vacances ».

josée hansen
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