Chronique Internet

Schisme dans la communauté bitcoin

d'Lëtzebuerger Land vom 21.08.2015

L’essor du bitcoin et des questions techniques restées en suspens depuis sa création ont abouti ces derniers temps à une situation inédite que l’on peut assimiler aux schismes qui ont déchiré les tribus israélites et l’Église au fil des siècles. Les deux camps rivaux se nomment Bitcoin Core et BitCoin XT, le premier défend la taille maximale de chaque bloc prévue par la version initiale du logiciel, appelé à évoluer par ailleurs pour surmonter le problème par cette taille maximale, et le second, qui entend simplement neutraliser cette taille maximale et espère que cette légère variante s’imposera graduellement à l’ensemble du système Bitcoin et lui permettra de continuer de s’épanouir.

Sur Medium.com, Mike Hearn, ingénieur chez Google et développeur bitcoin favorable à la version XT, a exposé il y a quelques jours les enjeux de ce schisme. Le blockchain, qui est une base de données servant d’historique horodaté de toutes les transactions effectuée depuis le début avec la cryptomonnaie, a vocation à grossir au fur et à mesure que des transactions s’accumulent et que les « mineurs » génèrent de nouveaux bitcoins. Le fondateur du bitcoin, Satoshi Nakamoto, avait prévu, en attendant qu’une solution technique n’émerge, de limiter arbitrairement et provisoirement la taille de chaque bloc, la brique logicielle de base de la cryptomonnaie, composant le blockchain, à un mégabyte. Depuis, explique Mike Hearns, grâce à la mise en place de portefeuilles dits « SPV wallets », ce problème a été résolu, et cette solution provisoire a pu rester en place sans gêner l’évolution du bitcoin. Cependant, il est probable que la taille d’un mégabyte sera atteinte en 2016 ou en 2017 au plus tard. Mike Hearns estime que si la limite n’est pas neutralisée, il est plausible, sinon probable que le marché entier du bitcoin s’effondrera à ce moment-là. Mais d’autres au sein de la communauté argumentent que cette limite doit rester en place et que ce sont plusieurs autres aspects du système qu’il faut réformer.

Les débats au sein de la communauté opposent donc aujourd’hui les tenants d’une simple neutralisation de la limite de la taille des blocs, afin que l’écosystème bitcoin puisse continuer à croître sans devoir passer par les affres de la mise en place d’un système fondamentalement modifié et qui n’a pas encore été testé en grandeur nature, et ceux qui préconisent de remettre le bitcoin sur le métier mais en maintenant la taille maximale de chaque bloc telle que définie par le fondateur du bitcoin.

Plus fondamentalement, les enjeux sont d’une part le niveau de croissance souhaité pour le bitcoin et de l’autre son degré idéal de décentralisation. Après les années de croissance folle, le bitcoin, dont la valeur oscille aujourd’hui autour de 280 dollars après avoir frisé les 1 000 dollars fin 2013, évolue de manière plus sage, mais continue de recruter des utilisateurs. Doit-il chercher à s’imposer sur l’ensemble du globe ? D’autre part, est-il préférable que chaque nœud mis en place par un utilisateur « simple » du bitcoin soit aussi un serveur complet, ou bien un utilisateur doit-il pouvoir se contenter de la partie qui l’intéresse et laisser des nœuds spécialisés s’occuper de l’intendance ?

Incapable de trancher le débat de la taille des blocs, la communauté bitcoin a laissé la discussion s’enliser, ce qui a fait qu’elle a raté le coche d’une évolution contrôlée du système et se trouve déchirée aujourd’hui entre deux mouvances. La situation étant bloquée, ceux qui préconisent un abandon de la limite de 1mb vont commencer à produire des blocs plus grands, et en cas d’adoption par un nombre significatif d’utilisateurs, cette variante s’imposera vraisemblablement à tous, ose espérer Mike Hearn. Même si ce sont des problèmes techniques pointus qui opposent les deux chapelles au sein de la communauté Bitcoin, leur dispute se traduit aussi en termes de vision pour son évolution future et d’interprétation des volontés du créateur de la monnaie virtuelle, qui n’est plus là pour mettre ses « disciples » d’accord.

Jean Lasar
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