Francesca Gilbert

L’indépendante du web

d'Lëtzebuerger Land vom 08.06.2012

« J’ai toujours été une folle des magazines. J’aime toucher le papier, la texture, regarder les photos. Ma chambre en est bourrée jusqu’au plafond, car en plus je les garde ! » D’enthousiasme, Francesca renverse un peu du jus de fraise qu’elle vient de commander. « Quand il y a eu Colophon, je me suis rendue compte que il y a d’autres freaks comme moi ».

Francesca Gilibert est la fondatrice du magazine Wane (We are next), un mag bimestriel créé fin 2009 avec l’idée d’attirer l’attention sur de jeunes talents artistiques. Elle y présente une sélection du meilleur du web, en graphisme, culture urbaine, produits tendance et arts numériques, s’adressant surtout à la « génération Z, celle qui est née avec un iPhone dans la main et un notebook dans l’autre, qui est le futur et le fait savoir chaque jour sur Youtube, Facebook ou Twitter ».

« J’ai eu une bonne couverture médiatique au lancement, se souvient Francesca. L’université du Luxem[-]bourg, où je venais de finir le master Entreprenariat et Innovation m’a présentée comme une des premières femmes entrepreneuses… ». Un petit rire, en envoyant à sa place une des ses boucles farouches : « Je ne me vois pas vraiment comme entrepreneuse pour autant ! »

Un peu, quand même. Pour sortir trois éditions d’un si beau magazine, entourée d’une toute petite équipe, il faut ne pas être née de la dernière pluie. « Le problème s’est posé dans la durée – il devenait de plus en plus difficile de trouver des annonceurs ». Elle plisse ses yeux félins, arborant un trait d’eye-liner mis un chouia de travers. « Bien vrai que je refusais de rédiger, en contrepartie, des pages entières sur de nouvelles cartes bancaires par exemple… ». Exit donc la version papier de Wane. L’aventure continue toutefois en ligne. Avec 200 000 visiteurs les trois premiers mois, Francesca peut être fière de son site dénicheur d’artistes branchés, orienté plutôt vers l’univers anglo-saxon avec un œil particulier sur le monde black (la troisième édition de Wane était intitulée The African issue). « J’ai pas mal d’échos des États-Unis notamment. Beaucoup me demandent de recommencer les entretiens hebdomadaires avec des artistes en vue… superpopulaires mais chronophages. ». Après la saison des mariages. Car Francesca est aussi photographe freelance, et les fêtes de noces sont une opportunité lucrative pour affûter son talent de conteuse à travers les images. « Au Luxembourg, faire des photos de mariage est parfois considéré comme ringard, mais c’est pas grave. Mon approche s’inscrit dans la lignée du photojournalisme ; je ne fais pas de poses, mais révèle des histoires ». Son succès, elle le doit certainement à son talent pour pointer le côté touchant des convives, son œil pour les détails qui les rendent si humains. Ce sont des photographes tels que Sean Flanigan qui l’inspirent : « Pourquoi l’art ne pourrait plus émerger d’un service rémunéré ? »

Francesca n’a pas peur de se situer un brin à contre-courant. « J’avais conscience, en lançant Wane, qu’il y a comme un manque de considération pour les magazines gratuits. Lors d’une entrevue à la Chambre de commerce, on m’a dit : Mais pourquoi tu fais cela, il y a déjà Paperjam ? » Lors de ses contacts avec le monde des affaires, elle a aussi eu le sentiment que « si tu ne parles pas de millions, personne ne s’intéresse à toi ». Elle tire sur une de ses mèches de cheveux qui devient de plus en plus longue, pour lancer : « Il y a un grand décalage entre le gros business et les toutes petites entreprises ».

Le parcours de Francesca fait preuve de la flexibilité des autonomes : après ses études en réalisation et production audiovisuelle à Londres, elle passe quelques années dans des boîtes de production à Paris. En 2008, elle est retenue parmi les finalistes du concours de photoreportage de Paris Match avec Toxic New York – Les oubliés du 11 septembre sur les victimes de la poussière toxique émanant des débris des tours. Depuis, l’aventure indépendante ne la lâche plus. Elle ne cache pas son admiration pour le côté coolness des créatifs de ce monde, ni pour une petite touche révolutionnaire, ne portant pas, elle-même, la langue dans sa poche. D’où peut-être sa définition de style : « Avoir confiance en soi (sans tomber dans l’égocentrisme) ». Pour sa part, elle continuera à révéler ses découvertes dans Wane, avec la ferme intention de se faire un nom dans le monde du lifestyle.

www.wanemag.com, www.ayness.net
Béatrice Dissi
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