Lycée Aline Mayrisch

La mariée mis à nu

d'Lëtzebuerger Land vom 07.06.2001

C'est le premier lycée « libéral ». Même si sa construction fut encore décidée sous l'ère Hennicot, qui en définit aussi l'agencement de base, à savoir une combinaison de tous les ordres d'enseignement en premier cycle, malgré tout cela, donc, le Lycée Aline Mayrisch (LAML), nouveau bâtiment sur le Campus Geesseknäppchen, est le premier lycée auquel Anne Brasseur (PDL) peut imprimer sa marque. 

Ces derniers mois, la pression politique quant à la réalisation de la grande « offensive » en matière d'éducation annoncée par son parti en 1999 n'a fait qu'augmenter, l'Alima - comme l'appellent déjà les élèves - symbolise donc comme une matérialisation des ambitions de changement au ministère de l'Éducation nationale, de la Formation professionnelle et des Sports (Menfps). Une sorte de « lycée idéal », un modèle. Ainsi, le lycée a par exemple élaboré un concept de « classes sportives » en commun avec l'École nationale de l'éducation physique et des sports (Eneps), prêtes à encadrer avec des horaires flexibles les sportifs de haut niveau qui pourront y continuer leur enseignement tout en poursuivant leur formation sportive - Anne Brasseur chapeaute aussi le ministère des Sports.

En ce moment même, depuis le 15 mai, le lycée dirigé par Gaston Ternes, recrute ses élèves. Et ses enseignants. Et déjà, le bât blesse. Car pour les 45 postes créés pour les futures 56 classes, le choix de la personne adéquate revient au directeur. Dans une lettre adressée aux directeurs de lycée le 27 février, la ministre Anne Brasseur lança un appel de candidatures avec la liste des matières dans lesquelles les enseignants seront recrutés ainsi que les conditions de recrutement. Le deuxième point stipule que « les demandes seront transmises à Monsieur le Directeur du Lycée Aline Mayrisch qui entrera en contact avec les enseignants intéressés et, le cas échéant, les invitera à un entretien ». 

Les syndicats s'indignent car la procédure régulière de nomination tel que définie par règlement ministériel - choix des intéressés selon les trois critères de la durée d'engagement, de l'ancienneté et les résultats aux examens du stage pédagogique, acceptés comme étant objectifs - est tout simplement suspendue au profit d'un recrutement comme ceux pratiqués en entreprise privée. Il revient au directeur de choisir ceux des candidats qui lui conviennent pour le projet pédagogique de l'école (« donner aux jeunes à la fois des racines et des ailes »), ceux qui adhèrent au concept d'enseignement qu'une centaine d'intervenants ont mis au point durant l'année à vide que le lycée a connue durant sa première année de fonctionnement. Ainsi, les enseignants doivent par exemple aussi s'engager pour une durée minimale de trois ans. « Les collègues d'un certain âge, qui n'ont jamais connu pareil engagement, ne doivent-ils pas se demander si le LAML veut uniquement de jeunes professeurs ? » demande le syndicat Apess dans une lettre adressée à la ministre le 16 mars. « Et le statut du fonctionnaire ? », « quelle est la base légale de telles procédures ? »...

Réponse de la ministre, par retour de courrier, le 20 avril : « Pour qu'un nouveau lycée puisse démarrer dans des conditions propices, il est indispensable que le directeur soit entouré d'une équipe de professeurs avec lesquels il a pu élaborer un projet pédagogique permettant de donner un profil au nouveau lycée. Vous comprendrez que la procédure traditionnelle des mutations, basée en premier lieu sur l'ancienneté, est inefficace pour qu'une telle équipe de professeurs soit constituée. » La réaction de l'Apess est claire et nette : « Mme Anne Brasseur semble élever ce mode au rang de principe à chaque fois qu'un nouveau lycée démarrera. L'Apess s'oppose formellement à une telle interprétation pour des raisons qui découlent du statut même du fonctionnaire. » Pourtant, ne dit-on pas que la parti libéral a gagné les élections de 1999 grâce au vote des fonctionnaires ? 

La réaction du syndicat enseignement de l'OGB-L n'est pas moins virulente, craignant les dérives de ce « pouvoir exorbitant » du directeur qui seraient une affectation arbitraire et le clientélisme. « Pourtant, c'est le ministère qui recrute et non le directeur, » explique Guy Foetz du SEW-OGB-L, estimant que ce lycée-ci ne ferait qu'ouvrir la brèche, que tous les nouveaux établissements encore en construction ou en projet suivraient. L'enseignant serait donc soumis dans le futur à une sorte de logique du marché, avant tout à l'arbitraire. « La procédure des mutations et des nominations devrait être aussi transparente que possible, car en principe, après la réussite du stage pédagogique, les enseignants devraient être formés pour tous les ordres d'enseignement, » poursuit Guy Foetz. Au vu des pratiques actuelles au LAML, tout indiquerait que l'autonomie scolaire entre « par la petite porte », une autonomie à laquelle le syndicat s'oppose si elle ne vise que l'accroissement des pouvoirs exclusifs du directeur au détriment des enseignants. Or, l'année prochaine, la ministre entendrait accorder des enveloppes budgétaires aux directeurs de lycée afin d'augmenter l'autonomie financière de leurs établissements.

Le revers de la médaille pourtant reste le danger d'une école à deux vitesses, favorisant des écoles élitistes au détriment de celles qui auraient moins de moyens et moins d'élèves de bonne famille. Les dernières tentatives d'introduire le sponsoring à l'école avaient provoqué un lever des boucliers conséquent, l'introduction d'une marge de manoeuvre pour s'autofinancer pourtant ne risque pas de mettre les directeurs à l'abri de telles tentations de « partenariats » avec des entreprises. 

Déjà aujourd'hui, le lycée Aline Mayrisch est très convoité. De la part d'enseignants qui espèrent y trouver tout le contraire de l'enseignement en containers qu'ils vivent actuellement, une sorte d'ambiance « luxe, calme et volupté » où, en plus, ils travailleraient avec une équipe de jeu-nes professeurs motivés par l'objectif de participer à la construction et à la définition d'une école. Il devrait l'être de la part des élèves aussi, car les conditions de travail y semblent idéales. Rien que par l'équipement : chaque élève aura son propre laptop, son ordinateur portable - la réalisation au moins dans un des 23 lycées nationaux de la promesse du Premier ministre d'il y a deux ans, « un ordinateur par élève ». Or, qu'en est-il des autres élèves, dans les autres lycées, qui doivent souvent même se partager les postes de travail durant les cours en informatique ? Comparé aux conditions habituelles, pouvoir utiliser l'ordinateur dans tous les cours, selon les besoins du moment, est alors certes un progrès. Un luxe aussi.

« Nous considérons que dans l'éducation nationale, l'école doit impérativement être la même pour tous, » rappelle Guy Foetz, et que « l'école pu-blique doit accepter tous les élèves, aussi ceux qui ne correspondent pas au profil idéal de l'élève 'autonome et responsable' tel que défini dans le projet pédagogique du LAML. » Sur le site Internet du lycée (www.laml.lu), le nouveau ly-cée vante ses atouts, ses « infrastructures modernes et écologiques », la « valorisation des rôles 'enseignants-élèves-parents' » ou son concept uni-que d'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication (TIC). Mais met aussi en garde, par exemple, que l'école n'a pas d'assurance contre le vol. Aux élèves et leurs parents de décider si le concept pédagogique, les horaires, les conditions de travail leur conviennent. Une nouvelle sor-te de concurrence entre les lycées ? Comme si, soudain, des caractéristi-ques de l'économie privée gagnaient du terrain dans l'école.

 

 

josée hansen
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