Réforme du cycle inférieur de l'enseignement sécondaire

Réaction(s)

d'Lëtzebuerger Land vom 27.02.2003

Une belle volée de bois vert. Sur cinq pages et demie, le bureau f.f. du syndicat d'enseignant Apess lança le 27 janvier les critiques les plus sévères au ministère de l'Éducation nationale, de la Formation professionnelle et des Sports (Menfps) sur le projet de réforme du cycle inférieur des lycées techniques, qui circule depuis quelques semaines un peu «sous la main» dans la communauté scolaire. Une réforme dont les professeurs estiment que la démarche «fracassante» allant à l'encontre des observations faites par les acteurs du terrain, plongerait l'enseignement secondaire technique (EST) dans un «marasme auquel il aura peu de chances de pouvoir s'arracher un jour». 

«Introduction impromptue d'un tronc commun pur et dur de la septième à la neuvième, critères de promotion plus que nébuleux, programmes alignés sur le niveau le plus bas - décidément, les promoteurs de la réforme n'ont pas fait dans la dentelle,» lancent les enseignants syndiqués à l'Apess. Qui, après des explications plus détaillées sur ce qu'ils considèrent un projet de réforme désastreux pour l'EST, appellent tous les professeurs à la «mobilisation massive», voire à la «résistance» à ce qu'ils considèrent être le démantèlement du cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique. On avait plus entendu un ton aussi agressif des enseignants depuis l'ère d'Erna Hennicot-Schoepges.

Quelques semaines plus tard : rappel à l'ordre de la ministre. Le 21 février, l'Apess écrit dans un communiqué, publié suite à une entrevue du syndicat avec Anne Brasseur : «Madame le Ministre a reproché à l'Apess d'avoir pris position de façon intempestive dans cette affaire et de se refuser ainsi à toute démarche réformatrice. Les représentants de l'Apess ont protesté contre ce procès d'intention». Et persistent dans leur scepticisme face à un projet et à son élaboration, qui, selon eux, relève du diktat.

«Monsieur Barthelemy a eu d'innombrables réunions dans les lycées,» expliqua la ministre Anne Brasseur mardi devant la presse. «Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que d'un projet-pilote!» Marc Barthelemy, professeur-atttaché, est donc le responsable au Menfps du projet de réforme en question. Et explique : «Nous constatons que le taux d'échec est extrêmement élevé en classe de dixième, aux alentours de trente pour cent. C'est énorme. Nous en concluons que l'orientation des élèves en classe de neuvième vers les filières de spécialisation n'est pas appropriée.» Donc, si tout se passe comme prévu, trois ou quatre lycées techniques pourraient lancer dès la rentrée scolaire 2003 un projet-pilote dans toutes les classes de leur cycle inférieur qui représenterait alors effectivement une véritable révolution : organisation des classes sur trois ans avec la même composition du groupe et les mêmes enseignants, évaluation, orientation et promotion plus différenciée des élèves.

Ainsi, les notes des matières principales comme les langues ou les mathématiques seraient subdivisées en plusieurs compétences: compréhension, expression orale et expression écrite par exemple. Cela permettrait de ne plus pénaliser un élève qui serait par exemple plus faible en écrit. Le tronc central de ces enseignements dans chaque matière seraient les «exigences minimales», savoir indispensable à chaque élève, mais complété et affiné par les savoirs complémentaires, dont les notes permettront de mieux orienter un élève. Selon l'idée de base qu'il est irresponsable de faire redoubler plusieurs fois un élève romanophone faible en allemand, mais qui se destine à un artisanat où une bonne compréhension de la langue lui suffirait peut-être.

Si pour le Menfps, il s'agit avant tout de lutter contre l'échec scolaire - dont les taux extrêmement élevés sont un des scandales de l'éducation nationale au Luxembourg -, prônant une simplification des enseignements, les enseignants par contre craignent que l'élagage des programmes aille trop loin. Au détriment de la culture générale dont il serait irresponsable de priver les élèves de l'EST. «Nous voulons inverser la tendance, renchérit la ministre mardi, et nous éloigner de ce système qui ne se base que sur l'échec. La langue doit être un outil et non un obstacle. Avec ce projet, nous voulons encourager une attitude plus positive dans l'école,» qui valoriserait les savoirs acquis de l'élève au lieu de pénaliser ses échecs. La généralisation du système d'épreu-ves communes, avisés par le Menfps, fournirait alors aux enseignants et directeurs des lycées un bon indicateur de leur niveau par rapport à la moyenne nationale. Et donc un outil d'auto-évaluation. «Mais il ne s'agit que d'un projet-pilote,» souligne encore une fois la ministre. Les expériences ainsi récoltées devraient mener vers une véritable réforme générale de l'EST.

Alors même que depuis deux ans, depuis les résultats de Pisa au plus tard, tout le monde semble être un spécialiste des questions d'éducation, la ministre communique. Car après quatre ans au pouvoir, le parti libéral a une obligation de résultat dans ce domaine (voir d'Land 08/03 du 21 février), le «sérieux» de cette exigence est bien symbolisé par cette interview en trois pages intégrales de la députée libérale Agny Durdu, présidente de la Commission de l'éducation nationale de la Chambre des députés dans le Lëtzebuerger Journal la semaine dernière, rien que pour signaler: on y travaille! La présentation de cinq grands projets «pour une école plus équitable, plus responsable et plus performante» mardi au Menfps était donc plutôt une occasion pour Anne Brasseur de faire le point, de montrer que les grands chantiers des réformes législatives ouvertes après 1999 sont en marche.

Pour la première fois, un texte général sur l'enseignement au Luxembourg doit chapeauter tous les ordres d'enseignement, de l'enseignement précoce, dont l'offre devra être générale dès 2005, jusqu'à l'examen de fin d'études. La «loi scolaire» de 1912, qui constitue encore aujourd'hui la base de l'école au Luxembourg, ne règle en fait que l'enseignement primaire jusqu'à quinze ans, fin de la scolarité obligatoire. Cette limite d'âge sera augmentée à seize ans, «ce qui correspond déjà aujourd'hui à la réalité» précise la ministre. «Il nous importe de donner une orientation, un profil commun à l'école au Luxembourg,» continue Siggy Koenig, coordinateur général au ministère. Ce texte fondamental, qui s'appelle Document d'orientation sur l'école et fut déposé avec les quatre autres à la commission parlementaire en charge du dossier, prend donc en compte à la fois la mission de transmission du savoir de l'école et sa mission éducative, qui consiste notamment dans l'acquisition de compétences sociales. «L'école doit cultiver l'ouverture d'esprit, affirme le conseiller de gouvernement, des notions comme le respect, la tolérance, la solidarité y sont expressément inscrites. Tout comme l'égalité des chances, qu'on retrouve pour la première fois sous cette forme dans un texte de loi luxembourgeois.»

Le Menfps veut généraliser le principe du «donner et exiger», qui vaut aussi bien pour l'élève - qui reçoit une formation mais s'engage en contrepartie à suivre les cours et de se soumettre aux épreuves par exemple -, que pour les enseignants et les parents d'élèves. Des termes comme le partenariat se retrouvent tout au long du texte. Ainsi, les parents d'élèves pourront se constituer en comités des parents, au même titre que les comités d'élèves existant dans l'enseignement secondaire et les comités d'enseignants, à créer. Ensemble, ces trois comités feraient alors partie des comités d'éducation, «tous les partenaires scolaires y auront le même statut, le comité aura le droit d'avis et le droit de décision,» souligne Siggy Koenig. 

Car les syndicats Apess, Féduse et SEW craignent déjà dans une résolution commune (datée 4 février) qu'il ne s'agirait pas de participation authentique, que les directions y garderaient le droit de prééminence car l'information et la participation régulière de partenaires ne seraient pas expressément garanties dans le texte, permettant aux directions de «gouverner» en distillant les informations à quelques cercles d'initiés.

Avec la loi «portant organisation des lycées et lycées techniques», déposée le 29 janvier en tant que projet n°5092 à la Chambre des députés, les lycées se verraient conférer une plus grande autonomie. Car, comme le note l'exposé des motifs dudit projet de loi : «Le défi pour l'école luxembourgeoise, qui se développe dans le contexte du service public, consiste à concilier la centralisation qui demeure nécessaire dans la mesure où elle permet d'assurer la cohérence, et la décentralisation non moins souhaitable parce qu'elle permet d'adapter le service aux besoins d'instruction et d'éducation de plus en plus spécifiques et multiples selon les usagers et les spécificités locales.» 

Ainsi, les lycées garderont une marge de dix pour cent d'autonomie pédagogique. Mais surtout, chaque lycée, considéré comme une entité autonome, une sorte d'entreprise, pourra par exemple se doter d'une charte scolaire et décider de l'attribution de son propre budget. Dans le domaine des services d'encadrement, les services d'orientation et de psychologie scolaire seront ainsi attachés à la direction - au lieu du centre national, comme actuellement - ce qui n'est pas forcément applaudi par les psychologues, qui craignent une mainmise des directeurs sur leurs décisions. Enfin, chaque lycée pourra engager un bibliothécaire/documentaliste pour fonder un centre de documentation qui mérite ce nom.

Deux autres projets de réforme, également présentés mardi, n'en sont encore qu'au document d'orientation. D'une part, la formation professionnelle et l'apprentissage, dont Aly Schroeder ne présenta encore que les grandes lignes (les derniers textes datent de 1945), basées sur un système d'alternance école/entreprise fonctionnant dans les deux sens et sur un système d'unités capitalisables évalué en contrôle continu. 

Et d'autre part, les textes régissant l'école primaire seront entièrement revus avec les 125 articles que comprend actuellement le Document d'orientation sur la réforme de l'éducation préscolaire et de l'enseignement primaire. Commençant par une base légale pour l'éducation précoce - obligatoire pour les communes dès 2005, mais non pour les élèves -, ainsi que pour l'obligation scolaire dès la maternelle, jusqu'à la sixième année du primaire. Qui permettra enfin de décrocher un premier diplôme, un Certificat d'études primaires, document qui n'existait pas jusqu'à présent. «Chaque école primaire aura la possibilité d'évoluer et d'innover, remarqua le responsable du ministère, Francis Jeitz, en lançant des projets d'école, des projets de recherche ou des projets-pilotes.» Les écoles auront l'obligation d'offrir un enseignement différencié, adapté aux besoins de chaque élève. Tout outil permettant d'atteindre ce but est encouragé, notamment l'offre de cours d'appui durant ou en dehors des cours normaux. Un administrateur d'école, chapeauté par l'autorité communale et l'inspecteur, organisera les affaires courantes. Le luxembourgeois comme langue d'intégration sera systématiquement enseigné et une commission des bâtisses au niveau du ministère devra permettre d'accélérer les procédures d'autorisation pour les constructions...

Si tous ces grands principes et détails se noient actuellement dans la masse d'informations données par le ministère, chaque texte sera probablement discuté individuellement lorsqu'il en sera au stade de projet de loi. Ce serait un miracle si la procédure de «modernisation» voulue par Anne Brasseur passait encore les instances avant 2004. Mais politiquement, l'essentiel est que les réformes voulues après les débats Pisa soient matérialisées par des textes, fussent-ils incomplets.

 

 

 

 

josée hansen
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