École de la dernière chance

Magne-toi !

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2008

Un coup dur, un accident, la séparation des parents, une déception amoureuse, la mort d’un proche, une grossesse non désirée, des échecs scolaires, le dégoût dans l’école – les raisons du décrochage scolaire sont nombreuses. Plus de la moitié des 538 élèves qui ont quitté l’école sans diplôme ni qualification en 2006/2007 demeu­rent sans perspective, sans situation professionnelle aucune. C’est énorme, concède la ministre de l’Éducation nationale Mady Delvaux-Stehres (LSAP) qui avance non seulement la situation de détresse de ces jeunes, mais aussi le coût que cela représente pour la socié­té tout entière. « Nous ne pouvons pas nous permettre plus longtemps d’expédier des jeunes gens sans qualification, a-t-elle lancé lundi lors d’une conférence de presse, c’est inacceptable pour eux-mêmes aussi bien que pour la société et la cohésion sociale. »

C’est pour cette raison qu’elle vient de déposer un projet de loi pour une école de la deuxième chance. Si tout va comme elle l’entend, un nouvel établissement scolaire pourra ouvrir ses portes dès 2010 à Luxembourg ville – pour autant que les députés et le Conseil d’État considèrent ce projet comme suffisamment important pour ne pas le caser au fond du tiroir. En 2005 déjà, les autorités scolaires s’étaient penchées sur ce phénomène, recherchant les élèves dont ils avaient perdu la trace après avoir jeté l’éponge (d’Land 29.07.05). Le temps de réaction a même été de dix ans après la présentation d’un concept pour une école de la deuxième chance au Luxembourg par l’ancien dépu­té socialiste René Kollwelter. C’était avant qu’il ne fasse ses bagages pour le sud de la France où il fut détaché pour rejoindre la direction d’une école de la deuxième chance à Marseille. Revenu au pays, il fut invité à prendre part à l’élaboration d’un nouveau concept pour le Luxembourg, mais sa vision des choses aurait été tellement éloignée de l’idée de base qu’il aurait choisi de prendre ses distances. En tout cas, c’est son interprétation de l’histoire et il maintient que son idée est plus empreinte de pragmatisme que ne l’est ce projet de loi-ci.

D’abord, il insiste sur l’importance que l’établissement soit indépendant du réseau scolaire classique : « Ces élèves ont choisi de quitter le système traditionnel et ce n’est pas avec une structure similaire qu’on réussira à les récupérer. » Même si ce projet-ci constitue une nouvelle offre de l’école publique, elle reste quand même très près des programmes de l’école traditionnelle. Car sa mission première est de permettre à l’élève entre seize et 24 ans – donc après son obligation scolaire – de réintégrer l’école dans les deux ans qui suivent. Il s’agit d’une passerelle, insiste la ministre, qui ne fournira pas de diplôme à la fin de cette période. 

L’accent est donc mis sur un parcours individualisé des élèves, basé sur les programmes des autres établissements avec, en plus, le contact avec les entreprises. Un réseau d’experts externes servira à faire le relais entre l’école et le monde du travail. Or, pour vraiment être capable de répondre à ce défi, cette école aurait dû être placée sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale et du ministère du Travail, insiste René Kollwelter. Car les contacts avec l’Administration de l’emploi sont primordiaux. Il est aussi d’avis que la limite d’âge minimale doit être de 18 ans, car ces jeunes ont besoin de temps pour se rendre compte de la situation dans laquelle ils se trouvent et des risques qu’ils courent s’ils ne bougent pas. « C’est un processus de maturation qu’il ne faut pas sous-estimer, » dit-il.

C’est aussi pour cette raison-là que le personnel enseignant et encadrant bénéficiera d’une formation spéciale pour trouver les expressions appropriées qui permettront un rapprochement avec le jeune. Par les « entretiens d’explication », ils apprendront comment motiver et encourager l’élève à s’investir dans son avenir. Une initiative louable et essentielle pour garder le moral des troupes, mais la question se pose de savoir pourquoi ce type de formation n’est pas jugée aussi indispensable pour les enseignants du système scolaire traditionnel. Un discours et une attitude différents de la part de certains professeurs pourraient sans doute aider à éviter des décrochages des élèves que la ministre tentera de repêcher après. 

Chaque élève aura un tuteur qui s’occupera personnellement de son parcours. Après les deux ans de relance, le jeune sera suivi pendant deux années supplémentaires pour surveiller comment la sauce a pris. Car il y a tout un apprentissage des codes de la société qui est nécessaire, précise René Kollwelter. Souvent, ces élèves ne savent pas adapter leur comportement aux circonstances, ce qui crée des tensions et des rejets de part et d’autre. « Il faut parfois d’abord transmettre une certaine discipline aux jeunes comme le simple fait de se lever quand le réveil sonne. Des règles basiques de tous les jours qui ont été perdues au fil des années  de désœuvrement ou qui n’ont même jamais été apprises. » 

La ministre souhaite aussi renforcer le lien avec les parents des élèves qui va jusqu’à l’offre de cours spécifiques. Une initiative fort louable pour René Kollwelter, mais dans certains cas, le lien parental est nuisible pour le jeune. Comment le sortir de l’inoccupa­tion si ses parents n’ont jamais travaillé et qu’ils ont toujours été tributaires de l’aide sociale ? Il apparente la mission de l’école de la deuxième chance à celle d’un centre de fitness dont la finalité est de remettre le jeune à niveau et de le rendre « employable ». C’est pourquoi il est aussi d’avis que cette école ne pourra pas fonction­ner avec des professeurs de l’enseignement traditionnel qui ne connaissent que très peu les réalités du terrain et l’« esprit d’entreprise » nécessaires pour un entraînement efficace. Pour lui, la création d’une école de la deu­xième chance est nécessaire, mais cette initiative-ci ne va pas assez loin.

anne heniqui
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