Écoles privées

Liberté, égalité, laïcité

d'Lëtzebuerger Land du 14.11.2002

À l'heure où tous les partis politiques déclarent rejoindre un hypothétique Centre, les questions idéologiques qui divisent gauche et droite se font de plus en plus rares. L'engagement soit pour l'école publique, soit pour l'école privée pourtant est une de ces dernières professions de foi qui polarisent. Bien sûr qu'aucun membre du gouvernement chrétien-libéral ne dira qu'il est contre l'école publique, mais dès l'accord de coalition de 1999, ce gouvernement a inscrit sa volonté de réformer la loi du 31 mai 1982 «concernant les relations entre l'État et l'enseignement post-primaire privé» en s'arrogant la possibilité «de participer au financement des infrastructures immobilières nécessaires au fonctionnement des écoles privées, notamment lors de nouvelles constructions, d'agrandissement ou de la rénovation des bâtiments» et d'augmenter «la participation de l'État dans le financement du fonctionnement des écoles privées». 

Le projet de loi y afférent, qui a été discuté et approuvé au conseil de gouvernement le 19 juillet dernier et déposé au parlement le 3 octobre dernier (document parlementaire n° 5029) va même encore plus loin et propose non seulement d'augmenter la contribution de l'État dans le fonctionnement des écoles privées appliquant les programmes de l'enseignement luxembourgeois telles que définies dans la loi de 1982, mais également de prévoir un régime permettant d'attribuer des aides financières aux établissements privés n'appliquant pas ces programmes - pourvu qu'ils mènent à un diplôme officiellement reconnu. Comme l'est depuis peu le bac international.

Cet engagement répond à une demande de la communauté internationale. Selon les statistiques publiées à la rentrée par le ministère de l'Éducation nationale, 5 584 élèves sont inscrits cette année dans les écoles internationales, un chiffre en progression constante, en 1998/1999, ils n'étaient encore que 4 771. La très grande majorité d'entre eux sont élèves de l'École européenne, 3 762 en tout, puis suivent l'International School avec 603 élèves, l'École Waldorf avec 325 élèves, le Lycée Vauban et l'école maternelle et primaire francophone avec 763 élèves en tout et l'école anglophone St Georges avec 131 élèves. Des communautés peu ou prou intégrées dans le tissu social grand-ducal et qui ne découvrent le Luxembourg souvent qu'après leurs études. La contribution de l'État luxembourgeois à leur fonctionnement se réduit actuellement à la mise à disposition de bâtiments - voir ceux de l'École européenne et de l'International School. Il ne faut pas être particulièrement bon observateur pour constater la qualité des deux nouveaux bâtiments au Kirchberg et au Geesse-knaeppchen respectivement, surtout en comparaison avec les parcs de containers pourris que sont en train de devenir les écoles publiques luxembourgeoises. 

«Notre chambre est d'avis que les aides accordées aux Écoles privées ne doivent entraver les investissements qui s'imposent an faveur de l'École publique,» écrit la Chambre du travail dans son avis sur le projet de budget de l'État pour 2003 (page 25), s'étonnant en même temps que «quoique le Luxembourg ait besoin de six nouveaux lycées d'ici 2010 pour un accroissement probable de 11 000 élèves, le gouvernement n'est pas capable, depuis trois ans, de finaliser le plan sectoriel lycées». Reproche auquel le syndicat SEW/OGB-L répondra en écho qu'il «tient à marquer une nouvelle fois son opposition catégorique au financement des écoles privées par les deniers de l'État, qu'il s'agisse de dépenses de fonctionnement ou à plus forte raison, de dépenses d'investissement,» écrit Guy Foetz dans le dernier Journal du syndicat. Et de continuer : «Il est évident pour nous que de telles mesures pénalisent l'école publique (...). À long terme, une telle politique conduira à une bipartition de notre système d'enseignement avec deux ensembles d'infrastructures, deux corps d'enseignant(e)s et deux systèmes d'évaluation». 

Même si le Luxembourg n'a pas vraiment d'école privée pour les nantis, les plus snobs des parents, ceux qui font le moins confiance à l'école publique luxembourgeoise, enverront leurs enfants dans une des écoles internationales, payantes (minerval annuel à l'École européenne : entre 1 446,85 euros pour la maternelle et 2 741,06 euros pour le secondaire, celui du secondaire de l'International School est même de 15 000 euros!), voire dans un internat à l'étranger, mouvement sur lequel on ne dispose d'aucun chiffre. Tout comme on ignore combien d'élèves quittent le système luxembourgeois pour cause d'échec scolaire. 

Il demeure qu'au Luxembourg, 261 élèves du primaire (sur un total de 45 941) et 3 660 du secondaire (sur un total de 32 066) sont inscrits cette année dans un des établissements d'enseignement privés subventionnés du pays. La majorité de ces établissements sont des écoles confessionnelles - catholiques - dont l'école privée Fieldgen est la plus grande, avec 1 428 élèves. Le projet de budget pour l'année 2003 prévoit une enveloppe globale de subventions de 29,82 millions d'euros pour ces écoles reconnues selon la loi de 1982, 96 679 euros pour l'école Waldorf et quelque 5,7 millions pour le Lycée technique privé Emile Metz. 

Les calculs du ministère cités dans l'exposé des motifs du projet de loi affirment qu'un élève dans l'enseignement privé coûte actuellement en moyenne 6 076 euros par an à l'État alors que le coût par élève dans l'enseignement public serait de 13 402 euros par élève au Lycée Aline Mayrisch.

«Et si nous ne les avions pas, ces écoles privées, l'école publique serait encore plus surchargée!» affirme, en substance, le Premier ministre Jean-Claude Juncker (PCS) pour justifier les orientations de son gouvernement. Taisant pourtant que cette fuite en avant, due aussi à la pression des écoles privées qui aimeraient se voir remboursés leurs frais d'investissement et d'infrastructures, comme la nouvelle aile scientifique du Fieldgen, est un aveu d'échec du système d'enseignement public. «Le renforcement projeté des écoles privées et le drainage des élèves vers ces écoles n'est par ailleurs pas compatible avec le discours officiel sur l'intégration des résidents étrangers, sur la cohésions sociale et sur le service public,» met en garde la Ligue luxembourgeoise de l'enseignement dans un communiqué datant du 24 octobre. Avec son Appel de Steinsel, le parti socia-liste saute dans la brèche et s'engage pour l'école publique. Mais, c'est bête, le LSAP n'est plus au pouvoir.

Après l'attribution d'un coefficient à l'enseignement moral et religieux, l'augmentation des aides financières aux écoles privées est un autre signal fort du PCS en direction de son électoral catholique. Et un pas supplémentaire vers l'éclatement de l'école publique. Or, l'article 23 de la Constitution luxembourgeoise impose à l'État de garantir l'accès de tous à un enseignement gratuit. Face à la diversification du paysage religieux, l'enseignement du seul catholicisme devient de moins en moins évident, après leur reconnaissance officielle par l'État, d'autres religions - comme par exemple l'islam - auront autant de raisons de demander à ce que leur doctrine soit enseignée dans l'école luxembourgeoise. 

Face à de telles revendications qui se feront jour tôt ou tard, face aux migrations aussi, seule une école publique et laïque performante pourra garantir l'intégration des différentes communautés et la cohésion sociale du pays. Mais la laïcité, c'est encore une autre histoire. 

 

 

 

 

josée hansen
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