Écoles privées

Les écoles privées et la politique d'intégration

d'Lëtzebuerger Land vom 08.08.2002

Il est étonnant combien l'annonce d'une aide supplémentaire de l'État pour les écoles privées a peu suscité de réactions. Le Gouvernement ne sait d'ailleurs pas exactement à quoi il va s'engager sur le plan financier!

Le premier ministre, voulant couper l'herbe sous les pieds d'éventuels «ronchonneurs anticléricaux» attardés, affirme que l'école privée rend service à l'école publique qui n'arrive pas à caser ses élèves. Quant à la ministre de l'Éducation nationale libérale, on ne l'a pas vraiment entendue à ce sujet jusqu'ici. Il est vrai que le DP avait déjà lâché le morceau lors de la négociation du programme de coalition en août 1999.

Depuis la loi du 31 mai 1982 sur les relations entre l'État et l'enseignement postprimaire privé, qui a permis le financement public de l'enseignement privé, votée elle aussi par une coalition CSV-DP, les temps ont changé. 

Nous sommes au beau milieu d'un débat sur l'immigration et sur la cohésion de la société. La société luxembourgeoise, multiculturelle et multinationale - 37,6 pour cent de résidents étrangers - devient plus complexe. En même temps, elle craint pour sa cohésion. D'autres diront: pour son identité. Le rapporteur CSV de la commission spéciale de l'immigration insiste dans son rapport sur la nécessité de l'intégration des futurs immigrants, également et surtout par l'école. On convient assez généralement qu'il faut empêcher que des communautés ne se forment qui s'isolent et se ghettoïsent. J'entends le premier ministre préconiser l'apprentissage du luxembourgeois et la double nationalité pour renforcer la cohésion du Grand-Duché. 

La stratégie de l'intégration doit commencer dès le jeune âge. À mesure que la population se diversifie, l'école devient un élément central et essentiel dans le dispositif de l'intégration. 

Quelle école? Celle à la carte où chacun cultive son jardin particulier, selon ses moyens financiers, ou l'école publique pour tous, gratuite et de haut niveau?

C'est dans l'école publique que tous les enfants de partout se côtoient et apprennent à se connaître et à se respecter. C'est par l'école publique qu'ils s'approprient le système des langues en vigueur dans notre pays. Et c'est à l'école publique que les valeurs essentielles de la vie commune sont enseignées.

On s'étonne donc qu'au lieu de se concentrer sur l'école publique, ce gouvernement  disperse ses efforts en élargissant son aide financière aux écoles privées tous azimuts.

 

Rappelons à cet égard que le projet de loi annoncé par le gouvernement et modifiant la loi de 1982 prévoit:

1. des aides financières allant de 40 à 90 pour cent pour le fonctionnement normal des écoles privées,

2. des aides à l'entretien des bâtiments (c'est aussi une aide à l'investissement,

3. des aides à l'investissement,

sans parler des aides directes (bâtiments mis à disposition) et indirectes (subventions du ministère de la Famille) attribuées dès à présent en dehors de cette législation.

Le fait politique nouveau est que l'aide publique à l'enseignement privé va se diversifier. Jusqu'ici, la loi de 1982 a permis le financement de l'enseignement privé postprimaire. Maintenant, le gouvernement se propose d'étendre l'aide publique à l'enseignement précoce, préscolaire, primaire et secondaire.

L'enseignement privé subventionné d'après la loi de 1982 était en majorité catholique. C'était un enseignement parallèle et donc complémentaire de l'enseignement public. Le subventionnement public était conditionné par l'obligation de suivre les programmes de l'enseignement public et de pouvoir soumettre les élèves de ces écoles aux examens de l'enseignement public. C'était donc une sorte d'intégration de l'enseignement privé dans l'enseignement public - ce qu'un projet de loi Dupong  (CSV) avait d'ailleurs préconisé dès 1974! C'est pour cela que le budget de l'État, s'il subventionne un peu l'école Waldorf (102876 euros en 2002), ne le fait pas au titre de la loi de 1982. La participation de l'État aux frais de fonctionnement des établissements privés d'enseignement postprimaire est autrement plus importante puisqu'elle atteint au budget de 2002 28 050 000 euros, soit plus de 1 milliard d'anciens francs.

D'après l'article 23 de la Constitution, c'est l'État qui organise l'instruction primaire. Et la Constitution précise qu'elle sera «obligatoire et gratuite» . L'accès doit en «être garanti à toute personne habitant le Grand-Duché.»

Pour l'enseignement postprimaire, la Constitution dit encore que c'est l'État «qui crée des établissements d'instruction moyenne gratuite (...)». 

C'est pour cela que la loi du 31 mai 1982 contient tout un catalogue de conditions strictes pour l'enseignement privé. 

Le projet de loi annoncé par le gouvernement annonce un tournant politique majeur dont on peut se demander dans quelle mesure il est encore conforme à la Constitution. Désormais, même un établissement qui n'enseigne pas les mêmes programmes que l'enseignement public peut profiter de l'aide financière de l'État, à la condition assez vague de mener à un diplôme reconnu officiellement, comme par exemple le bac international, diplôme privé lui aussi, d'ailleurs. Comment l'État va-t-il se comporter face à des institutions sans aucun lien avec l'enseignement luxembourgeois? Comment va-t-il les contrôler ou bien vouloir leur imposer des conditions pour pouvoir bénéficier de subventions?

Bien plus, cette démarche du gouvernement va contribuer à développer le secteur privé de l'enseignement au détriment du secteur public. Demain, l'État ne pourra plus refuser de financer toutes sortes d'écoles privées. Pourquoi pas une école islamique, après l'école française, l'école internationale, l'école Waldorf, etc.? Pourquoi pas des boîtes à bachots au régime linguistique plus facile? 

Nous risquons d'aller vers une situation à l'américaine, avec une école publique gratuite pour tous ceux qui ne peuvent se payer une école privée. Cohésion de la société, intégration des étrangers, apprentissage par tous du système linguistique et en particulier du luxembourgeois: les stratèges en place n'ont que cela à la bouche. Mais en développant un système d'enseignement privé parallèle, ils font tout pour affaiblir l'école publique, instrument essentiel de cohésion et d'intégration de la société luxembourgeoise.

 

 

 

 

 

Ben Fayot
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