Assurance vie

Les enjeux de la libre prestation de services

d'Lëtzebuerger Land du 17.06.2010

Le volume des affaires souscrites en libre prestation de services par les entreprises d’assurance vie au cours du dernier trimestre 2009, confirmé par celui du premier semestre 2010, contrastent avec les doutes de la place financière luxembourgeoise.

L’amnistie fiscale italienne (scudo fiscale) ainsi que l’application rétroactive de la directive européenne sur l’épargne ont mobilisé l’ensemble des compétences des entreprises d’assurance vie, démontrant à nouveau que la taille, relativement modeste des filiales luxembourgeoises, constitue un véritable atout pour les groupes financiers.

Bien que conjoncturel, ce succès résulte également des efforts de « diversification pays » entrepris par les acteurs luxembourgeois depuis de nombreuses années, qui permettent à ces derniers de résister aux changements réglementaires et fiscaux des pays, voire de saisir les opportunités offertes par ces derniers.

Outre la réforme du système prudentiel (« Solvabilité II ») pour l’ensemble de l’industrie de l’assurance et de la réassurance, la libre prestation de services, et l’industrie de l’assurance vie plus généralement, sont confrontées à des défis majeurs parmi lesquels l’on peut trouver : les déficits publics et les plans de rigueur ; la « Mifidation » de l’assurance ; l’onshorisation des produits et la baisse des taux d’intérêt.

La crise financière et économique creuse les déficits publics et l’endettement des États, ce qui oblige ces derniers à lancer des plans de rigueur visant les dépenses publiques, les pensions et les avantages fiscaux.Cependant, l’assurance vie bénéficie généralement d’un régime fiscal favorable, justifié par la volonté des États d’encourager l’épargne en raison de l’insuffisance, voire du déficit structurel de financement des pensions légales.

Ainsi, les États seront amenés à trouver un équilibre complexe entre plusieurs objectifs antagoniques mais stratégiques pour l’assurance vie :

- un désengagement et refinancement du premier pilier ;

- un encouragement des deuxième et troisième piliers ;

- une suppression/limitation des incitants fiscaux à l’épargne.

Si actuellement, la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers, aussi appelée directive MIF, ne s’applique pas au secteur de l’assurance, certains régulateurs européens en ont étendu la portée afin notamment que :

- l’intermédiaire qui propose un support d’investissement au sein d’un contrat d’assurance-vie motive sa recommandation si bien que l’information à communiquer au preneur soit relativement équivalente à l’information exigée pour un OPCVM vendu en direct ;

- l’intermédiaire identifie le profil de risque du preneur et propose des politiques d’investissement en fonction du niveau de richesse du preneur.

Cette harmonisation qualitative de l’information transmise au preneur s’accompagne parfois d’une demande d’information quantitative notamment en ce qui concerne les inducements (commissions et rétrocessions versées par l’assureur) perçues par les intermédiaires ou par l’entreprise d’assurance vie (rétrocessions de commissions versées par les promoteurs de fonds d’investissement). Ce thème est particulièrement délicat en raison de pratiques de marché (ici européen) bien établies, qui se traduisent généralement par une transparence partielle ou totale des flux vis-à-vis des preneurs en fonction de la nature des produits et de l’importance des primes.

Si les produits en unités de compte sont les grands gagnants de l’exercice 2009 et du premier trimestre 2010, les produits à taux garanti n’ont pas démérité en particulier sur le marché français. Si à court terme, l’assureur vie traditionnel a répondu aux besoins de sécurité des preneurs au vu de la volatilité régnante sur les marchés financiers, à moyen et long terme, une politique de taux « zéro » pour relancer l’économie et soutenir les banques est de nature à accroître le risque de réinvestissement supporté par les entreprises d’assurance vie. Afin d’assurer un niveau de rémunération compétitif aux contrats d’assurance, les entreprises seront amenées à favoriser les obligations d’émetteurs privés augmentant ainsi l’exigence en capital conformément au nouveau régime prudentiel « Solvabilité II ». Dans l’intervalle, les provisions pour participations aux bénéfices ainsi que les plus-values latentes constituées par les entreprises les plus prudentes permettront de maintenir un bon niveau de rémunération de l’épargne sous réserve que le scénario à la japonaise ne se réalise pas.

Depuis plusieurs années, de nombreuses entreprises d’assurance vie ont adopté une politique d’onshorisation des produits. D’une part, elles intègrent dans leurs contrats vendus en libre prestation de services des contraintes réglementaires en principe applicables seulement aux assureurs domestiques. D’autre part, ces entreprises fournissent aux preneurs les dispositifs déclaratifs adéquats en matière fiscale (représentant fiscal, …).

Cette stratégie vise à offrir un cadre réglementaire et fiscal robuste tant pour le preneur que pour l’assureur. En effet, les incertitudes réglementaires, notamment en matière d’intérêt général, sont autant d’options laissées aux preneurs et donc de litiges potentiels en cas de performance décevante ou de pertes importantes (Lehman Brothers, Maddoff, …).

L’assurance vie en libre prestation de services évolue dans des cadres réglementaires, fiscaux, et socio-économiques multiples et complexes. Suite à la crise, aux déficits publics et aux enjeux démographiques, les États membres seront amenés à modifier l’environnement de l’assurance vie, imposant ainsi de nouveaux défis opérationnels, réglementaires et financiers à l’industrie de l’assurance, nécessitant des approches pragmatiques, proportionnées et une grande flexibilité des organisations.

Ce sont là des qualités indéniablement partagées par les entreprises d’assurance luxembourgeoises, qui seront à nouveau fortement sollicitées dans les prochains mois.

L’auteur est associé et Insurance Leader chez PwC Luxembourg
Thierry Flamand
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