Biennale de Venise

Présence(s) luxembourgeoise(s)

d'Lëtzebuerger Land vom 09.06.2011

Cela fait des années qu’il faut s’y résigner : le Luxembourg ne figure pas sur les mappemondes d’Alighiero e Boetti, comme toujours, rien non plus sur la Mappa géante du Palazzo Grassi, pas un demi-centimètre carré entre les voisins. Et pourtant il existe… et se trouve bien présent à la 54e édition de la biennale de Venise.

Comme participation nationale, à la Ca’ del Duca, en premier, avec son rez-de-chaussée remué de fond en comble, déconstruit, démultiplié (des espaces qui se répètent, reflétés par des miroirs, des effets à l’infini, alors que le visiteur, désorienté, ralentit sa marche, s’arrête), par Martine Feipel et Jean Bechameil. Un long couloir de suite intrigue avec son retour, puis on se heurte à des armoires et des tiroirs ouverts en désordre, une partie du palais comme dévalisée, avant justement l’ouverture sans fin vers le haut comme vers le bas, et enfin, résultat inquiétant, des meubles comme défigurés sous un lustre qui balance, et des colonnes qui elles non plus n’ont rien de rassurant.

Paul Virilio comme René Kockelkorn insistent, avec intelligence, dans le catalogue sur cette perte de repères, de toutes sortes, de façon première, concrète dans le rapport même avec le palais et avec Venise, et au-delà, « et ceci au niveau écologique, écono-mique et, bien sûr, géopolitique et culturel ». Cela est bien vrai, et donne à l’installation sa forte dimension signifiante. Elle était saisissable dans les dessins du projet, la réalisation la fait proprement vivre.

Autre chose, quand même, n’est pas à sous-estimer : la transformation, la plus radicale, de la Ca’ del Duca en palais des mirages. Ce qui veut dire le plaisir que le promeneur en ces lieux ensorcelés peut prendre. Et il est vrai qu’il est une séduction dans la tromperie quand elle est faite avec une pareille maîtrise, et pour seul but les bénéfices intellectuel et esthétique. Les deux ensemble, et la tension, le va-et-vient entre un certain malaise et une délectation (plus de préfixe négatif dès lors).

Et pourtant il existe… présence du Luxembourg même dans la pavillon taiwanais, avec le film de Hong-Kai Wang (artiste passée naguère au Casino), réalisé par Yann Tonnar, où la production d’acier a fait place à la production de sucre, dans la région industrielle dont est originaire l’artiste. « Music while we work is far more than a mere quest for personal history and egotistical satis­faction in persistent nostalgia, it touches on socio-political issues that are important both for the population of the city of Huwei and the country in general… », note Kevin Muhlen. Sur les murs, de rude granulation, du Palazzo delle Prigioni, le film peut prendre des fois un air de peinture abstraite, au dam du réalisateur, plus porté à de la précision dans cette collaboration. L’essentiel reste, et cela fonctionne, dans la symbiose de l’image et du son.

Il existe aussi sur l’île de la Giudecca, où Bert Theis participe à une exposition au titre qui surprend : I miss my enemies, dans l’ancien monastère SS Cosma e Damiano, avec un dessin qui s’inscrit parfaitement dans sa lutte milanaise, The Urbanists, en même temps un projet à réaliser comme vitrail, dans la manière de ce qui existe dans notre capitale, au MNHA et au Kirchberg.

Même dans le sillage du pavillon et de Schlingensief avec le catalogue édité par Sternberg Press, de notre compatriote Caroline Schneider.

Il existe enfin, pour être juste et complet, avec les Italiennes du Luxembourg, Irina Gabiani et Sonia Sion. Leurs œuvres sont exposées jusqu’au 8 juillet dans le hall du rectorat, à l’université, avenue de la Faïencerie, quant à Venise, il semble que là elles soient projetées en boucle avec celles d’autres jeunes artistes italiens travaillant à l’étranger. Anniversaire de la république oblige, et signore Sgarbi a vraiment fait le maximum.

Lucien Kayser
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